Les Trente Glorieuses de Jean Fourastié, ou la science de l’hospitalité

jeudi 1er novembre 2012

Par Arnaud Beils

Contrairement à l’idée habituellement répandue, le travail humain n’est ni un passe-temps ni juste une manière de gagner sa vie.

Dans son livre Les Trente Glorieuses, rédigé en 1979, Jean Fourastié attaque toutes les conceptions économiques habituellement admises aux plus hauts niveaux décisionnels et transmises sans scrupules à une jeunesse désorientée. Il aborde les questions économiques du point de vue de l’amélioration de la qualité de vie sur le territoire, au contraire des économistes d’aujourd’hui, pour lesquels bien souvent l’économie se résume à la nécessité de sauver un système en faillite.

L’observation de ce tableau reconstitué à partir de son œuvre parlera sans doute mieux qu’un long discours :

A la vue de ce tableau, nous constatons que le travail effectué par la population – dans la modernisation de l’agriculture, la recherche et le développement et la construction d’infrastructures nouvelles – a considérablement amélioré la qualité de vie.

Les enfants nés en 1975 ont plus de chances de survie à la naissance, ils peuvent vivre plus longtemps et auront dans leur jeunesse plus de temps pour étudier ; plus tard, ils transformeront par le progrès de nombreuses heures de travail en heures de loisirs. Leurs conditions de vie se sont considérablement améliorées, car la période allant de 1945 à 1975 est marquée par une démocratisation de la cuisinière, du réfrigérateur, de la machine à laver le linge, des toilettes intérieures à chasse d’eau, du chauffage central, du téléphone, de l’automobile, de la radio et de la télévision.

Jean Fourastié

Tous ces engins obtenus grâce au progrès scientifique technologique font gagner à cette génération un temps libre bien précieux qui peut être consacré à la lecture, à la cuisine, à la découverte de notre patrimoine, à la recherche fondamentale, etc. Nous pouvons donc résumer ainsi le cercle vertueux de l’économie physique : grâce à l’éducation des facultés intellectuelles et à l’amélioration de la santé et de la qualité de vie, les politiques de modernisation augmentent les capacités futures du pays à se moderniser.

Jean Fourastié commente ainsi les donnés recueillies :

Ces chiffres montrent de façon indubitable que le progrès enregistré n’a pu venir que (…) d’une très forte proportion de l’accroissement absolu du salaire réel moyen, c’est-à-dire du volume physique de la consommation moyenne par tête, et donc du volume physique de la production.

Comparons maintenant ces grandes avancées au rapport intégré dans ce livre, rédigé par la Mutualité sociale en 1959. Il décrit la situation des foyers vivant dans le département du Lot à cette époque : on mange mal et souvent la même chose. Le fromage blanc est, avec la soupe, l’un des principaux repas. Le dimanche est le seul jour de la semaine où la viande est servie, mais sans légumes. Les enfants, souvent gavés de pain, sont carencés. L’hygiène dentaire n’existe pas. Les femmes sont souvent habillées de vêtements rapiécés aux couleurs fades. Jeunes, elles sont belles, mais le travail de la terre leur voûte le dos, et les maladies pour lesquelles elles n’osent engager les frais du médecin abîment bien vite leur visage.

Redonnons un instant la parole à M. Fourastié :

Libre à quelques adolescents sympathiques mais mal informés, bénéficiant du niveau de vie et du genre de vie actuel de la France, de l’hygiène, de la santé, de la sécurité sociale et de tous les moyens modernes de transport, d’information et de communication… de critiquer, voire de détester ‘la société de consommation’. Après les descriptions que l’on vient de lire, leurs opinions et leurs sentiments paraissent hâtifs. En fait, les peuples ont toujours ardemment désiré échapper aux pauvretés, aux duretés, aux misères traditionnelles ; aucun n’a pu le faire plus rapidement et plus nettement que la France en ce troisième quart du XX e siècle. (…) Le développement économique n’a été voulu et réalisé par l’homme que pour le développement de la vie.

Ce livre est indispensable pour quiconque souhaite comprendre l’économie pour ce qu’elle est vraiment. C’est la science de l’hospitalité mais c’est aussi par l’activité de chacun que nous construisons cette hospitalité vis-à-vis des générations futures. L’économie est donc le levier au travers duquel tout individu peut participer au développement de la société et marquer l’Histoire du travail qu’il aura accompli.

Nous ne réclamons donc pas seulement une vraie réforme du système bancaire, mais nous exigeons que soit appliqué l’un de nos droits les plus fondamentaux, celui indiqué dans la déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 : « Le travail n’est pas une marchandise (…). Tout être humain a le droit de poursuivre le progrès matériel et le développement spirituel dans la liberté, la dignité, la sécurité économique avec des chances égales. La réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale. »

Le développement de la France en 1964, quelques chiffres

Dans ses vœux pour l’année 1965, Charles de Gaulle annonce des résultats économiques exceptionnels.