Déclarations de Jacques Cheminade

Sécheresse : Coupons l’herbe sous les pieds des spéculateurs !

jeudi 2 juin 2011, par Jacques Cheminade

Paris, le 1er juin 2011 — Tremblements de terre au Japon, ouragans aux Etats-Unis, inondations au Canada et sécheresse exceptionnelle en Chine, au Texas et en Europe, notre planète est secouée par des phénomènes dont la violence augmente partout.

En France, la sécheresse qui sévit est déjà bien pire que celles de 1949 et 1976. Elle s’ajoute aux conséquences désastreuses d’une politique agricole qui, en pénalisant les producteurs depuis plusieurs années, les a empêchés de faire des réserves financières, de fourrage et de semences.

I. Tout de suite, quatre vraies mesures d’urgence s’imposent

Il s’agit de briser la spéculation qui s’est emparée de la production agricole en créant des pénuries, et non pas de limiter simplement les dégâts en promettant quelques indemnisations, des facilités de trésorerie ou des aumônes.

  1. L’urgence : nourrir les bêtes. Pour cela, au-delà d’une solidarité entre cultivateurs et éleveurs, l’Etat doit, en cas de besoin, réquisitionner le foin et la paille et en subventionner fortement l’achat par les producteurs. Détail important : l’Etat et les régions doivent prendre en charge le transport par train et camion jusqu’à la ferme.
  2. Priorité à l’irrigation. Restreindre l’utilisation pour les golfs, les centres de loisirs et l’arrosage des jardins autant que de besoin. L’eau doit être réservée en priorité aux récoltes.
  3. Gel des agrocarburants. L’Etat doit bloquer toute transformation de céréales en agrocarburants, particulièrement le blé et le maïs. Ces productions seront réservées pour nourrir le bétail. En cas de nécessité, certaines exportations peuvent être également revues à la baisse dans ce but. Cette mesure ne fera pas flamber les prix mondiaux si elle s’accompagne des mesures anti-spéculation que nous préconisons.
  4. Finances : nettoyer les écuries d’Augias. Séparons les banques d’affaires des banques de crédit et de dépôt (Glass-Steagall global). La spéculation sur les produits agricoles avec des ETF (trackers, avec effet de levier) doit, en particulier, être interdite. N’est-il pas insupportable qu’une banque comme le Crédit agricole (pour ne nommer qu’elle), qui se montre si généreuse en offrant des facilités de trésorerie aux victimes de la sécheresse, continue, via Amundi, à spéculer sur les prix agricoles ? Tant que rien ne sera fait pour arrêter ce jeu, toutes les déclarations de nos dirigeants resteront au mieux une hypocrisie, au pire une trahison.

II. Souveraineté alimentaire

Dès demain, il faut repenser la politique agricole sur le principe absolu de la souveraineté alimentaire, en l’arrachant au pouvoir malthusien des écolo-spéculateurs.

  1. Infrastructures. Il faut immédiatement investir dans la création de lacs de retenue, canaux d’irrigation et barrages permettant de disposer d’eau pour l’agriculture, mais aussi pour « stocker » de l’énergie. Depuis la sécheresse de 2003, on sait qu’en captant seulement 1 ou 2 % supplémentaires des précipitations annuelles, ce qui nous arrive aurait pu être évité. Cela veut dire inverser la logique actuelle car ces infrastructures, en voie de privatisation, ne sont pas entretenues. L’agriculture est un métier d’avenir, il faut lui donner les moyens et lui permettre d’améliorer l’outil de production. Dans ces conditions, une coopération renforcée entre le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Institut national de recherche agronomique (INRA) permettra, via une meilleure compréhension des sols et de l’interaction entre les rayonnements cosmiques et le vivant, d’optimiser l’utilisation de l’eau, notamment en développant des variétés plus résistantes, l’irrigation ciblée grâce au guidage par satellite, ou encore en étendant la technique du goutte-à-goutte.
  2. Marchés régulés. Au lieu de pousser nos producteurs à se couvrir contre la volatilité des prix avec des produits financiers dérivés vendus de gré à gré sur les marchés opaques, le temps est venu, tant dans les pays producteurs que dans les pays importateurs « récurrents », en particulier au Maghreb, de reconstituer des stocks publics d’intervention, par pays ou par zones géographiques. Comme ce fut le cas au début de la PAC ou à l’époque de Franklin Roosevelt, une gestion intelligente des stocks publics permet de limiter les pénuries physiques et de casser, via des achats et des ventes publiques, les envolées spéculatives. Rappelons que les « produits financiers de couverture » engendrent des frais de réassurance d’un coût global proche de 40 euros par tonne de céréales effectivement vendue en fin de cycle, alors que le coût du stockage d’une tonne de céréales n’est que de 10 euros par an dans un silo de coopérative agricole en France.
  3. Outils de prévision : investir dans les dispositifs de veille climatique (notamment par satellite) et pousser les études sur les conséquences du positionnement de notre planète au sein des grands cycles du système solaire et au-delà (maximum solaire, cycles de la biodiversité, etc.).
  4. Crédit productif mondial. Dans le cadre d’un nouvel ordre international fondé sur le crédit productif public et non sur les jeux monétaires, il faut disposer d’un observatoire mondial de la consommation et des stocks agricoles. Mettant fin à la scandaleuse ruée néocoloniale vers les terres arables, des accords de prix doivent être établis en fonction des besoins de l’économie physique et non des marchés.

En conclusion, le défi de nourrir 9 à 12 milliards d’hommes en 2050 commence par une remise en cause de la finance folle qui règne dans le monde depuis plus de quarante ans, en lui substituant un ordre mondial fondé sur les projets communs et la priorité donnée à la création humaine.

La question agricole est la clé pour ouvrir la porte de l’avenir. Elle rejoint celle de l’exploration spatiale, car c’est en voyant d’en haut et en comprenant les effets des phénomènes solaires et galactiques que l’on pourra mieux organiser la production sur terre. Ne laissons pas l’agriculture entre les mains d’intérêts cupides attachés à la possession et non à la production.

Pour trouver l’herbe, il faut la couper sous les pieds des spéculateurs !