Pascal : des paradoxes à l’infini

mardi 18 novembre 2008, par Pierre Bonnefoy

[sommaire]

Selon un vieux principe aristotélicien, deux propositions contradictoires ne peuvent être vraies simultanément. Or les points de vue sur le vide de Pascal et de Leibniz sont contradictoires ; en conséquence, l’un des deux est faux et l’autre est vrai. Qui donc, de Pascal ou de Leibniz, a raison ?

Enoncé d’un problème

1646. Le jeune Blaise Pascal (1623-1662) est âgé de 23 ans ; il a reproduit les expériences de l’Italien Torricelli sur le vide et en a fait d’autres plus complètes. Si, par exemple, on remplit un tube en verre suffisamment long, avec du mercure jusqu’à ras et si, après l’avoir bouché avec le doigt, on le retourne sur une cuve remplie également de mercure, on constate en le débouchant que le niveau du métal y descend et s’y établit à une position intermédiaire entre l’extrémité supérieure du tube et le niveau dans la cuve (figure 1).

Figure 1. Expériences du vide. Tubes

Pour Pascal, il est clair que cette expérience démolit le vieux dogme aristotélicien selon lequel « la nature a horreur du vide ». Qu’y a-t-il entre le niveau du mercure dans le tube et le haut du tube ? Un « air subtil » ? Rien ? Le vide ? Une célèbre polémique se développe alors entre Pascal et un père jésuite dénommé Noël. Ce dernier, « cartésien » comme la plupart des savants de cette époque (il a été en fait le maître de Descartes au collège jésuite de La Flèche), prétend contre Pascal que le vide n’existe pas et que cette expérience ne prouve rien. Pascal sortira victorieux de cette bataille cruciale pour le développement ultérieur de la science physique.

1716. A 70 ans, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) n’a plus que quelques semaines à vivre. Jusqu’au dernier moment, il conserve cependant une combativité sans faille dès lors qu’il s’agit de défendre la vérité, comme en témoigne la Correspondance Leibniz-Clarke interrompue seulement par la mort du philosophe de Hanovre. Cette violente polémique est le reflet d’une lutte sans merci entre deux conceptions de l’Univers incompatibles, Clarke se faisant ici le porte-parole fidèle de Newton et Leibniz accusant ouvertement celui-ci d’obscurantisme. Selon Newton, l’Univers serait composé d’un très grand nombre de particules indivisibles évoluant dans un espace vide cartésien à trois dimensions et ces particules seraient soumises à des forces réciproques d’attraction ou de répulsion à distance. Leibniz, quant à lui, refuse d’introduire la magie – une action à distance sans médium pour la transmettre – dans sa conception de l’Univers physique : le vide n’existe pas.

Selon un vieux principe aristotélicien, deux propositions contradictoires ne peuvent être vraies simultanément. Or les points de vue sur le vide de Pascal et de Leibniz énoncés ci-dessus sont manifestement contradictoires ; en conséquence, l’un des deux est faux et l’autre est vrai. Qui donc, de Pascal ou de Leibniz, a raison ?

De nos jours, une telle question semble être tranchée depuis longtemps puisque dès les premiers cours de physique, on apprend à l’école à utiliser un très grand nombre de constantes mathématiques comme la permittivité électrique du vide, la perméabilité magnétique du vide, l’indice de réfraction du vide, etc. : c’est donc bien la preuve que le vide existe !

Cependant, la question est peut-être un peu plus subtile qu’il n’y paraît à première vue. En effet, tout comme Pascal, Leibniz est un expérimentateur rigoureux. La réforme de la dynamique qu’il a provoquée s’appuie sur une réfutation du grand principe de la mécanique cartésienne de conservation de la quantité de mouvement. Pour cela, il a notamment réalisé des expériences de chocs avec des boules de masses et de vitesses différentes qui ont réduit à néant les lois de Descartes sur les chocs. Par ailleurs, Leibniz a bénéficié, grâce à Huygens, d’une très bonne connaissance des travaux de Pascal dans tous les domaines. Il reconnaît lui-même que l’apport de Pascal lui a été décisif dans sa découverte du calcul intégral et différentiel. Tout comme Pascal, il a inventé une machine à calculer ; il a aussi enrichi les découvertes de son prédécesseur dans le calcul de la « géométrie du hasard », etc.

De plus, nous avons de la part de Leibniz un témoignage sur l’importance capitale d’un Traité des coniques écrit par Pascal à l’âge de 18 ans et perdu aujourd’hui. En effet, Etienne Périer, un neveu de Pascal, le lui a prêté lors de son séjour à Paris vers 1675, lui demandant si cela valait la peine de le publier. En le lui rendant, Leibniz a insisté sur l’importance majeure de ce document :

Je conclus que cet ouvrage est en état d’être imprimé ; et il ne faut pas demander s’il le mérite ; je crois même qu’il est bon de ne pas tarder davantage, parce que je vois paraître des traités qui ont quelque rapport à ce qui est dit dans celui-ci ; c’est pourquoi je crois qu’il est bon de le donner au plus tôt, avant qu’il perde la grâce de la nouveauté.

[A] Ce conseil ne sera hélas pas suivi.

Leibniz était véritablement au fait de tout ce qui se faisait à son époque et plus particulièrement dans le domaine de la science expérimentale. Il connaissait, entre autres, la pompe à vide d’Otto von Guericke. Comment, dès lors, comprendre que cet opposant majeur au cartésianisme ait pu reprendre à son compte des arguments que les cartésiens opposaient à Pascal contre l’existence du vide ? Compte tenu de l’importance majeure que ces deux géants – Leibniz et Pascal – représentent dans l’histoire de la science, cette question mérite d’être approfondie ; l’enjeu n’est peut-être pas celui que l’on croit à première vue.

Le poids des idéologies

Cela pourrait sembler scandaleux pour un lecteur français, mais la pensée de Pascal est peut-être moins bien connue dans son propre pays pour ce qu’elle est réellement que celle de Leibniz. Figure centrale de l’Académie des sciences de Colbert dirigée par Huygens à partir de 1666, Leibniz montre mieux que quiconque à quel point la découverte scientifique est un acte social. Il a passé toute sa vie à échanger des idées, engager des discussions, des polémiques, il a correspondu avec tout ce qui pensait à son époque et il a écrit une quantité phénoménale d’articles et d’ouvrages. Non seulement Leibniz a réalisé des découvertes comme le calcul différentiel qui ont bouleversé l’existence de l’humanité, mais il s’est aussi appliqué à aider d’autres que lui à réaliser leurs propres percées scientifiques, comme en témoigne sa correspondance avec Denis Papin, l’inventeur de la machine à vapeur. Les calomnies de Voltaire et des encyclopédistes ont certes pu reléguer les idées de Leibniz aux oubliettes. Néanmoins, de très nombreux ouvrages sont encore là et quiconque veut faire l’effort de connaître la pensée de Leibniz en a effectivement la possibilité.

Les choses ne sont pas aussi simples en ce qui concerne Pascal et il nous semble nécessaire de « débroussailler » quelque peu le terrain avant d’examiner la question du vide proprement dite.

Le premier problème que l’on rencontre lorsque l’on étudie Pascal est que ses propres héritiers, en particulier sa sœur Gilberte Périer et la famille de celle-ci, se sont efforcés de lui bâtir une légende mensongère dès qu’il a rendu l’âme. Selon cette légende, il y aurait deux « Blaise Pascal » séparés par « la nuit du Mémorial », le 23 novembre 1654, c’est-à-dire la nuit où il a eu sa « révélation mystique ». Le Pascal d’avant le 23 novembre serait un génie précoce ayant fait un certain nombre de découvertes scientifiques tandis que le Pascal d’après le 23 novembre aurait été dégoûté de tout ce qui concerne le monde, les vanités des activités humaines et en particulier la science, comme le démontrerait son projet de faire un livre pour une apologie de la religion chrétienne – projet interrompu par sa mort et dont le matériel a été rassemblé dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Pensées [B]. Ce Pascal-là, celui qui s’est engagé dans la bataille des Provinciales auprès des jansénistes de Port-Royal en guerre contre les jésuites, n’aurait plus été préoccupé que par Dieu et par le salut de son âme. C’est ainsi que Gilberte écrit dans La vie de Monsieur Pascal :

Ce fut dans un de ces temps-là, à l’âge de vingt-trois ans, qu’ayant vu l’expérience de Torricelli, il inventa et il exécuta ensuite ces autres expériences qu’on a nommées les expériences du vide, qui prouvent si clairement que tous les effets qu’on avait jusque-là attribués à l’horreur du vide sont causés par la pesanteur de l’air. Cette occupation fut la dernière où il appliqua son esprit pour les sciences humaines ; et quoiqu’il ait inventé la roulette après, cela ne contredit point à ce que je dis ; car il la trouva sans y penser, et d’une manière qui fait bien voir qu’il n’y avait pas d’application, comme je le dirai en son lieu (souligné par nous).

Pour accréditer cette thèse, on n’hésite pas à « tordre le bras » à la réalité d’une manière plutôt grossière. Gilberte écrit plus loin :

Ce renouvellement de ses maux commença par un mal de dents qui lui ôtait absolument le sommeil. Dans ses grandes veilles, il lui vint une nuit dans l’esprit, sans dessein, quelque pensée sur la proposition de la roulette. Cette pensée étant suivie d’une autre, et celle- là d’une autre, enfin une multitude de pensées qui se succédèrent les unes aux autres lui découvrirent comme malgré lui la démonstration de toutes ces choses, dont il fut lui-même surpris. Mais comme il y avait longtemps qu’il avait renoncé à toutes ces connaissances, il ne s’avisa pas seulement de l’écrire.

Figure 2
La roulette ou cycloïde est la courbe que suit un point de la roue lorsque celle-ci roule sur un plan. Ci-dessous, on considère la surface délimitée par une portion de roulette et deux axes. Quel est le volume généré par la rotation de cette surface d’un demi-tour autour de l’un des axes ? Où se trouve le centre de gravité du volume ?

Posé en 1658 par Pascal et résolu par lui-même sous le pseudonyme d’Amos Dettonville, le problème de la roulette, que Leibniz lui-même considère comme une étape décisive dans la découverte du calcul intégral [C] est l’un des plus difficiles qui aient été posés dans toute l’histoire de la géométrie jusqu’à cette époque.

Sous couvert d’un concours public financé par son ami le duc de Roannez, et tout en gardant l’anonymat, Pascal a lancé aux plus grands savants du moment le défi de trouver une méthode pour calculer les volumes et les surfaces générés par des rotations de portions de cycloïdes, ainsi que les centres de gravité de ces figures (figure 2).

Comme on le voit, non seulement Pascal résout ici un problème scientifique capital mais, en plus, il attache une importance toute particulière à ce que les meilleurs cerveaux de son temps y travaillent aussi. C’est l’idée de créer un contexte social qui encourage la réalisation de découvertes scientifiques en cascade, et ce n’est pas vraiment le comportement de quelqu’un de dégoûté par la science... Tous les plus grands – Fermat, Huygens, Wallis, Wren, Roberval, etc. – s’y sont frottés avec des succès variés. Il n’est tout simplement pas possible que même un esprit comme Pascal ait pu résoudre ce problème « sans y penser », sans un effort de concentration intense et prolongé.

Cette falsification de l’histoire a été en fait encouragée par Port-Royal et en particulier par Arnaud et Nicole, les anciens amis de Pascal, qui en rassemblant les papiers de ce dernier pour constituer la première édition des Pensées, ont littéralement écarté certains passages « gênants » et même réécrit certains autres. Il faut préciser que les jansénistes étaient alors persécutés par l’Eglise et le pouvoir royal corrompus par l’influence des jésuites : qu’un génie tel que Pascal soit recruté par Port-Royal et renonce à tout ce qui ne concerne pas directement la religion, constituait une « plaquette publicitaire » et un appui politique de premier choix. Le conflit entre Port-Royal et Pascal dans les derniers mois de sa vie a été soigneusement retiré de l’histoire officielle des jansénistes...

Certains de ses manuscrits ont également disparu. De son Traité de la génération des sections coniques, il ne nous reste que quelques fragments retrouvés dans les papiers de Leibniz. Selon la tradition familiale, Pascal enfant aurait aussi écrit un Traité des sons dont il ne reste aucune trace. Il semblerait que Pascal et Fermat aient entretenu une correspondance assez importante. Etant donné que Fermat a lui-même beaucoup travaillé sur le calcul infinitésimal et que, comme Pascal, il a combattu le cartésianisme, cette correspondance présenterait certainement un intérêt capital pour l’histoire de la science. Malheureusement, de cette correspondance, nous n’avons plus que quelques lettres concernant la « géométrie du hasard ». En 1658, Pascal écrit à la demande d’Arnaud pour les élèves de Port-Royal un cours de géométrie intitulé Eléments de géométrie, dont seule l’introduction « De l’esprit géométrique » nous est parvenue. Il ne reste pas grand-chose non plus des textes de Pascal sur le vide que les jansénistes ont soit censurés soit négligés.

En résumé, la science ne semble pas faire partie des préoccupations principales de Port-Royal. Ceci est confirmé par la correspondance que Leibniz a échangé bien des années plus tard avec Arnaud. [1] On y découvre un Arnaud imprégné de physique cartésienne, fuyant le débat métaphysique auquel son jeune correspondant l’invite et quelque peu effrayé par son audace intellectuelle.

Comme Jacques Attali le fait fort justement remarquer dans sa biographie de Pascal [D], la falsification de l’histoire du savant français ne se limite pas à ceux qui l’ont connu. Chaque époque réinvente un nouveau Pascal susceptible de « cadrer » avec l’idéologie du moment.

Au XVIIIe siècle, les Encyclopédistes s’efforcent essentiellement de jeter de la boue sur Pascal, prétendant voir en lui un « fanatique » ou un « misanthrope sublime » comme Voltaire l’écrit dans ses Lettres philosophiques. Dans ses Mémoires pour Catherine II, Diderot ajoute : « Qu’a produit le génie incompréhensible de Pascal ? Un petit traité de la roulette, et les Lettres au provincial, c’est-à-dire la haine des sottises qui disposèrent de son temps, dépravèrent son caractère moral et ouvrirent à ses côtés un abîme sur lequel il mourut les regards attachés. » Comme nous l’avons montré dans notre article sur Voltaire [E], signalons ici sans plus de précisions, qu’il s’agit là d’un travail de sape de la part des Encyclopédistes, destiné à pervertir la science continentale en y introduisant de force l’empirisme newtonien.

Au XIXe siècle, en France, les romantiques, les catholiques de toutes tendances et les nostalgiques de l’Ancien Régime tels que Chateaubriand essaient de récupérer politiquement l’héritage de Pascal en l’érigeant en « pilier de l’identité nationale », alors qu’en Allemagne, Nietzsche prétend l’utiliser contre le christianisme dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Ce que nous attaquons dans le catholicisme, c’est qu’il veuille briser les forts, décourager leur courage, utiliser leurs heures mauvaises et leurs lassitudes, transformer en inquiétude et en tourment de conscience leur fière assurance. Horrible désastre dont Pascal est le plus illustre exemple. » Après ce précurseur de l’idéologie nazie, d’autres idéologues voudront « expliquer » Pascal à travers leurs « filtres ». Au XXe siècle, ce seront par exemple les marxistes, les freudiens, les existentialistes, les « déconstructionnistes », etc.

Tous mentent à la manière des jansénistes en escamotant ce qui ne « colle » pas avec leurs schémas préétablis ; et c’est à juste titre que Jacques Attali se moque d’eux. Cependant, bien que son ouvrage soit par ailleurs intéressant, Attali lui-même donne dans l’idéologie de son temps. En effet, sous couvert d’être indépendant de toute idéologie, il est aujourd’hui « politiquement correct » pour un journaliste ou un écrivain, d’accumuler des « faits » liés au sujet de son étude, de préférence incohérents, sans oser se risquer à émettre une hypothèse qui permettrait de rendre compte de leur coexistence. [2]

C’est ainsi qu’Attali écrit, par exemple, que tout se passe comme si Pascal menait « six existences simultanées : le scientifique travaille à la théorie des probabilités et au calcul intégral en veillant à protéger jalousement ses découvertes ; le polémiste ferraille avec les jésuites et le pape ; le philosophe produit une réflexion désespérée sur la condition humaine dans la plus belle langue qu’on ait jamais encore écrite ; l’entrepreneur invente les transports en commun et défend ses intérêts d’actionnaire dans les marais poitevins ; le pédagogue enseigne aux enfants des plus grands ; enfin, Blaise Pascal se prépare à mourir dans l’obsession de l’humilité et du salut... »

Découvrir ce qui se passe dans un esprit tel que celui de Pascal demande de faire un pas de plus au-delà des préjugés ambiants. Attali s’arrête face à un paradoxe : Pascal semble avoir plusieurs personnalités. Cependant, il ne suffit pas d’énoncer un paradoxe, encore faut-il tenter de le résoudre, c’est-à-dire montrer comment ces « personnalités » sont différents aspects d’une même démarche intellectuelle – la démarche d’un homme qui cherche la vérité, qui réalise des découvertes et qui transforme le monde grâce à ces découvertes. C’est le même homme qui, en même temps, s’interroge sur la relation entre l’Homme, l’Univers et Dieu dans les Pensées et qui résout le problème de la roulette. Autrement dit, le calcul intégral et le texte sur les deux infinis [F] sont nés d’une même pensée. Un préjugé très courant consiste à séparer mentalement les Pensées du travail scientifique de leur auteur : comme on le voit, la légende propagée depuis Gilberte est solidement enracinée dans les esprits. Cette légende est de plus entretenue par une lecture trop littérale des textes. Lorsqu’on lit dans les Pensées :

« L687-B144 J’avais passé longtemps dans l’étude des sciences abstraites et le peu de communication qu’on en peut avoir m’en avait dégoûté. Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne sont pas propres à l’homme, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en l’ignorant. J’ai pardonné aux autres d’y peu savoir, mais j’ai cru trouver au moins bien des compagnons en l’étude de l’homme et que c’est la vraie étude qui lui est propre. J’ai été trompé. Il y en a encore moins qui l’étudient que la géométrie. Ce n’est que manque de savoir étudier cela qu’on cherche le reste. Mais n’est-ce pas que ce n’est pas encore là la science que l’homme doit avoir, et qu’il lui est meilleur de s’ignorer pour être heureux », on en déduit trop facilement que Pascal veut se détacher de la science. Or c’est faux : il a poursuivi ses travaux jusqu’à ce que son état de santé l’en empêche.

Attali affirme que Pascal aimait la plaisanterie. Il a raison : les Pensées fourmillent d’ironie. Malheureusement, cette ironie échappe à la plupart de ses lecteurs qui n’y trouvent qu’une espèce d’angoisse existentielle. Il est bien connu, pourrait-on leur répondre, qu’on ne trouve que ce qu’on cherche. Cependant, au moment précis où Pascal écrit ces Pensées, il connaît la joie unique d’effectuer une découverte scientifique capitale. Ayons donc bien cela à l’esprit, chassons les images banales d’un Pascal torturé par son angoisse, et relisons les Pensées d’un point de vue quelque peu inhabituel.

Les Pensées scientifiques

L113-B348 Roseau pensant. Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai point d’avantage en possédant des terres. Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point : par la pensée je le comprends.

La célèbre métaphore du roseau pensant nous place directement au cœur de la problématique posée par les Pensées : quelle est la relation entre l’Homme, Dieu et l’Univers ? Autrement dit, qu’est-ce que l’homme peut connaître ? Le seul outil dont l’homme dispose pour répondre à cette interrogation, pour découvrir la vérité, c’est sa pensée. Comment juge-t-on donc qu’une certaine proposition est vraie ou fausse ? Il faut préciser ici qu’il existe deux manières de le faire.

La première consiste à raisonner à partir d’un certain nombre de principes et d’axiomes qu’on estime être des vérités premières évidentes en elles-mêmes. Pour juger de la vérité d’une certaine proposition, il faudra ainsi établir par le raisonnement une chaîne de déductions logiques qui part des vérités premières et qui aboutit à la proposition en question. Si cette opération réussit, la proposition est jugée vraie. Si la chaîne de déductions aboutit à une proposition contraire, la proposition étudiée est jugée fausse. C’est ainsi qu’on procède en géométrie.

Cependant, il existe des situations où l’on ne peut pas ramener une proposition, ou son contraire, aux axiomes de départ. C’est le cas par exemple quand, dans le monde réel, il se produit un événement qui contredit les lois de la physique du moment. Cette contradiction est le signe que ce sont les axiomes eux-mêmes qui sont faux. Dans ce cas, le raisonnement logique ne s’applique plus ; il devient nécessaire de changer les axiomes pour résoudre le paradoxe. En d’autres termes, il faut effectuer une découverte, trouver un nouveau principe physique. Dans ce domaine, Pascal excelle.

Il y a donc deux manières de penser : effectuer un raisonnement logique à partir de ce qui est connu ou supposé tel, ou réaliser une découverte. Bien entendu, c’est la seconde manière de penser qui intéresse Pascal dans son projet d’écrire une apologie de la religion chrétienne, car de même qu’il est impossible de faire une véritable découverte par un pur raisonnement logique, de même il est impossible de prouver l’existence de Dieu par cette voie étroite :

L188-B267 La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira(-t-)on des surnaturelles ?

Chez Pascal, la connaissance de Dieu s’apparente donc, d’une certaine manière, à un acte de découverte, même s’il place la première infiniment au-dessus de la seconde. Dès lors, rien d’étonnant au fait que Pascal cherche à encourager l’esprit de découverte dans l’épisode de la roulette au moment même où il tente de « convertir » ses amis libertins à sa religion en préparant son Apologie. Or s’il pense que l’esprit de découverte n’est pas un don réservé à une élite intellectuelle, mais qu’au contraire c’est une faculté partagée par l’ensemble de l’humanité – la seule qualité proprement humaine –, force est de constater que peu d’êtres humains l’exercent effectivement (de même, peu de chrétiens mettent effectivement leurs actes en accord avec leurs « valeurs »). En conséquence, un objectif préliminaire de Pascal consistera à aider ses lecteurs à « corriger » leurs esprits de tout ce qui les empêche d’avoir cette liberté de penser : pour pouvoir découvrir, il est nécessaire de se débarrasser de ses préjugés et de ses mauvaises habitudes.

Dans la Pensée suivante, il cloue donc au pilori un certain nombre de ces « puissances parasites » :

« L44-B82 [...] Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête sans une opinion avantageuse de sa suffisance.

« L’imagination dispose de tout ; elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le tout du monde.

« Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, dell’opinone regina del mondo. J’y souscris sans le connaître, sauf le mal s’il y en a.

« Voilà à peu près les effets de cette faculté trompeuse qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire. Nous en avons bien d’autres principes.

« Les impressions anciennes ne sont pas seules capables de nous abuser, les charmes de la nouveauté ont le même pouvoir. De là vient toute la dispute des hommes qui se reprochent ou de suivre leurs fausses impressions de l’enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles. Qui tient le juste milieu qu’il paraisse et qu’il le prouve. Il n’y a principe, quelque naturel qu’il puisse être, (qu’on ne), même depuis l’enfance, fasse passer pour une fausse impression soit de l’instruction, soit des sens.

« Parce, dit-on, que vous avez cru dès l’enfance qu’un coffre était vide, lorsque vous n’y voyiez rien, vous avez cru le vide possible. C’est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu’il faut que la science corrige. Et les autres disent, parce qu’on vous a dit dans l’école qu’il n’y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression, qu’il faut corriger en recourant à votre première nature. Qui a donc trompé ? Les sens ou l’instruction ? »

Il y aurait beaucoup à dire sur ce petit extrait. On ne sera sans doute pas surpris de voir Pascal s’en prendre à une certaine forme d’imagination ainsi qu’à l’opinion publique. Plus surprenant peut-être : il se méfie aussi de l’instruction. A ce sujet, il est important de rappeler que Pascal a reçu une éducation très particulière, avec très peu de livres et aucun autre professeur que son propre père. Etienne Pascal ne voulant pas que ses enfants soient des ânes savants, il a veillé à ce qu’ils apprennent le moins possible et découvrent tout par eux-mêmes. Il leur a consacré la plus grande partie de son temps. On sait notamment qu’ayant ainsi interdit à son fils de lire des ouvrages de géométrie, il fut abasourdi un soir de découvrir que ce dernier avait énoncé par lui-même à l’âge de 12 ans les axiomes d’Euclide dans son propre langage et qu’il en avait tiré toute une série de conséquences ! A partir de là, il lui a fait rencontrer les plus grands savants de son époque rassemblés autour de Mersenne. Quel enfant aurait de nos jours la chance de recevoir une telle éducation ?

Cependant, les dernières lignes de la Pensée mentionnée ci-dessus sont un excellent exemple qui nous montre l’ironie pascalienne en action. En effet Pascal nous demande de faire un choix entre deux doctrines opposées : « Qui a trompé ? Les sens ou l’instruction ? » Or il s’agit d’un choix impossible car la réponse serait, bien entendu : « Les deux ! » On a là un premier clin d’œil de Pascal à son lecteur, mais il y en a un second. En effet, il oppose ceux qui ne jugent que par leurs sens – les empiristes qui croient que le vide existe parce qu’ils l’ont « vu » dans un coffre – aux autres – ceux qui ont « appris » chez Aristote que le vide n’existe pas. L’ironie réside dans le fait qu’on sait que Pascal n’est pas neutre dans cette polémique particulière : le point de vue de Pascal sur l’existence du vide est formellement le même que celui des premiers, mais les apparences sont souvent trompeuses. Il est important de signaler ici que ces empiristes qu’il juge infantiles sont les prédécesseurs de Newton. Quant aux autres, que Pascal attaque également mais à un autre niveau, ce sont évidemment Descartes et ses disciples contre lesquels il soutient l’existence du vide.

Parmi les puissances qui nous empêchent de penser, le divertissement occupe une place de premier rang. En tant que chercheur, Pascal sait parfaitement à quel point il est difficile de maintenir l’effort de concentration intellectuelle nécessaire pour réaliser une découverte. Certes une découverte se produit toujours à l’instant où on s’y attend le moins, cependant il faut « préparer le terrain » par une réflexion approfondie pour qu’elle arrive. Une certaine forme d’angoisse est associée à l’acte de découverte : celui qui découvre, explore seul un territoire sur lequel nul n’a mis les pieds avant lui. C’est un moment de solitude et de recueillement. De ce fait, en l’absence d’une certaine force de caractère que toute éducation ne permet pas de cultiver, n’importe quel prétexte peut devenir bon pour nous détourner (nous divertir) de cet effort. C’est pourquoi, l’ironie de Pascal est particulièrement mordante et féroce dans les Pensées concernant le divertissement :

« L136-B139 [...] Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins l’argent qu’il peut gagner chaque jour, à la charge qu’il ne joue point, vous le rendez malheureux. On dira peut-être que c’est qu’il recherche l’amusement du jeu et non pas le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s’y échauffera pas et s’y ennuiera. Ce n’est donc pas l’amusement seul qu’il recherche. Un amusement languissant et sans passion l’ennuiera. Il faut qu’il s’y échauffe, et qu’il se pipe lui-même en s’imaginant qu’il serait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu’il se forme un sujet de passion et qu’il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour cet objet qu’il s’est formé comme les enfants qui s’effraient du visage qu’ils ont barbouillé.

« D’où vient que cet homme qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé de procès et de querelles était ce matin si troublé, n’y pense plus maintenant. Ne vous en étonnez pas, il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que ses chiens poursuivent avec tant d’ardeur depuis six heures. [...]

« Prenez-y garde, qu’est-ce autre chose d’être surintendant, chancelier, premier président sinon d’être en une condition où l’on a le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils sont dans la disgrâce, et qu’on les renvoie à leurs maisons des champs où ils ne manquent ni de biens ni de domestiques pour les assister dans leur besoin, ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés parce que personne ne les empêche de songer à eux. »

Ainsi, comme l’explique Pascal, la plus grande partie de nos pensées est meublée par des choses futiles qui nous détournent de ce qui est réellement important. Que l’on songe à la manière dont les médias et les moyens de divertissement sont utilisés aujourd’hui pour abrutir les foules, et l’on se rendra compte à quel point notre époque est encore moins propice à la découverte que l’était celle de Pascal.

Il est toutefois une autre puissance ennemie de la découverte encore plus dangereuse parce que partagée par la plupart de ceux qui font profession d’être des « savants » sans qu’ils en soient nécessairement conscients. Il s’agit d’une sorte d’attachement obsessionnel au raisonnement logique qui va au-delà des erreurs apprises lors de l’instruction entretenue par ce même raisonnement. Il existe beaucoup d’écoles de pensée qui propagent cette maladie ; ceux qui en souffrent n’arrivent tout simplement pas à remettre en question leurs propres axiomes – préliminaire pourtant indispensable à toute découverte.

Pour pouvoir juger cette question à sa juste valeur, il est bon de donner quelques précisions supplémentaires concernant l’un des principaux ennemis de Pascal. Descartes, puisque c’est de lui qu’il s’agit, faisait à l’époque figure d’autorité en matière scientifique. En 1637, il a même écrit un petit manuel pour expliquer comment il avait fait ses « découvertes scientifiques » : le Discours de la Méthode [G]. A l’époque, sa mécanique n’avait pas encore été démolie par Leibniz, et peu de gens savaient que sa « loi des sinus » en optique n’était qu’un plagiat incompétent des travaux de Snell. Voici un extrait des conseils que Descartes donne aux futurs inventeurs en décrivant sa propre « expérience professionnelle » :

« [...] ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois de les observer.

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment telle : c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement en mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

« Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés : et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

« Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre.

« Ces longues chaînes de raisons toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon [...]. »

Que nous propose ce texte dans lequel Descartes brille par son manque d’audace intellectuelle, par son angoisse de perdre ses repères et de faire un faux pas dans sa prudente progression ? Il s’engage précisément dans une démarche axiomatico-déductive par laquelle on ne peut rien découvrir d’autre que ce qui est déjà connu ! Descartes a besoin d’évidences, d’axiomes, de principes, de certitudes, d’un terrain stable pour pouvoir avancer. Il pense que la connaissance s’obtient en décomposant les difficultés et que notre ignorance ne provient que de la complexité des choses, problème que l’homme peut heureusement surmonter pour peu qu’il s’applique mécaniquement et patiemment à suivre la recette en quatre parties énoncée ci-dessus. Il croit en somme qu’une découverte se fait comme une démonstration géométrique. Comme on l’a déjà entrevu, c’est un esprit diamétralement opposé qui se dégage de la lecture des Pensées de Pascal : « L887-B78 Descartes inutile et incertain. »

Avec ces quatre mots lapidaires, Pascal résume ce qu’il pense de la méthode de Descartes : non seulement Descartes est inutile, c’est-à-dire que sa méthode ne permet pas d’atteindre l’objectif annoncé (contrairement à ce qu’il prétend, Descartes ne réalise aucune découverte et ne démontre pas l’existence de Dieu), mais en plus il est incertain, comble d’ironie pour quelqu’un qui prétend justement se baser sur une série de certitudes ! Ici, Pascal se moque de son ennemi comme s’il lisait dans son esprit. Un peu plus loin, il montre qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de cette méthode puisque Descartes qui prétend l’avoir mise en œuvre avec succès accouche d’un système manifestement bancal et incohérent :

L1001- B77 Je ne puis pardonner à Descartes ; il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu.

Avant même que Leibniz ait réformé la dynamique, Pascal savait donc déjà que le grand principe cartésien de la conservation de la quantité de mouvement (auquel il est fait allusion ici) était faux. Par ailleurs, cette pensée ironique pourrait s’appliquer de la même manière à tous ceux qui s’appuient sur la méthode axiomatico-déductive : qu’ils en soient conscients ou non, ils sont fatalement conduits à faire intervenir un facteur extérieur à leur méthode (Un Dieu non mécanique nécessaire pour « lancer » un monde mécanique) pour que leurs raisonnements aient l’air de tenir debout. Cette méthode ne se suffit pas à elle-même donc ils violent leurs propres principes ! C’est exactement la même faille qu’on retrouve chez tous les empiristes. En effet, il est bien connu que la physique de Newton a besoin d’un Dieu horloger pour venir remonter le monde de temps en temps. Tous ceux qui aujourd’hui prétendent que notre Univers a commencé par le Big Bang font également la même erreur. D’une manière générale, c’est l’erreur de tous les matérialistes qui croient agir scientifiquement en écartant de la science toute forme de transcendance : tous réinventent sous une forme ou une autre un Deus ex machina.

Comment découvrir le monde ?

Cependant, arrivés à ce point-ci de notre réflexion, nous pouvons nous demander légitimement ce que Pascal peut opposer à tous les « ennemis de la pensée » dont nous venons d’avoir un aperçu. Jusqu’ici, nous avons eu une certaine idée des obstacles qui nous empêchent de découvrir. Mais, finalement, ces obstacles inhérents à notre condition humaine, ne signifient-ils pas que l’homme ne peut rien connaître ? Pascal nous ayant retiré les axiomes, sur quoi pouvons-nous nous baser ? Le paradoxe apparent vient du fait que cette dernière question n’admet pas de réponse sous la forme d’un certain nombre de principes ou de recettes – bien qu’on puisse être tenté de chercher dans cette direction – sinon, nous retombons dans l’erreur du cartésianisme. Ceci étant posé, ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de réponse formelle à cette question qu’il n’existe pas de réponse du tout :

L183-B253 Deux excès exclure la raison, n’admettre que la raison.

Croire que Pascal considère que l’homme ne peut rien connaître serait un contresens majeur car s’il attaque Descartes et ceux qu’il appelle les « dogmatiques » dans ses Pensées, il s’en prend aussi à Montaigne et aux pyrrhoniens qui doutent de tout et en tirent une sorte de fierté ridicule. Non, Pascal pense que l’homme est capable de connaissance, mais que la raison seule ne suffit pas. Dans ce cas, que faut-il de plus ? Il faut tout d’abord que l’homme apprenne à cultiver une certaine qualité qui le laisse éternellement insatisfait et le pousse à chercher davantage. Cette qualité que Pascal oppose à la raison froide de Descartes, c’est ce qu’il appelle le cœur :

L110-B282 Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point. Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car l[es] connaissances des premiers principes : espace, temps, mouvement, nombres, sont aussi fermes qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. [...]

Donc, si Descartes avait raison, un ordinateur serait capable de faire des découvertes. Or il n’en est rien : toute découverte est associée à une certaine forme d’émotion. Descartes recherche la stabilité ? Heureusement, pourrait lui répondre Pascal, qu’il est impossible d’y parvenir car il faut au contraire un état d’instabilité pour pousser l’homme à entreprendre sans cesse la recherche de la vérité. Et cette instabilité est le propre de la condition humaine, le seul état stable de l’homme, c’est la mort.

« L199-B72 [...] Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature [entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, NdA].

« Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n’aperçoivent rien d’extrême, trop de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit, trop de distance et trop de proximité empêche la vue. Trop de longueur et trop de brièveté de discours l’obscurcit, trop de vérité nous étonne. [...] Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche l’esprit ; trop et trop peu d’instruction.

« Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient point et nous ne sommes point à leur égard ; elles nous échappent ou nous à elles.

« Voilà notre état véritable. C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre ; quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle, et nous quitte, et si nous le suivons il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite éternelle ; rien ne s’arrête pour nous. C’est l’état qui nous est naturel et toutefois le plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à [l’]infini, mais tout notre fondement craque et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.

« Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté ; notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences : rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient. [...] »

La citation qui précède est extraite d’un texte très célèbre sur les « deux infinis ». Une erreur commune est d’y voir une lamentation de Pascal sur le triste état de l’être humain. Répétons-nous : une telle lecture passerait à côté de l’ironie que l’on retrouve partout dans les Pensées. Pourquoi diable faudrait-il s’attrister de cet état d’insatisfaction permanente qui nous pousse à aller toujours plus loin ? Chez Pascal, l’homme est misérable parce qu’il ne sait presque rien, mais en même temps il est grand car il a la capacité de tout connaître.

Cependant, un peu plus loin dans ce texte, Pascal souligne un point capital. L’Univers fonctionne comme un tout et il est illusoire de vouloir chercher des vérités partielles ; le véritable savant recherche des principes physiques universels :

« L199-B72 [...] Si l’homme s’étudiait il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu’une partie connût le tout ? mais il aspirera peut-être à connaître au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les parties du monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout.

« L’homme par exemple a rapport à tout ce qu’il connaît. Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d’éléments pour le composer, de chaleur et d’aliments pour se nourrir, d’air pour respirer. Il voit la lumière, il sent les corps, enfin tout tombe sous son alliance. Il faut donc pour connaître l’homme savoir d’où vient qu’il a besoin d’air pour subsister et pour connaître l’air, savoir par où il a ce rapport à la vie de l’homme, etc.

« La flamme ne subsiste point sans l’air ; donc pour connaître l’un il faut connaître l’autre.

« Donc toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties [...] »

On retrouve la même idée dans le concept d’harmonie préétablie de Leibniz :

56. Or cette liaison ou cet accommodement de toutes les choses créées à chacune et de chacune à toutes les autres, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et qu’elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de l’univers. [H]

Cette idée de considérer l’Univers comme un tout et donc de considérer chaque loi physique comme l’expression de l’action de l’Univers dans son ensemble sur lui-même, peut sembler somme toute très naturelle. Elle constitue en fait la ligne rouge qui sépare Pascal et Leibniz de leurs ennemis communs. Tout d’abord, il est visible que Descartes s’y oppose très directement dans le passage du Discours de la Méthode que nous avons cité ci-dessus, en particulier en ce qui concerne ses deuxième et troisième préceptes. Mais de plus, c’est toute la physique newtonienne qui rejette cette idée. Que l’on pense, par exemple, à la loi de gravitation universelle de Newton. Selon cette loi, deux corps s’attirent selon une force inversement proportionnelle au carré de leur distance. Pour décrire le comportement de l’Univers, Newton décompose ce dernier en un certain nombre de corps élémentaires et fait la combinaison des forces réciproques qui s’appliquent sur tous ces corps pris deux à deux. Cela revient à faire dériver une action universelle d’une loi locale !

C’est exactement le contraire du point de vue adopté par Pascal et Leibniz pour lesquels le local doit découler de l’universel. En partant du point de vue de l’Harmonie du monde, de Kepler, on peut, pour le cas particulier de deux corps, en dériver une loi de mouvement qui s’exprime comme si entre ces deux corps existait une force inversement proportionnelle au carré de leur distance. Cependant, lorsque Newton essaie d’appliquer sa loi à plus de deux corps sans faire d’approximations, il n’arrive pas à décrire leur comportement. En fait, d’Alembert a même montré que ce problème des trois corps est mathématiquement insoluble. Or il est facile de démontrer qu’il existe au moins trois corps en interaction gravitationnelle dans le monde physique réel. Ceci est une remarque capitale pour comprendre qu’il y a une erreur fondamentale dans l’approche de Newton à la gravitation universelle qui part du principe que l’Univers est une somme d’actions locales.

Figure 3. Le carré magique
Comment disposer les 25 nombres de 1 à 25 de manière à ce que l’on ait la même somme dans chaque ligne, chaque colonne et chaque diagonale ?

Pour en revenir à la conception de Pascal selon laquelle c’est le local qui découle de l’universel, il est intéressant de voir qu’il ne s’est pas contenté de l’énoncer dans les Pensées, mais qu’il en a également donné plusieurs illustrations dans sa mathématique. Un exemple particulièrement pédagogique est celui de ses travaux sur le carré magique (figure 3). Considérons un tableau carré, c’est-à-dire possédant autant de lignes que de colonnes ; le nombre de cases de ce tableau sera donc égal au carré du nombre de lignes ou de colonnes. Pour se fixer les idées, prenons un tableau de 5 lignes et 5 colonnes, c’est-à-dire de 25 cases. Considérons ensuite une suite arithmétique de 25 nombres ; le plus simple est de prendre la suite des 25 premiers nombres entiers : 1, 2, 3, ..., 24 et 25. Le problème posé est le suivant : comment disposer ces 25 nombres dans les 25 cases du tableau de telle manière que la somme des termes de n’importe quelle ligne soit égale à la somme des termes de n’importe quelle colonne et soit égale à la somme des termes de n’importe laquelle des deux diagonales du carré ?

Si vous connaissez un étudiant scientifique et que vous avez la curiosité de lui demander à quoi peut bien servir un carré magique, il y a fort à parier qu’il vous répondra : « A rien, ce n’est qu’un jeu. » Est-ce bien vrai ? Comment en effet concevoir que Pascal ait pu « perdre son temps » à un simple jeu qui n’a même pas d’application pratique, alors qu’on sait à quel point il déteste le divertissement comme nous avons pu nous en rendre compte ci-dessus ? C’est ici qu’il est bon de se souvenir que dans les Pensées, Pascal essaie de nous aider à combattre nos préjugés et les puissances ennemies de la découverte.

L’intérêt de l’exercice apparaît lorsqu’on essaie soi-même de trouver effectivement la solution au problème. Demandons donc à quelqu’un qui se dit « nul en math » de résoudre le problème. Il va probablement déclarer forfait après quelques tentatives infructueuses. De combien d’années d’études supérieures a t-on besoin pour se rendre capable de trouver la solution ? Quel est le « bagage » universitaire minimum pour y arriver ? Vous le savez certainement, il faut savoir additionner des nombres entiers et c’est tout ! Ah, nous voilà au cœur du problème ! Ce ne sont pas les connaissances formelles qui empêchent de trouver la « solution d’un des plus célèbres et des plus difficiles problèmes d’arithmétique, appelé communément les carrés magiques » [I], la difficulté est ici d’ordre émotionnel. Il est remarquable à quel point, dans la plupart des cas, que l’angoisse de celui à qui on a proposé l’exercice l’empêche même d’écouter ou de lire la question jusqu’au bout. Il ne se rend pas compte qu’il possède toutes les connaissances nécessaires pour réussir.

Néanmoins, peut-être arriverez-vous à trouver quelqu’un qui s’essayera à la difficulté. Observez alors comment il procède. Il y a de fortes chances qu’il commence par essayer de résoudre partiellement le problème. Par exemple, il prendra cinq nombres au hasard qu’il placera dans une première ligne et dont il calculera la somme (peut-être aura-t-il pensé à se demander a priori quelle doit être la valeur de cette somme, mais rien n’est moins sûr). Puis, il cherchera cinq autres nombres dont la somme soit la même qu’il placera dans la seconde ligne, et ainsi de suite. Bien entendu, il se rendra compte avant même d’avoir placé le dernier nombre, que les sommes ne donnent pas le bon résultat dans l’une ou l’autre des colonnes... Sans parler des diagonales ! Ou alors, quand il croira avoir presque réussi, il essaiera de déplacer deux nombres qui provoqueront un défaut dans un autre endroit du carré.

Figure 4. Exemple de transformation d’un carré magique pour en obtenir un second

Vous l’avez compris : un disciple de Descartes ou de Newton aura un sérieux handicap pour trouver une solution car on ne peut résoudre le problème que si l’on considère le carré comme un tout. Les contraintes à respecter doivent être envisagées simultanément et non pas les unes après les autres. Le carré magique est une sorte d’illustration mathématique de la conception de l’espace-temps physique de Pascal : tout se tient, tout est lié à tout. Considérons un carré magique (figure 4). Que se passe-t-il si l’on essaie de déplacer un ou plusieurs nombres, par exemple en permutant deux d’entre eux ? C’est tout l’édifice qui s’effondre ! Est-il possible, à partir d’un carré magique donné, d’en trouver un autre ? Oui, comme on peut le voir sur notre exemple, mais à la condition d’appliquer une transformation sur l’ensemble de la figure et non pas sur une partie.

Alors, à quoi sert un carré magique ? Ce n’est pas le résultat qui compte mais la démarche intellectuelle qui permet d’y arriver. Pascal et Leibniz n’ont pas élaboré leur conception de l’espace-temps physique du jour au lendemain « sans y penser » ; il leur a d’abord fallu façonner leur esprit de manière à ce qu’il soit capable naturellement, pour ainsi dire comme par instinct, de penser l’univers comme un tout harmonique. Cette liberté de penser n’existe pas si l’esprit est formé pour apprendre des leçons par cœur… à contre cœur ; il doit au contraire s’entraîner, jouer à faire des découvertes. A moins de tourner à l’obsession comme c’est sans doute le cas chez certains mathématiciens fous, ce jeu n’a donc rien d’un divertissement.

Le langage qui déstabilise

Il existe d’autres jeux que l’arithmétique qui permettent d’entretenir et de développer l’état d’instabilité nécessaire à l’homme pour le rendre capable de faire des découvertes. Le but d’une bonne éducation consiste à faire en sorte que l’élève ne s’effraye pas lorsqu’il rencontre un paradoxe mais au contraire qu’il en soit content. Il faut que la résolution des paradoxes devienne un plaisir, une activité aussi naturelle que de respirer.

L’une des premières activités qui façonnent l’esprit de l’homme, c’est l’apprentissage de sa langue maternelle. Cependant, un langage dans lequel chaque mot, chaque expression a une signification unique, claire, nette et précise, ne présente en soi ni paradoxe, ni ambiguïté. C’est comme un système axiomatico-déductif : cela ne permet pas de faire de découverte. Cela peut être très utile pour un ordinateur, mais c’est nuisible chez un être humain. A l’opposé, les meilleurs poètes sont ceux qui ont le pouvoir de faire naître dans l’esprit de leurs auditeurs des idées qui ne sont pas dans les mots eux-mêmes, mais dans leur association. Pour cela, ils utilisent des métaphores, c’est-à-dire des expressions qui contiennent un paradoxe formel, une contradiction dans les termes, dont la résolution fait naître une idée : la métaphore entraîne à penser.

Nous avons déjà signalé ci-dessus la métaphore la plus célèbre de Pascal : celle qui considère que l’homme est un « roseau pensant ». Quoi de plus contradictoire que la juxtaposition de ces deux termes ? Un roseau, ça ne pense pas ! Cependant, comme Pascal l’explique par la suite, un roseau est quelque chose de misérable dans la nature, alors qu’au contraire, l’acte de penser est quelque chose de grand. L’homme est donc à la fois grandeur et misère. S’il n’était que grandeur, il serait Dieu et n’aurait pas besoin de chercher à comprendre le monde, et s’il n’était que misère, il en serait incapable. C’est donc la tension entre ces deux extrêmes qui fait que l’homme ne peut faire autrement que de chercher la vérité sans jamais s’arrêter dans cette activité. Les Pensées regorgent de métaphores de ce genre et les découvertes de Pascal tiennent au fait qu’il n’était pas simplement géomètre mais également poète. Qu’on pense à quel point l’enseignement français est compartimenté en matières et en catégories, en un mot : cartésien, et qu’on se demande quelle est la réforme de l’éducation la plus urgente à entreprendre aujourd’hui !

L’éducation de Pascal, par contre, n’a pas connu ce genre de problème. Son père, Etienne Pascal, attachait une importance toute particulière à l’utilisation des métaphores comme nous allons le voir tout de suite. Lorsqu’en 1646, la famille Pascal, alors basée à Rouen, entendit parler de la découverte de Torricelli sur le vide, le jeune Blaise entreprit toute une série d’autres expériences préliminaires pour confirmer le résultat de l’Italien. Etienne Pascal n’a pas regardé à la dépense pour équiper son fils du matériel expérimental dont il avait besoin. Il fallut notamment faire construire des soufflets et de très grands tubes en verre sur mesure. Les résultats de ces expériences ayant été publiés, mais ne permettant pas encore d’énoncer une théorie complète, bien qu’ils confirmaient l’opinion de Pascal sur l’existence du vide, une polémique s’instaura alors entre le jeune savant et le père Noël, un jésuite d’un âge vénérable. Un échange de lettres entre les deux protagonistes a été rendu public. Lorsque le père Talon, un autre jésuite qui servait d’intermédiaire, remit la dernière réponse du père Noël à Pascal, il lui annonça que le père Noël reconnaissait oralement que Pascal avait raison mais qu’il voulait arrêter là leur correspondance. Par respect pour l’âge de son contradicteur, Pascal accepta sans se rendre compte qu’il lui laissait ainsi le dernier mot. Ce dernier ne s’est alors pas gêné pour faire paraître un ouvrage intitulé Le plein du vide, dans lequel il ridiculisait Pascal sans le nommer. Cet ouvrage étant dédié au prince Conti, ce dernier reçut une lettre dédicatoire du père Noël qui finit par être connue. Elle commence de la manière suivante [I] :

Monseigneur,

La Nature est aujourd’hui accusée de vide, et j’entreprends de l’en justifier en la présence de Votre Altesse. Elle en avait bien auparavant été soupçonnée ; mais personne n’avait encore eu la hardiesse de mettre des soupçons en fait, et de lui confronter les Sens et l’Expérience [...].

On notera au passage que tout comme son élève Descartes, le père Noël se montre quelque peu éloigné de la méthode expérimentale. Il n’oppose pas une autre série d’expériences aux travaux de Pascal, mais seulement une interprétation académique de ceux-ci... A cause de la parole donnée, Pascal ne répond pas à cette attaque. C’est son père, furieux, qui monte au créneau pour défendre son fils en écrivant une lettre de protestation au père Noël. Cette longue lettre est remarquable parce qu’Etienne Pascal ne rentre pas dans le fond de la polémique, mais il lance une attaque virulente sur la forme de la lettre du père Noël au prince Conti et, en particulier, sur son incompétence en matière de métaphore ! Il passe donc la plus grande partie de sa lettre à lui faire un cours sur la question et c’est assez cocasse :

[...] Vous ferez alors une réflexion sur les règles de la métaphore ; vous en remarquerez au moins la principale capable toute seule de vous ôter la bonne opinion que vous avez conçue de celle sur laquelle vous avez fondé cette allégorie [...] ce qui fait que le terme métaphorique ne peut point être adapté au sujet qui est directement contraire au premier : ainsi nous appelons par métaphore, une langue serpentine, quand nous parlons d’une langue médisante, parce que le venin de la langue du serpent est comme l’image et le symbole du mal et du dommage que la langue médisante apporte à l’honneur et à la réputation de celui dont elle a médit ; ce qui fait que le même terme métaphorique de langue serpentine ne peut être adapté au sujet contraire, c’est-à-dire à la langue qui chante les louanges d’autrui. [...] Et pour venir à votre métaphore du crime dont vous dites que la Nature est accusée, considérez [...] que ce terme métaphorique de crime, que vous avez pris pour fondement, n’a aucun rapport à l’admission du vide, n’est point crime ni réellement ni métaphoriquement, parce que l’admission du vide n’a aucun rapport avec le crime qui peut raisonnablement lui être comparé. De là il s’ensuit deux inconvénients [...]. Le premier inconvénient est que ce même terme métaphorique de crime que vous avez improprement adapté à l’admission du vide, peut être également adapté au sujet directement contraire, c’est-à-dire la plénitude. Le second est que, comme vous avez adapté le terme de crime à l’admission du vide, on peut également adapter le terme de justice ou de vertu, directement contraire à celui de crime, au même sujet de l’admission du vide ; tellement qu’il serait aussi bien qu’à vous permis à quiconque voudrait se jouer comme vous et tourner en raillerie votre allégorie, de tenir le vide pour une éminente vertu, et, au contraire, tenir la plénitude pour un infâme crime ; et sur ces beaux fondements bâtir une autre allégorie toute pareille à la vôtre.

Moralité : la poésie est une science aussi rigoureuse que la géométrie et l’on ne bâtit pas une métaphore en se contentant de juxtaposer deux termes choisis arbitrairement. Pascal utilise d’autres procédés que les métaphores dans ses textes pour maintenir son lecteur dans un état de tension, mais nous ne nous y étendrons pas, le lecteur des Pensées les retrouvera par lui-même.

Le saut dans l’infini

Cependant, il ne faudrait pas croire que la métaphore soit un simple jeu – un « échauffement intellectuel » – pour apprendre à penser. C’est plus que cela : c’est le langage même de la découverte scientifique, le seul moyen rigoureux par lequel on puisse faire intervenir l’infini dans la science. Si l’on considère par exemple les mathématiques, on constate qu’il s’agit d’un langage formel qui manipule un nombre fini de symboles à partir d’un certain nombre fini de règles opératoires. Il y a un paradoxe à parler de l’infini à l’aide d’un tel langage. Comment Leibniz y est-il parvenu d’une manière rigoureuse ? En utilisant une métaphore : la différentielle. Une quantité différentielle est manipulée comme un nombre fini et pourtant ce n’est pas un nombre, ce n’est pas un petit accroissement linéaire, c’est une quantité d’une autre espèce qu’un nombre bien que l’enseignement actuel des mathématiques tende à escamoter cette nuance capitale. Leibniz lui-même dit que ces quantités sont des fictions ; il dit aussi qu’une différentielle est plus petite que toute quantité donnée, et pourtant elle n’est pas nulle, d’où le paradoxe formel. Cependant, cette découverte n’est pas arrivée par magie dans son esprit. Un certain nombre de savants qui l’ont précédé ont bien préparé le terrain et parmi ceux-là, on trouve l’influence décisive des travaux de Pascal sur l’infini.

Nous sommes des créatures finies, notre langage est fini, donc il est nous absolument impossible de donner une définition formelle (c’est-à-dire sans paradoxe) de l’infini car le fini ne peut pas servir à exprimer l’infini. Pourtant, nous avons la capacité de penser l’infini. Pascal connaît bien ce paradoxe de l’infini. Il ne s’adresse donc pas seulement à la raison pour communiquer l’idée d’infini, car la raison n’est capable au mieux que de voir ses propres limites et la nécessité d’un au-delà, mais il essaie surtout de la faire « sentir » par le cœur. [3]

Revenons donc au magnifique texte des Pensées sur les deux infinis. Ici, l’état de tension et d’instabilité est pour ainsi dire extrême : Pascal ne place pas l’homme – créature finie – face à l’infini mais il met l’homme dans une position très inconfortable, perdu entre deux infinis opposés qui le tiraillent de tous les côtés ! D’une part, l’homme est perdu dans l’infiniment grand, c’est-à-dire le cosmos, mais, d’autre part, comme l’espace est infiniment divisible, l’infiniment petit est également insaisissable. L’homme ne repose pour ainsi dire sur rien ! Par un paradoxe qui rappelle étrangement ceux de Nicolas de Cues, [4] Pascal ajoute que ces deux infinis opposés se rejoignent. L’homme a beau être fini, quelle que soit la direction dans laquelle il regarde, il se tourne vers l’infini. Donc l’acte de découverte, c’est en quelque sorte un saut dans l’infini :

« L199-B72 [...] De ces deux infinis des sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.

« Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver, et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili.

« On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence, et l’étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder, et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. L’un dépend de l’autre et l’un conduit à l’autre. Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

« Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini [...]. »

Comme le montre l’exemple de Démocrite, le père de l’atomisme auquel il est fait allusion ci-dessus, c’est lorsque l’homme essaie d’effacer l’infini dans la science en fixant des limites (atome signifie « indivisible », donc l’atome est une limite à la divisibilité), qu’il arrête de faire de la science et qu’il se berce d’illusions et de principes trompeurs. Cette remarque est particulièrement vraie en ce qui concerne Newton. [5]

Ce que la plupart des géomètres n’arrivent donc pas à comprendre depuis Zénon, c’est cette différence d’espèce qui existe entre le fini et l’infini. Sans la résolution de ce paradoxe par le Cusain, Fermat ou Pascal, le calcul différentiel n’aurait pas pu être découvert. Comme en témoignent les quelques fragments qui nous restent des cours de géométrie que Pascal a donné aux élèves de Port-Royal, on voit qu’il est allé directement au cœur de ce problème. On peut lire par exemple dans De l’esprit géométrique que l’homme n’arrive pas à concevoir l’infinie divisibilité mais que pourtant il ne peut pas la nier sans tomber dans l’absurde, d’où le paradoxe [J] :

« [...] Je n’ai jamais connu personne qui ait pensé qu’un espace ne puisse être augmenté. Mais j’en ai vu quelques-uns, très habiles d’ailleurs, qui ont assuré qu’un espace pouvait être divisé en deux parties indivisibles, quelque absurdité qu’il s’y rencontre. Je me suis attaché à rechercher en eux quelle pouvait être la cause de cette obscurité, et j’ai trouvé qu’il n’y en avait qu’une principale, qui est qu’ils ne sauraient concevoir un continu divisible à l’infini : d’où ils concluent qu’il n’y est pas divisible.

« C’est une maladie naturelle à l’homme, de croire qu’il possède la vérité directement ; et de là vient qu’il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible ; au lieu qu’en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu’il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui parait faux. Et c’est pourquoi, toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle est. Appliquons cette règle à notre sujet.

« Il n’y a point de géomètre qui ne croie l’espace divisible à l’infini. On ne peut non plus l’être sans ce principe qu’être homme sans âme. Et néanmoins il n’y en a point qui comprenne une division infinie ; et l’on ne s’assure de cette vérité que par cette seule raison, mais qui est certainement suffisante, qu’on comprend parfaitement qu’il est faux qu’en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c’est-à-dire qui n’ait aucune étendue.

« Car qu’y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu’en divisant toujours un espace, on arrive enfin à une division, telle qu’en la divisant en deux, chacune des moitié reste indivisible et sans aucune étendue, et qu’ainsi ces deux néants d’étendue fissent ensemble une étendue ? Car je voudrais demander à ceux qui ont cette idée, s’ils conçoivent nettement que deux indivisibles se touchent : si c’est partout, ils ne sont qu’une même chose, et partant les deux ensemble sont indivisibles ; et si ce n’est pas partout, ce n’est donc qu’en une partie : donc ils ont des parties, donc ils ne sont pas indivisibles. Que s’ils confessent, comme en effet ils l’avouent quand on les presse, que leur proposition est aussi inconcevable que l’autre, qu’ils reconnaissent que ce n’est pas par notre capacité à concevoir ces choses que nous devons juger de leur vérité, puisque ces deux contraires étant tous deux inconcevables, il est néanmoins nécessairement certain que l’un des deux est véritable [...]. »

Après avoir ainsi montré qu’en divisant une étendue, on ne peut jamais atteindre un indivisible, il montre inversement que la multiplication des indivisibles ne peut pas donner une étendue :

« [...] Un indivisible est ce qui n’a aucune partie, et l’étendue est ce qui a diverses parties séparées. Sur ces définitions, je dis que deux indivisibles étant unis ne font pas une étendue. Car, quand ils sont unis, ils se touchent chacun en une partie ; et ainsi les parties par où ils se touchent ne sont pas séparées, puisque autrement elles ne se toucheraient pas. Or, par leur définition, ils n’ont point d’autres parties ; donc ils n’ont pas de parties séparées ; donc ils ne sont pas une étendue, par la définition de l’étendue qui porte la séparation des parties. On montrera la même chose de tous les autres indivisibles qu’on y joindra, par la même raison. Et partant un indivisible, multiplié autant qu’on voudra, ne fera jamais une étendue. Donc il n’est pas de même genre que l’étendue, par la définition des choses du même genre.

« Voilà comment on démontre que les indivisibles ne sont pas du même genre que les nombres. De là vient que deux unités peuvent bien faire un nombre, parce qu’elles sont de même genre ; et que deux indivisibles ne font pas une étendue, parce qu’ils ne sont pas de même genre. D’où l’on voit combien il y a peu de raison de comparer le rapport qui est entre l’unité et les nombres à celui qui est entre les indivisibles et l’étendue.

« Mais si l’on veut prendre dans les nombres une comparaison qui représente avec justesse ce que nous considérons dans l’étendue, il faut que ce soit le rapport du zéro aux nombres ; car le zéro n’est pas du même genre que les nombres, parce qu’étant multiplié, il ne peut les surpasser : de sorte que c’est un véritable indivisible de nombre, comme l’indivisible est un véritable zéro d’étendue. Et on en trouvera un pareil entre le repos et le mouvement, et entre un instant et le temps ; car toutes ces choses sont hétérogènes à leurs grandeurs, parce qu’étant infiniment multipliées, elles ne peuvent jamais faire que des indivisibles, non plus que ces indivisibles d’étendue, et par la même raison. Et alors on trouvera une correspondance parfaite entre ces choses ; car toutes ces grandeurs sont divisibles à l’infini, sans tomber dans leurs indivisibles, de sorte qu’elles tiennent toutes le milieu entre l’infini et le néant. [...] »

Il n’est pas indifférent de noter que ces cours que Pascal donne à Port-Royal sont pratiquement contemporains de ses recherches sur le problème de la roulette. Pascal ne base donc pas son enseignement sur des textes académiques que les élèves devraient apprendre par cœur, mais il leur présente la science comme un travail de recherche qui se renouvelle en permanence : ses cours sont un reflet de ses propres recherches.

Au début de l’année 1659, après avoir laissé pendant plusieurs mois les géomètres de son époque plancher sur le problème de la roulette, Pascal publie donc sa solution sous la forme d’une lettre envoyée à celui qu’il avait choisi pour arbitrer le concours : Lettre de M. Dettonville à M. de Carcavi ci-devant conseiller du roi en son grand conseil [I]. En fait, Pascal ne se contente pas de publier sa solution. Tout ce concours n’a été en fait qu’un prétexte pour faire connaître une méthode de calcul beaucoup plus générale que le simple problème de la roulette : il s’agit de la méthode des indivisibles.

Figure 5
a) La somme des ordonnées est égale à la somme des produits de chaque ZM par un élément de l’axe.
b) La somme des ordonnées est égale à la somme des produits de chaque ZM par un élément de la courbe. Les deux sommes ne sont pas égales.

En fait, l’idée des « indivisibles » qu’on attribue communément à Cavalieri et reprise par Roberval, de considérer qu’une surface peut être ramenée à une « somme infinie » de segments ou qu’un volume peut être ramené à une « somme infinie » de surface n’est pas de Pascal. Cependant, avant Pascal, aucun géomètre ne savait l’utiliser d’une manière rigoureuse. En effet, parler d’une « somme infinie » de segments pour faire une surface est une métaphore, ce n’est pas à prendre au sens littéral. Avec Pascal, chaque « segment » devient une « surface infinitésimale » obtenue en faisant le rectangle (la multiplication) de chaque segment par une quantité infinitésimale. Le problème qui embarrassait les géomètres vient du fait qu’il y a plusieurs manières de « couvrir » une surface par une « somme infinie » de segments. Si l’on considère la courbe circulaire CMF délimitée par l’axe CZF, la somme des segments ZM ne sera pas la même suivant que l’on répartisse les différents Z de manière « équidistante » sur l’axe (figure 5a), ou que l’on répartisse les différents M de manière « équidistante » sur la courbe (figure 5b). Pascal rend compte de ce problème dans sa lettre :

« [...] Et c’est pourquoi je ne ferai aucune difficulté dans la suite d’user de ce langage des indivisibles, la somme des lignes ou la somme des plans ; et ainsi quand je considérerai par exemple [figure 5a] le diamètre d’un demi-cercle divisé en un nombre indéfini de parties égales aux points Z, d’où soient menées les ordonnées ZM, je ne ferai aucune difficulté d’user de cette expression, la somme des ordonnées, qui semble n’être pas géométrique à ceux qui n’entendent pas la doctrine des indivisibles, et qui s’imaginent que c’est pécher contre la géométrie que d’exprimer un plan par un nombre indéfini de lignes ; ce qui ne vient que de leur manque d’intelligence, puisqu’on n’entend autre chose par là sinon la somme d’un nombre indéfini de rectangles fait de chaque ordonnée avec chacune des petites portions égales du diamètre, dont la somme est certainement un plan, qui ne diffère de l’espace du demi-cercle que d’une quantité moindre qu’aucune donnée. »

Pascal n’en n’avait plus pour longtemps à vivre. Tant qu’il lui est resté un souffle de vie, il a poursuivi ses recherches en géométrie, mais sa maladie ne lui a laissé que peu de temps. Fermat qui vivait à Toulouse avait de son côté développé une méthode de calcul des tangentes qui avait suscité la colère et la jalousie de Descartes. Au moment où se déroulait le concours de la roulette, Fermat était également trop malade pour pouvoir voyager. Fermat est mort peu de temps après Pascal. Ces deux hommes ont longtemps entretenu une amitié et une collaboration scientifique par courrier sans jamais avoir pu se rencontrer. C’est ainsi que quelques années plus tard, en reprenant les travaux sur la roulette et sur le « triangle arithmétique » au point où Pascal les avait laissés, Leibniz s’est rendu compte que non seulement les indivisibles de Pascal et les tangentes constituaient deux calculs réciproques, mais qu’en plus on pouvait les traduire dans un même langage concis et rigoureux.

La physique précède les mathématiques

La jalousie légendaire de Descartes à l’encontre de Pascal et de Fermat s’explique aisément. De quoi Descartes pouvait-il se vanter ? D’être un excellent géomètre ? Tout comme Newton, il maîtrisait à la perfection les méthodes de calcul existant à son époque. Néanmoins, tout comme Newton, il n’a rien réalisé de révolutionnaire dans ce domaine. Au contraire, en lisant sa Géométrie, on constate qu’il prétend ne tolérer dans cette science que les courbes exprimables par une équation algébrique. Une telle attitude le rend, bien entendu, incapable d’étudier celles qui, comme la chaînette, ne le sont pas. Seul le calcul différentiel a permis de donner une expression mathématique de cette courbe dite « transcendante ». Pourtant, elle est l’expression d’un principe physique, la gravitation : Descartes pouvait l’observer à tout moment s’il laissait pendre un bout de chaînette maintenu à ses deux extrémités. Voilà un intéressant symptôme de la maladie du cartésianisme : Descartes ne s’intéresse qu’à un langage mathématique donné a prior, plutôt qu’à la physique du monde dans lequel il se trouve ! A son époque, Galilée souffrait de la même maladie, lui qui prétendait que la chaînette était en réalité une parabole (car dans la géométrie de son époque, la parabole était la courbe qui « ressemblait » le plus à la chaînette !).

Pourquoi Descartes et Newton ont-ils été incapables de révolutionner la géométrie dans laquelle ils étaient pourtant des experts alors que Fermat, Pascal et Leibniz l’ont fait ? Tout simplement parce que Fermat, Pascal et Leibniz s’intéressaient avant tout au monde réel. Confrontés à un certain nombre de paradoxes que posaient les découvertes en physique de l’époque comme celles de Kepler en astronomie, ils ont été conduits à créer un nouveau langage pour pouvoir les résoudre. Descartes et Newton étaient avant tout des géomètres et ils essayaient de faire rentrer le monde réel dans la cage formelle de leurs axiomes mathématiques.

Dès son plus jeune âge, Pascal a eu la chance de pouvoir comparer ces deux types d’attitudes antagonistes. Etienne Pascal était lui-même un excellent géomètre. Lorsqu’il s’est installé à Paris avec ses enfants en 1635, il est devenu membre de l’Académia parisiensis, l’ancêtre de l’Académie des Sciences, dirigée par Mersenne. Toutes les célébrités du moment s’y rencontraient et travaillaient ensemble : Roberval, Desargues, Gassendi, Cyrano de Bergerac, Le Pailleur, pour ne citer que les plus connus. Ayant découvert qu’à 12 ans son fils Blaise était un génie, Etienne Pascal décida de l’emmener à l’Académie pour qu’il y assiste aux séances. C’est là, en 1637, que l’adolescent fut témoin à distance du premier accrochage sérieux entre Descartes et Fermat. Le sujet de la discussion entre Mersenne, Etienne Pascal et Roberval portait alors sur les deux ouvrages de Descartes qui venaient de paraître : la Dioptrique et les Météores. Comme l’on sait, Descartes avait des prétentions en optique et en astronomie. Cependant, ses ouvrages contenaient un certain nombre d’erreurs et il y manquait par ailleurs plusieurs démonstrations. Or personne à l’Académie n’osait aller affronter la colère de ce grand savant. Que faire ? Il fut décidé que Fermat écrirait de Toulouse à Descartes une lettre anonyme contenant les compléments et les corrections nécessaires. C’était pour Fermat l’occasion de mettre en œuvre sa toute nouvelle méthode de calcul. Malheureusement, Fermat était le seul savant capable de réaliser un tel tour de force et Descartes le reconnut aussitôt. Il alla derechef se plaindre à Mersenne qui fut bien obligé de prendre le parti de Fermat.

Figure 6
Pour se rendre du point A au point B, la lumière prend la trajectoire de moindre temps. D’après ce principe, il découle que le rapport des sinus des angles d’incidence et de réfraction est constant.
De plus, on peut calculer le rapport des vitesses de la lumière dans les deux milieux.

La polémique entre Fermat et les cartésiens sur la question de l’optique ne s’arrête pas là. Elle est, en fait, liée à sa découverte du principe de moindre temps. Comme Fermat étudiait les lois de la lumière, il en arriva à découvrir ce principe physique selon lequel pour se rendre d’un point A à un point B, un rayon lumineux prend la trajectoire de plus courte durée. A partir de ce principe, il pouvait retrouver la loi de la réfraction ou loi des sinus (figure 6), appelée à tort loi de Descartes. Il découlait du principe de moindre temps que la lumière se déplace plus vite dans l’air que dans l’eau. Comme nous l’avons signalé, Descartes n’a jamais trouvé par lui-même l’expression mathématique de la loi de la réfraction. Cela est d’autant plus évident qu’il donne une explication physique tout à fait farfelue de « sa » loi, manifestement plaquée après coup. Il découle de son raisonnement que la lumière se déplace plus vite dans l’eau que dans l’air – donc une conséquence directement opposée à celle de Fermat. L’histoire a donné raison à Fermat au XIXe siècle. Cependant, bien avant cette vérification expérimentale, Huygens et Leibniz avaient épousé son point de vue. Non seulement Leibniz généralisa le principe de moindre temps au principe de moindre action, mais en plus, lorsqu’il publia en 1684 le premier texte de l’histoire sur le calcul différentiel, il donna comme exemple d’application de sa découverte, le calcul de la loi des sinus à partir du principe physique de Fermat.

Quant à Pascal, le fait que le point de départ de sa réflexion soit le monde réel plutôt que les mathématiques ne fait aucun doute. Au moment de la polémique sur la question du vide, la réponse qu’il envoie à la première lettre du père Noël le montre bien. Ce dernier eut le compte rendu des expériences de Pascal et essaya de trouver par quel moyen on pourrait rendre compte de l’espace qui existait entre le mercure et le haut du tube tout en sauvant le principe de « l’horreur du vide ». Il proposa quelques vagues explications. En réponse, Pascal lui reprocha d’émettre des hypothèses sans essayer de les vérifier expérimentalement. Pourtant, une telle vérification est indispensable en science car on peut proposer plusieurs hypothèses différentes qui permettent d’ »expliquer » un phénomène, mais une seule sera vraie. Il faut donc les départager :

« [...] Car comme une même cause peut produire plusieurs effets différents, un même effet peut être produit par plusieurs causes différentes. C’est ainsi que quand on discourt humainement du mouvement, de la stabilité de la terre, tous les phénomènes des mouvements et rétrogradations des planètes s’ensuivent parfaitement des hypothèses de Ptolémée, de Tycho, de Copernic et de beaucoup d’autres qu’on peut faire, de toutes lesquelles une seule peut être véritable. Mais qui osera faire un si grand discernement, et qui pourra, sans danger d’erreur, soutenir l’un au préjudice des autres [...] ? »

L’ironie pascalienne est encore visible ici : Ptolémée, Tycho Brahe et Copernic ont fait tous les trois la même erreur. Ils ont plaqué un modèle mathématique a priori sur le mouvement des astres, à savoir que ce mouvement serait composé d’une combinaison de mouvements circulaires uniformes élémentaires, sans se préoccuper des causes physiques qui ont produit le mouvement observé. Comme Kepler le dit dans son Astronomie nouvelle, c’est lorsqu’il a cherché cette cause dans une force de gravitation, qu’il s’est rendu compte que le mouvement des astres n’est pas circulaire mais elliptique. Pascal demande, ici encore, à son correspondant de faire un choix impossible entre trois géomètres qui commettent la même erreur de principe. Après avoir montré que les objections du père Noël contre le vide ne tiennent pas, il finit sa lettre par une insolence déguisée en compliment :

« [...] Au reste, on ne peut vous refuser la gloire d’avoir soutenu la physique péripatéticienne, aussi bien qu’il est possible de le faire : et je trouve que votre lettre n’est pas moins une marque de la faiblesse de l’opinion que vous défendez, que de la vigueur de votre esprit.

« Et certainement l’adresse avec laquelle vous avez défendu l’impossibilité du vide dans le peu de force qui lui reste, fait aisément juger qu’avec un pareil effort, vous auriez invinciblement établi le sentiment contraire dans les avantages que les expériences lui donnent [...]. »

Enfin, pour achever de se convaincre que Pascal rejette tout modèle géométrique a priori de la physique, il est intéressant de revenir à son texte De l’esprit géométrique. Pascal commence par y expliquer que si nous pouvons reconnaître immédiatement ce que l’on nomme les nombres, le temps, l’espace et le mouvement, en revanche, leurs propriétés ne sont pas évidentes en elles-mêmes. Ceci étant dit, il ajoute :

[...] On trouvera peut-être étrange que la géométrie ne puisse définir aucune des choses qu’elle a pour principaux objets : car elle ne peut définir ni le mouvement, ni les nombres, ni l’espace ; et cependant ces trois choses sont celles qu’elle considère particulièrement et selon la recherche desquelles elle prend ces trois différents noms de mécanique, d’arithmétique, de géométrie, ce dernier mot appartenant au genre et à l’espèce. [...] Ces trois choses [...] ont une liaison réciproque et nécessaire. Car on ne peut imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meuve ; et cette chose étant une, cette unité est l’origine de tous les nombres ; enfin le mouvement ne pouvant être sans espace, on voit ces trois choses enfermées dans la première. Le temps même y est aussi compris : car le mouvement et le temps sont relatifs l’un à l’autre [...]

Donc la géométrie permet de tirer avec certitude les conséquences des hypothèses faites dans le domaine de la physique, mais chez Pascal il n’y a pas de notion d’espace ou de temps évidente en soi contrairement à ce qu’on retrouve chez Descartes ou chez Newton.

Le vide de l’empirisme

Chez Newton, le monde est essentiellement vide. Il y a tout d’abord un espace absolu cartésien à trois dimensions, posé comme évident en soi et vide. Parallèlement à cela, il y a un temps absolu évident en soi et qui s’écoule de manière uniforme indépendamment de tout. Dans cet espace-temps géométrique, il n’y a essentiellement rien sauf des particules indivisibles qui interagissent les unes sur les autres de manière chaotique et évoluent dans ce vide. On a dans cet Univers une indépendance réciproque absolue entre le temps, l’espace et la matière qui, non seulement, a été contredite par la physique relativiste, mais qui, en plus, est opposée à l’idée d’espace-temps physique de Pascal. Etant donné que Newton et Pascal défendent tous les deux l’existence du vide mais selon des hypothèses si antagonistes, ne pourrait-on pas essayer de comparer leurs conceptions respectives du vide ?

En fait, il faut pour cela revenir à la polémique entre Pascal et le père Noël. Pour expliquer la descente du mercure dans le tube, ce dernier fait la proposition suivante : l’air a deux composantes, l’une est « grossière », l’autre est « subtile ». Lorsque le tube est retourné sur la cuve de mercure, la colonne de mercure tend à descendre sous l’effet de son propre poids. Cependant, comme la « Nature a horreur du vide », l’espace laissé par le mercure est remplacé par de l’air subtil qui peut passer à travers les pores du tube en verre laissant l’air grossier se masser sur la paroi extérieure du tube. Toutefois, l’air grossier et l’air subtil sont intimement liés, ils ne peuvent pas se séparer, et l’air grossier accumulé sur le tube retient en partie l’air subtil qui n’a pas la force de remplir tout le tube de cette manière. Donc, le mercure s’arrête de descendre au-delà d’un certain niveau car sinon il se créerait un vide dans le tube. CQFD ! Pascal n’a aucun mal à montrer que cette explication ne tient pas, car s’il fallait l’admettre, alors en prenant des tubes de sections différentes, le mercure y descendrait à des niveaux différents suivant les cas ; or les expériences de Pascal montrent que quelle que soit la section du tube, le mercure descend rigoureusement au même niveau. L’hypothèse du père Noël ne tient donc pas la route.

Cependant, il reste à trouver quel est le phénomène physique qui se produit réellement. Pascal émet donc une double hypothèse. D’abord, il suppose que la nature n’a pas horreur du vide et que c’est bien du vide que l’on a dans l’espace libéré par le mercure dans le tube. Il reste à expliquer pourquoi, dans ce cas, le mercure ne descend pas jusqu’en bas. C’est parce que l’air extérieur pèse sur la surface de mercure dans la cuve et que cette pression vient compenser le poids de la colonne de mercure. Cette hypothèse a été, en réalité, émise en premier par Torricelli, mais celui-ci ne l’a pas prouvée.

Pour valider cette hypothèse, il faut proposer une expérience nouvelle dont l’hypothèse aura prévu a priori le résultat. Pour cela, Pascal fait un raisonnement et un pari. Si l’air a un certain poids, alors ce poids doit diminuer au fur et à mesure qu’on s’élève, par exemple en gravissant une montagne. En effet, ce poids est lié à la quantité d’air que nous avons au-dessus de nos têtes et cette quantité est finie car sinon nous serions écrasés par une pression infinie. Donc, si nous nous élevons, la quantité d’air qui pèse sur nous doit diminuer. Voilà pour le raisonnement. Quant au pari, Pascal suppose que quand gravit une montagne, la variation de pression est suffisamment importante pour qu’on puisse la mesurer avec une colonne de mercure. Pascal étant resté à Paris, il envoya les spécifications de l’expérience cruciale à son beau-frère, Florin Périer, qui habitait Clermont-Ferrand. Le 19 septembre 1648, Florin Périer gravit le puy de Dôme en compagnie d’un certain nombre de religieux et de laïcs scientifiques. A chaque étape de cette ascension, l’équipe mesura soigneusement la variation de hauteur d’une colonne de mercure dans un tube retourné sur une cuve, tandis qu’en même temps un opérateur restait à Clermont-Ferrand pour surveiller une autre colonne de mercure identique qui servait de référence – pour voir en particulier si elle n’évoluait pas au cours de la journée.

Non seulement l’expérience fut un succès retentissant mais, en plus, elle permit à Pascal de jeter les bases de la mécanique des fluides. C’est ainsi qu’il montra, par exemple, comment un objet métallique pourrait flotter sur l’eau. Il s’est également amusé à calculer la masse d’air que pouvait contenir l’atmosphère terrestre et il obtint un résultat dont la différence avec la valeur connue aujourd’hui est de l’ordre de 30 %. Une précision extraordinaire compte tenu des moyens de l’époque !

Etant donné ce succès indiscutable, il faut maintenant revenir au problème que nous avons posé au début de cet article : comment se fait-il que Leibniz soit contre le vide dans sa polémique qui l’oppose à Newton ? Il faut bien voir que Leibniz fait le même reproche à Newton que Pascal fait à Descartes : de raisonner en géomètre et non pas en physicien. Comme Leibniz le dit et le répète dans la Correspondance Leibniz-Clarke, il n’y a pas d’espace absolu, de temps absolu et de matière indépendants les uns des autres, mais il y a un espace-temps physique relatif : tout agit sur tout dans notre Univers. Dans un tel contexte, il ne peut pas y avoir d’action à distance sans un médium qui transmette les forces, sinon il faudrait admettre ce que Leibniz appelle des qualités occultes, c’est-à-dire la magie. Et c’est bien la magie qui intéresse Newton qui était, comme on le sait, un adepte de l’alchimie et des sciences occultes.

En fait, il n’y a pas de différence entre le vide de Newton et le néant, c’est-à-dire rien. Il est intéressant de voir que Leibniz utilise contre Newton un argument qui ressemble beaucoup à l’un de ceux que le père Noël utilise contre Pascal : si l’on considère l’espace entre la colonne de mercure et le haut du tube, on constate qu’on peut voir à travers. Ceci signifie que ce « vide » a une certaine propriété physique, celle de laisser passer la lumière. Or s’il a une propriété physique, cela veut dire que le vide n’est pas le néant. Ainsi, il y a entre la colonne de mercure et le haut du tube un certain milieu. Jusque-là, Leibniz et le père Noël sont sur la même longueur d’onde. Là où ils se séparent, c’est quand le père Noël affirme que ce milieu, c’est de l’air. Il raisonne par rapport à des modèles préétablis : comme il ne connaît pas d’autre milieu transparent que l’air, il en déduit que ce milieu est de l’air. Leibniz ne prétend jamais une telle chose. Il pense qu’il y a là un certain milieu qui ne correspond pas à ce qu’on sait de la matière à son époque, il l’appelle « air subtil » faute de meilleure expression dans le langage de son temps, mais dans un sens différent de celui des cartésiens. Quel est ce milieu ? C’est aux futurs physiciens d’y répondre, même si pour cela ils doivent révolutionner nos présupposés en ce qui concerne nos notions d’espace-temps physique.

Solution d’un problème

Leibniz est-il donc éloigné du sentiment de Pascal sur le vide ? Pour répondre à cela, relisons la réponse de Pascal à la première lettre du père Noël :

[...] D’où l’on peut voir qu’il y a autant de différence entre le néant et l’espace vide, que de l’espace vide au corps matériel ; et qu’ainsi l’espace vide tient le milieu entre la matière et le néant. [...]

Eh bien non ! Il n’y a pas de contradiction entre le point de vue de Leibniz et celui de Pascal car le vide de Pascal n’est ni la matière connue ni le néant. Bien que, formellement, ils aient défendu des points de vue apparemment opposés, mais à des moments différents et face à des adversaires différents, en réalité, ils font tous les deux partie de la même tradition humaniste. Celle qui veut que l’homme puisse vivre librement sa condition humaine et que chaque individu ait la joie de faire des découvertes pour le bien de tous.


Notes

1. On la trouve aujourd’hui en librairie, en général associée au Discours de métaphysique dont elle est contemporaine.

2. L’une des formes française de cette maladie cartésienne dans la culture française est le célèbre schéma de pensée « Thèse, Antithèse, Synthèse »… Foutaise.

3. Cependant, et Pascal est très clair, même si le cœur est « au-dessus » de la raison, il ne va pas contre la raison pour autant. Le rapport entre le cœur et la raison est le même qu’entre l’infini et le fini : ce sont des espèces différentes.

4. Dans le même ordre d’idées, une autre pensée montre encore plus directement l’influence de l’auteur de De la docte ignorance : « L83-B327 Le monde juge bien des choses, car il est dans l’ignorance naturelle qui est le vrai siège de l’homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent, la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant, l’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir trouvent qu’ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis, mais c’est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d’entre deux qui sont sortis de l’ignorance naturelle et n’ont pu arriver à l’autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout. [...] » Le lecteur aura compris que l’origine de cette école de pensée remonte à la tradition socratique.

5. Non seulement Newton est un atomiste au sens philosophique du terme, c’est-à-dire qu’il croit que la matière est constituée de particules élémentaires indivisibles, mais en plus son calcul des fluxions n’est qu’une parodie du calcul différentiel de Leibniz car il ne manipule que des quantités finies là où Leibniz fait intervenir ses différentielles qui sont d’une autre espèce que les nombres finis. Voilà un paradoxe intéressant : le calcul différentiel et le calcul des fluxions sont donc séparés par une barrière infinie et pourtant, n’importe quel mathématicien d’aujourd’hui vous dirait que ces deux calculs sont identiques parce que leurs règles opératoires sont identiques d’un point de vue formel !

Bibliographie

A. B. Pascal, Œuvres complètes, présentation et notes de Louis Lafuma, préface d’Henri Gouhier, Seuil.

B. B. Pascal, Œuvres complètes, présentation et notes de Louis Lafuma, préface d’Henri Gouhier, Seuil.

C. G. Leibniz, Historia et Origo Calculi Differentialis, Hanovre 1846. Ce texte a été traduit du latin en allemand par Gerhardt en 1848, et traduit de l’allemand en anglais par Child (Chicago) en 1920.

D. J. Attali, Blaise Pascal ou le génie français, Fayard.

E. P. Bonnefoy et G. Rivière-Wekstein, « C’est la faute à Voltaire », Fusion, n°84, janvier-février 2001.

F. B. Pascal, Les Pensées. Nous avons indiqué ici la numérotation de Lafuma par un « L » et celle de Brunschwicg par un « B ». La première se retrouve dans les Œuvres complètes du Seuil, la seconde chez Garnier-Flammarion.

G. R. Descartes, Le Discours de la Méthode, Maxi-Poche Classiques français.

H. G. Leibniz, La Monadologie, Le livre de poche.

I. B. Pascal, Œuvres complètes, présentation et notes de Louis Lafuma, préface d’Henri Gouhier, Seuil.

J. B. Pascal, De l’esprit géométrique, Garnier-Flammarion.