République ou empire ; créativité ou contre-culture

vendredi 4 janvier 2008, par Helga Zepp-LaRouche

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Les 17 et 18 novembre 2007, le LYM argentin a tenu un séminaire à Buenos Aires, auquel ont assisté, via Skype, d’autres jeunes militants réunis à Mexico et à Bogota. A cette occasion, Helga Zepp-LaRouche s’est adressée à eux par téléphone.

Je suis heureuse de pouvoir vous parler aujourd’hui, car l’Argentine est un pays que je trouve fascinant. (...) Vous avez une grande tradition à faire revivre, et avec le gouvernement Kirchner, vous êtes en bonne position pour le faire, alors que l’Argentine joue d’ores et déjà un rôle important dans toute l’Amérique latine.

Nous, en Europe, écoutons avec grand intérêt le président Kirchner évoquer Franklin Roosevelt et la nécessité d’un new deal. Ce que fait le gouvernement argentin apparaît très intéressant, comparé à l’état lamentable des gouvernements européens qui, même s’il y a quelques personnes intéressantes ici ou là, se sont entièrement soumis à la superstructure supranationale de l’Union européenne.

Celle-ci est effectivement un genre d’entité impériale, ou du moins elle aimerait l’être, ce qui se manifeste clairement dans ses attaques ouvertes contre la souveraineté nationale des pays membres. En outre, l’élargissement de l’Union européenne à l’Est n’est pas considéré comme quelque chose de foncièrement différent de l’élargissement de l’OTAN à l’Est, du point de vue des Russes et des pays d’Asie.

Vous êtes donc dans une situation relativement favorable en Argentine, par rapport au rôle et à la mission historique du LYM (Mouvement des jeunes larouchistes), vu la situation spéciale du gouvernement.

Il y a, je pense, deux axes prioritaires pour votre travail, comme pour toute notre organisation internationale. Nous avons tout d’abord l’accélération fulgurante de l’effondrement du système financier dans son ensemble. Je suis d’ailleurs heureuse à l’idée que la Banque du Sud sera créée début décembre en Argentine, à Buenos Aires, parce que cela peut aller dans la même direction que le bouclier que LaRouche essaie de faire adopter aux Etats-Unis avec la Homeowners and Banking Protection Act [loi sur le protection des propriétaires de logement et des banques] (HBPA). La Banque du Sud, dans la mesure où elle sert de mécanisme pour financer l’infrastructure et d’autres projets de développement, représente un autre aspect de l’intérêt général.

En ce sens, je voudrais encourager chacun d’entre vous, surtout les nouveaux, à étudier l’économie physique. Il s’agit de comprendre ce que Franklin Roosevelt a fait pour sortir de la grande dépression dans les années 1930, ou encore le célèbre plan Lautenbach, présenté en 1931 en Allemagne par un économiste, au cours d’une réunion secrète de l’Association Friedrich List, et qui se basait pour l’essentiel sur le même principe que le new deal : lorsqu’une dépression mondiale se combine à une crise monétaire mondiale, les mécanismes du marché ne fonctionnent plus ; la seule solution, c’est la création de crédit national.

Un plan similaire avait aussi été présenté par le mouvement syndical allemand en 1931, baptisé le « plan Woytinsky-Tarnow-Baade (WTB) », du nom de trois économistes du mouvement syndical. Actuellement, nous avons un grand ferment social en Allemagne, avec la grève des conducteurs de train, et nous intervenons auprès des syndicats pour les pousser à se battre pour un plan similaire de création de crédit national.

Tous ces sujets sont bouillants. Aussi, préparez-vous à devenir des experts en économie physique et des instigateurs de reprise économique.

Combattre la contre-culture

Le second axe prioritaire est la lutte contre la contre-culture impériale, par laquelle on essaie d’imposer un esclavage mental. La génération des baby-boomers avait déjà son « industrie du divertissement » on ne peut plus stupide, avec ses films idiots d’Hollywood et ses jeux télévisés débiles, mais l’assaut actuel contre les jeunes du monde entier est bien pire, avec la réalité virtuelle des jeux vidéo, de MySpace, Facebook, etc., combinée à une musique pop dégénérée, dans toutes ses variantes - heavy black metal, rock satanique, gothique et toutes les sous-versions du hip-hop, rap, métal et autres (et il y a sans cesse de nouvelles sous-espèces, où chaque communauté de fans pense que sa version spécifique est la plus créative).

Or si vous regardez le tout, vous vous apercevez qu’il n’y a pas la moindre créativité ! Avec l’ensemble de la réalité virtuelle d’internet, les jeux vidéo, Second Life [Seconde vie] et la musique pop dégénérée, la contre-culture de la jeunesse actuelle est bien pire que celle des baby-boomers. Dans un certain sens, elle est aussi plus facile à reconnaître - tellement elle est atroce.

Je devrais préciser, pour les personnes qui viennent de découvrir notre mouvement, que Lyn [Lyndon LaRouche] a créé toute notre organisation pour contrer ce phénomène. Dans son dernier écrit, Evénements extrêmes, il souligne un point intéressant : la méthodologie de l’oligarchie financière, telle qu’elle s’exprime dans l’utopie de la prétendue « révolution dans les affaires militaires » - c’est-à-dire l’idée de mener la guerre uniquement avec une armée de l’Air dotée d’armes super-précises, éliminant le recours à l’armée traditionnelle, comme on a tenté de le faire dans la guerre d’Irak et comme le prévoit le plan du [vice-Président américain] Dick Cheney contre l’Iran - est identique à celle qui est utilisée pour les jeux vidéo. Et [le ministre américain des Finances] Henry Paulson fait preuve de la même schizophrénie, face à l’effondrement financier : il joue au super-casino, en créant toujours plus de liquidités.

Cette observation de Lyn est très utile, car elle pointe du doigt une façon de penser mécaniste spécifique.

Il faut se rappeler que Lyn a découvert sa méthode d’économie physique entre 1948 et 1952, dans le but conscient de contrer Norbert Wiener, John von Neumann et leur prétendue « théorie de l’information » et l’analyse systémique. Il s’est aperçu que leur tentative de décrire l’économie réelle (physique) à l’aide de modèles statistiques mathématiques ne pouvait pas fonctionner.

A l’époque, Lyn était déjà très engagé dans l’étude de Leibniz et de la composition classique de Beethoven, et il a donc pu reconnaître sans peine que Norbert Wiener et John von Neumann laissaient hors de l’équation un facteur décisif : l’effet d’une découverte créative, l’impact de la science et de la technologie sur la productivité de l’économie. Car l’injection de découvertes scientifiques et technologiques dans l’économie provoque un effet non linéaire, impossible à prévoir avec des méthodes statistiques ou d’analyse systémique. C’était le début de ce qui allait devenir le modèle LaRouche-Riemann d’économie physique.

Sans le savoir entièrement à l’époque, Lyn était déjà radicalement opposé à ce que nous appelons aujourd’hui la « faction impériale » du modèle anglo-américain ou anglo-hollandais. A titre d’exemple, après la mort regrettée [du président américain] Franklin Roosevelt en 1945, il fut remplacé par Harry Truman, l’un des premiers représentants de cette faction militaire « utopienne ».

En effet, il commit le crime de guerre absolu, en lâchant les deux seules bombes nucléaires existantes sur Hiroshima et Nagasaki, alors qu’il n’y avait aucune justification militaire pour cet acte, vu que les Japonais avaient déjà ouvert des négociations en vue de terminer la guerre. Ce faisant, Truman établit le principe dont H.G.Wells avait déjà parlé au début du XXème siècle, bien avant que les armes nucléaires existent. A savoir, qu’il existerait un jour des armes si terribles que les peuples abandonneraient volontairement leur souveraineté, uniquement pour échapper aux conséquences de l’utilisation de ces armes.

Peu après, en 1946, Bertrand Russell appela à une attaque nucléaire préemptive contre l’Union soviétique. Par la suite, cette faction utopienne s’est exprimée le plus clairement dans ce livre horrible de Samuel Huntington, The Soldier and the State [Le Soldat et l’Etat], publié en 1957.

Jeux vidéo : de l’usage militaire à l’usage civil

Je me suis infligé la lecture de ce livre (c’est un vrai pavé de 800 pages) au cours d’un voyage en train vers Paris qui a duré plusieurs heures, car je voulais me représenter l’état d’esprit de l’ennemi. Huntington y décrit les deux traditions dans l’armée.

La première remonte à Lazare Carnot et à l’idée des réformateurs prussiens autour de Scharnhorst, pour qui l’armée est là pour défendre la souveraineté nationale, et les soldats doivent avoir un rôle exceptionnel dans la société et y être pleinement intégrés. Ils doivent aussi suivre la Auftragstaktik, [tactique de mission], c’est-à-dire comprendre le plan de guerre dans son ensemble pour être capables, au cas où leur unité serait séparée du reste de l’Armée, de mener à bien le plan de l’état-major.

En Allemagne, on parlait à l’époque de « l’autorité interne de l’Armée », qui signifie qu’il doit y avoir un haut niveau moral dans l’armée, que les soldats doivent obéir à leur seule conscience et à leurs principes, car il existe une légitimité supérieure à l’ordre donné par le commandement militaire. Et si ce commandement donne un ordre non fondé ou criminel, officiers et soldats ne sont pas tenus d’y obéir.

Huntington compare cette conception patriotique de l’armée à celle de la légion, comme dans l’Empire romain, où les mercenaires exécutaient tout ce qu’on leur ordonnait. Selon lui, ce second modèle, l’armée impériale, est de loin le meilleur.

En même temps, un débat se déroulait au sein de cette même faction utopienne sur le fait qu’au cours de la Deuxième Guerre mondiale, seulement 15 % des soldats étaient prêts à tirer sur d’autres êtres humains, même s’ils savaient que c’était l’ennemi. Car tirer sur d’autres êtres humains va à l’encontre d’une impulsion naturelle chez l’homme, qui consiste à ne pas vouloir tuer les représentants de sa propre espèce.

Plus tard, cette section de l’armée commencera à développer des jeux de tir, dans l’idée d’augmenter le nombre de morts chez l’ennemi, en tenant compte du fait que lorsqu’un être humain normal tire sur quelqu’un, ça le met dans un état d’excitation, la production d’adrénaline durant environ quinze minutes, après quoi les nerfs se calment. Cet entraînement partait de la nécessité de changer cela, un soldat ne pouvant pas attendre quinze minutes après chaque tir.

On a donc commencé par monter des cibles mobiles en carton, qui bougeaient rapidement. Et il a fallu aussi combattre une autre impulsion, l’autoprotection normale qui vous fait tirer sur le même ennemi jusqu’à ce qu’il ne bouge plus du tout au sol, avant de « passer au suivant » ; pour surmonter cela, ils ont entraîné les soldats à tirer très rapidement sur différentes cibles mobiles, dans la mesure du possible sans aucune réaction émotionnelle.

Ce type d’entraînement militaire, qui allait se faire plus tard par jeu vidéo, était déjà mauvais pour l’Armée. Comme je l’ai dit, il était promu par la faction utopienne, celle contre laquelle le président Eisenhower avait mis en garde à la fin de son mandat, expliquant qu’il existait aux Etats-Unis un « complexe militaro-industriel » qui pourrait devenir particulièrement dangereux et devrait être surveillé de très près.

Bien que cette approche soit déjà inquiétante dans l’Armée, du moins est-elle pratiquée dans le cadre de la discipline militaire, avec un officier, des experts pédagogues, etc.

Mais faire subir le même entraînement aux enfants et aux adolescents a un effet absolument dévastateur, car les jeunes - vous le voyez chez de plus jeunes que vous - ne sont pas encore développés sur le plan émotionnel : ils s’effraient facilement, deviennent rapidement hystériques et ont différents types de réactions émotives, ce qui est normal pour les enfants. Si on prend ce type d’entraînement - conçu à l’origine pour augmenter le nombre de soldats ennemis tués au combat par une armée impériale - et qu’on le commercialise à des fins de profit, parmi des millions et des millions de jeunes dans le monde entier, on obtient exactement le genre de phénomène que l’on constate aujourd’hui : les jeunes jouent à des jeux vidéo violents pendant des heures et des heures, et deviennent complètement estropiés émotionnellement, voire autistes, s’ils le font assez longtemps.

Maintenant, je vous explique pourquoi je me suis intéressée à cette question, car je n’avais jamais joué à ces jeux vidéo (le travail créatif que je dois assurer ne m’autorisait pas à perdre mon temps avec cela). Un soir, nous avions des invités à la maison, un couple et leurs deux enfants, et alors que je faisais le café dans la cuisine, l’enfant de six ans est venu me rejoindre et me demanda si je connaissais Pokémon.

Quand je lui répondait que non, il décréta que j’étais stupide et que je voyageais trop (à table nous avions parlé de nos voyages en Inde et en Chine). Il était extrêmement agressif pour un enfant de six ans, et j’en étais étonnée. Je lui répondis que je ne pensais pas être stupide, mais il insista : si tous les enfants du monde connaissent Pokémon et pas moi, alors c’est que je devais être stupide. Je lui dis alors : « Eh bien, je ne pense pas que tous les enfants du monde connaissent Pokémon, car, en Chine et en Inde par exemple, les enfants sont si pauvres qu’ils n’ont pas d’électricité, et donc pas de Pokémon. - Non, c’est pas vrai ! dit-il. La Chine est très proche du Japon, et au Japon tout le monde connaît Pokémon, donc en Chine aussi on connaît Pokémon. »

J’ai été si choquée par ce comportement que j’ai fait l’effort d’aller à un soi-disant « tournoi » dans une galerie marchande aux &Etats-Unis, où il y avait une pancarte gigantesque de Pokémon et des centaines de Playstations. Je me suis rangée dans la queue avec plusieurs parents et leurs enfants, et en attendant de pouvoir jouer, j’ai demandé à des garçons de 3 à 4 ans devant moi, de tout petits enfants, pourquoi ils aimaient Pokémon. Ils m’ont répondu : « Nous aimons la bagarre ! bagarre ! bagarre ! » J’ai tout de suite dit : « Mais est-ce que ce n’est pas plus gentil d’aimer quelqu’un et d’être gentil avec les gens ? » « Non ! Non ! la bagarre ! bagarre ! »

J’ai donc décidé de creuser le sujet. Très vite, je me suis rendue compte que Pokémon, les jeux vidéo et autres divertissements similaires mènent véritablement à une terrible noirceur de l’âme. Quand Lyn parle des « zombies du cyberespace », y compris les gens qui ont une identité complètement virtuelle via MySpace et autre, je comprends très bien ce qu’il veut dire. C’est le même type de réalité virtuelle qui domine le système financier dans son ensemble, qui est devenu un grand casino où l’on parie sur des instruments, avec produits dérivés, fonds d’investissement privés, véhicules d’investissement et autres folies.

Lyn souligne un autre point important dans son dernier écrit, qui m’a d’abord surprise, mais qui, après y avoir réfléchi, m’a ouvert les yeux. Nous avons eu beaucoup d’incidents d’élèves et étudiants qui commettent un massacre à l’école, comme ce jeune Finlandais, ou comme l’assassinat de cette jeune fille à Pérugia en Italie, ou encore cet autre jeune de 14 ans avec qui ce Finlandais était en contact et qui planifiait une fusillade similaire à son lycée en Pennsylvanie, qui a été déjouée parce que quelqu’un a alerté les professeurs, et on a trouvé un stock d’armes important dans sa chambre. Lyn observe que c’est la même maladie mentale qui guide à la fois les kamikazes en Asie du Sud-Ouest, les élèves qui commettent ces tueries, les joueurs opérant dans les fonds spéculatifs et enfin, les promoteurs de la « révolution dans les affaires militaires ». Ce qu’ils partagent tous est une aliénation par rapport à la réalité.

Ces gens vivent dans un monde synthétique, non existant, et si on pense que plusieurs centaines de millions de gens, voire des milliards, sont impliqués dans ce monde virtuel, on peut vraiment parler d’une décadence en masse de la civilisation.

La pensée classique de Lessing

Pour le LYM argentin, la meilleure chose à faire pour soutenir le rôle historique de leur gouvernement en ce moment, en plus d’étudier et d’enseigner la science de l’économie physique, est de défendre la méthode de penser classique et la culture classique. Vous avez un certain avantage en Argentine, parce que votre pays appartient historiquement à la culture européenne, et vous devriez pouvoir facilement vous reconnecter à la Renaissance italienne et à la période classique allemande en particulier.

Laissez-moi vous parler un peu de la « pensée classique » allemande, car c’est, à mon avis, le meilleur antidote aux émotions malsaines associées aux jeux vidéo violents et à tout ce monde virtuel.

Je commencerai par vous parler d’un poète qui a jeté les bases de la pensée classique, Lessing [1729-1781], qui, avec Moses Mendelssohn [1729-1786], accomplit une oeuvre héroïque. La guerre de Trente ans et celle de Sept ans avaient laissé les pays d’Europe durement dévastés.

Après la mort de Leibniz [1646- 1716], une immense contre-opération fut montée par les « lumières » françaises et anglaises pour contrer son influence. Les deux poètes Lessing et Mendelssohn commencèrent à lutter contre les « lumières » anglaises et tout ce qui dominait à ce moment-là dans les cours européennes, principalement la culture française dégénérée, avec Voltaire et autres.

Si vous regardez l’image de l’homme véhiculée à cette époque par les lumières anglaises, avec Locke et Hobbes par exemple, vous vous apercevez qu’elle est identique à celle de la faction impériale actuelle. Pour eux, en somme, l’homme est naturellement mauvais, il est incapable d’idées et la seule connaissance qu’il puisse avoir vient des perceptions sensuelles. Et si l’on a suffisamment de perceptions, on peut arriver à certaines conclusions et les appeler « idées », mais en termes de principes universels, les idées n’existent pas. Et puisque l’homme est par nature mauvais, ses émotions le sont aussi.

Par conséquent, « l’homme est un loup pour l’homme » et pour empêcher un chaos total, tout le monde doit se soumettre au Léviathan, à une dictature oligarchique qui « supprime le démon en l’homme ». Tout le monde doit accepter un contrat social, accepter d’être esclave dans une dictature, parce que c’est la seule façon dont la société peut fonctionner.

N’est-ce pas plutôt cette conception qui est foncièrement mauvaise ?

Lessing, qui était fortement influencé d’un côté par Leibniz et de l’autre par Shakespeare, développa la notion de l’« éducation esthétique de l’homme », notamment pour contrer les Lumières anglaises et françaises. Cette notion a été quasiment oubliée aujourd’hui, mais au XVIIIème siècle, on l’a conçue comme moyen scientifique de changer et d’élever l’homme. Lessing la développa tout à fait consciemment pour réfuter Aristote, pour qui l’homme n’est sensible qu’à la peur et à la compassion. La peur est nécessaire, disait-il, car sans peur, l’homme ne peut pas réaliser la « catharsis » de ses émotions.

A cela, Lessing répondit non. La clé pour l’épanouissement de l’individualité est un développement beau et harmonieux de chaque personne. Ce qui renforce l’individu est bon et a contrario, tout ce qui l’induit à se comporter selon un phénomène de masse, un homme noyé dans la masse, est considéré comme destructeur.

J’ai essayé de m’imaginer ce que Lessing voulait dire, au XVIIIème siècle, par « masse ». Peut-être pensait-il à une grande foule sur la place du marché, ou un autre grand rassemblement, mais à l’échelle d’aujourd’hui, c’était certainement moindre.

Aujourd’hui, on a des masses de spectateurs, voire des centaines de millions, qui regardent le même match de foot à la télé. On a des concerts pop où des dizaines de milliers d’individus font la même chose, s’agitant dans la même orgie. Des millions de gens jouent aux jeux vidéo, des millions de jeunes vivent leur soi-disant Second Life[Secondevie] dans une réalité virtuelle. J’ai lu quelque part que, chaque jour,chacundes grands jeux d’ordinateur comme Doom ou Counterstrike sont pratiqués en moyenne par 500 000 personnes ! Compte tenu du nombre de jeux qui existent, on arrive à l’inquiétante conclusion que des centaines de millions de gens font exactement la même chose, jouent au même jeu idiot, sans créativité. Voilà le pire type de masse qu’on puisse imaginer.

Face à cela, Lessing prônait l’éducation esthétique de l’homme, qui voulait dire, pour lui, l’ennoblissement moral de l’âme, le développement du caractère, l’éducation des émotions, de manière àce que les émotions arrivent au même niveau que l’esprit et la raison. L’éducation esthétique estlà pour surmonter toute contradiction entre la raison et les émotions irrationnelles.

Aristote avait une conception complètement différentede la manière de traiter les émotions, illustrée par son idée de rhétorique, par exemple : un bon orateur, qui maîtrise la rhétorique, peut susciter des passions chez son public selon sa façon de s’exprimer. Il peut mettre ses auditeurs en colère, ou les rendre craintifs, sadiques, ridicules, etc. Et selon le type d’émotion évoqué, disait Aristote, les auditeurs tireront des conclusions totalement différentes de l’argument factuel. Avec la rhétorique, l’orateur peut donc manipuler ce que pense son public. Il s’agit d’une conception oligarchique et malsaine, mais c’est justement la méthode qu’applique l’industrie du divertissement.

Lessing rompit, explicitement, avec cette conception d’Aristote. Selon lui, les gens devaient assister à de grandes tragédies historiques, car elles permettent de former les émotions et aussi les réactions des gens dans le cadre d’une pièce. Ainsi, dans la vie réelle, où les événements surviennent en général rapidement et que l’on n’a pas le temps de réfléchir à la façon de réagir, on aura le bon réflexe car on l’aura entraîné.

La seule émotion réellement intéressante, pour Lessing, est la compassion. Les autres, comme la peur, l’admiration, etc. sont comme les rangs d’une échelle, dont la compassion occupe le milieu. Ainsi, lorsque l’on manque de compassion, on devient craintif. Ou si une personne est trop héroïque, on l’admire, mais on ne ressent pas de compassion pour elle. Ce sont là différents degrés du même spectre des émotions, la compassion siégeant au milieu.

Lessing dit que le but des grandes tragédies est d’évoquer la compassion envers tous les peuples malheureux de tous les temps. Je pense, moi, que la compassion, c’est-à-dire la capacité de souffrir avec d’autres êtres humains et de prendre la souffrance de l’humanité dans son propre coeur, est le meilleur remède possible contre l’indifférence et l’autisme encouragés par les jeux vidéo et la réalité virtuelle.

Quelqu’un qui joue en permanence aux scénarios de Doom ou de CounterStrike, ou d’un autre encore plus horrible dont on m’a récemment envoyé le lien, où l’on voit constamment des gens se faire tuer, avec un couteau, un pistolet ou autre, doit être tout à fait déshumanisé ! Encore une fois, la compassion est le meilleur antidote à cela. On ne peut pas tuer une personne en restant indifférent ; au contraire, on devrait vouloir empêcher qu’il lui soit fait du mal, même au prix de sa propre vie.

Pour Lessing, le meilleur des hommes est l’homme le plus compatissant. Et je suis d’accord avec lui. Regardez combien de gens aujourd’hui sont insensibles à l’extermination de l’Afrique par l’oligarchie financière internationale. Quand on leur parle de la misère de ce continent, ils répondent : « Et alors ? Ne m’embêtez pas avec ça. Je ne veux pas savoir. » Ils ont complètement perdu la vertu de la compassion.

Il y a aussi un autre aspect des jeux vidéo à considérer : ils sont tellement laids ! Dans les décors, les dessins animés et dans l’ensemble du monde virtuel généralement, la laideur est à couper le souffle.

Schiller et la beauté

Pourtant, si on veut construire une république, il faut se débarrasser de la laideur. L’empire utilise la laideur, comme autrefois l’empire romain avec son « pain et ses jeux », les jeux de gladiateurs, pour susciter les émotions les plus basses chez les gens.

Mais pour construire une république, la beauté est absolument essentielle. Laissez-moi vous lire une citation des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Schiller. Ces lettres sont très, très importantes et d’un grand intérêt pour nous aujourd’hui, même si elles ont été écrites il y a longtemps, à l’époque où la Révolution française s’effondrait à cause de la terreur jacobine.

Schiller faisait partie des humanistes en Europe qui espéraient que la Révolution américaine puisse être répliquée, tout d’abord en France avec la Révolution française, puis dans les autres pays. Mais il fut extrêmement déçu par les événements et ne put que constater qu’« un grand moment historique avait rencontré un peuple petit ». Cela le motiva à écrire ces Lettres pour décrire le type d’éducation esthétique nécessaire pour que le prochain grand moment historique ne rencontre pas un peuple petit.

Dans la quatrième lettre il écrit :

Tout individu, peut-on dire, porte en lui, en vertu de ses dispositions natives, un homme pur et idéal, et la grande tâche de son existence est de se mettre, à travers tous ses changements, en harmonie avec l’immuable unité de celui-ci.

Le but de la vie est donc de devenir cette âme idéale, pour aider à réaliser l’Etat idéal. A tous ces gens qui se demandent « Pourquoi sommes-nous ici ? Quel est le but de la vie ? », Schiller apporte ici une réponse très précise. Pour développer un Etat de plus en plus parfait avec en son sein des individus de plus en plus parfaits, grâce au développement harmonieux de l’individu et à l’ennoblissement de son caractère, le moyen le plus efficace est, selon lui, le bel art, car la Beauté est irremplaçable pour le perfectionnement de l’homme, et toute culture relève d’une notion claire de ce qu’est la Beauté.

Schiller, avec Goethe, Körner et Humboldt, a travaillé toute sa vie à développer des lois esthétiques qui auraient la même qualité universelle que des principes scientifiques universels. Dans un autre écrit, Kallias ou de la beauté, il définit la beauté comme la « liberté de l’apparence ». Dans le fond, il dit que pour reconnaître l’efficacité des lois naturelles, la beauté doit exister librement en cohérence avec ses lois. Schiller rejetait Kant et son impératif catégorique, car il est trop dur d’avoir en permanence à éliminer ses émotions pour faire son devoir, c’est inacceptable pour un homme qui aime tellement la liberté. Kant a écrit pour les esclaves et non pour les belles âmes.

Dans un autre essai, De la Grâce et de la Dignité, Schiller précise :

On dit d’un homme que c’est une belle âme, lorsque le sens moral a fini par s’assurer de toutes les affections, au point d’abandonner sans crainte à la sensibilité la direction de la volonté, et de ne jamais courir le risque de se trouver en désaccord avec les décisions de celle-ci. Il s’ensuit que, dans une belle âme, ce ne sont pas telles ou telles actions en particulier, c’est le caractère tout entier qui est moral. (...) Une belle âme n’a point d’autre mérite que d’être une belle âme.

C’est l’une des idées qui me sont les plus chères, celle en laquelle je crois et que je tiens pour sacrée depuis que j’étais à l’école. Ce concept est vraiment important : l’homme doit chercher à devenir une belle âme, c’est-à-dire à développer sa moralité et ses émotions à un tel point qu’il peut les suivre aveuglément, car elles ne lui donneront que des conseils justes.

Schiller ajoute encore que « la nécessité la plus urgente en ce moment est l’éducation consciente de la propre sensibilité de chacun », sensibilité au sens allemand de Empfindungsvermögen, pas au sens banal dans lequel on l’utilise parfois aujourd’hui.

Schiller fait référence à la capacité émotionnelle d’absorber totalement le monde entier, l’intérioriser dans son propre esprit, faire de la souffrance de tous les êtres humains sa propre souffrance, montrer de l’agape pour l’humanité.

L’amour seul est un sentiment libre, parce qu’il est pur dans son principe, et qu’il tire sa source du siège même de la liberté, du sein de notre nature divine. Ici, ce n’est pas la partie chétive et basse de notre nature qui se mesure avec l’autre partie plus grande et plus noble ; ce n’est pas la sensibilité qui se guinde, en proie au vertige, pour atteindre jusqu’à la loi de raison : c’est l’absolue grandeur qui se trouve reflétée dans la beauté et dans la grâce, et satisfaite dans la moralité ; c’est le législateur même, le Dieu en nous, qui se joue avec sa propre image dans le monde des sens.

Ainsi, tout grand artiste, compositeur, poète ou peintre, qui s’est ennobli au plus haut niveau, comme Schiller l’exige de lui, est, lors de l’heureux moment où il crée sa composition, écrit son poème ou peint, à l’image de Dieu ; c’est un génie qui augmente la légitimité des lois de l’univers.

Cela nécessite encore autre chose : une notion de beauté qui soit scientifique. Dans la dixième de ses Lettres, Schiller écrit que le « pur concept rationnel de la beauté, si tant est qu’on pût le découvrir, (...) ne peut être extrait d’aucun cas de la réalité et que bien plutôt il rectifie et guide notre jugement sur tous ces cas ».

Ainsi, il faut d’abord avoir l’idée de la beauté, puis trouver un exemple concret, et non l’inverse, qui consisterait à trouver un bel objet, puis se dire qu’on pourra en déduire les lois de la beauté. C’est d’abord dans l’esprit que vous devez avoir une conception scientifique de la beauté, avant d’en trouver confirmation dans le bel objet qui s’offre à vous dans la vie réelle.

Ce pur concept de la beauté « devrait être recherché par la voie de l’abstraction et pouvoir être déduit des simples possibilités de la nature sensible et raisonnable ; en un mot, on devrait pouvoir montrer que la beauté est une condition nécessaire de l’humanité ».

Ce concept me semble parfaitement vrai, car partout où l’homme s’éloigne de la beauté et se tourne vers le laid, il perd sa propre humanité et devient de plus en plus bestial.

Schiller a ainsi perfectionné l’idée esthétique que Mendelssohn et Lessing avaient déjà développée. Il affirme, dans le fond, que l’art classique peut effectivement ennoblir les émotions de l’homme pour qu’elles atteignent une légitimité universelle. Pour cela, la beauté est la condition nécessaire de l’homme. D’où les conséquences désastreuses lorsque la beauté vient à manquer : l’humanité dégénère, et la civilisation affectée sombre.

L’école romantique et Schlegel

La forme classique de l’art, établie notamment par Schiller, Goethe et quelques autres, fut complètement subvertie par l’Ecole romantique. Il y a un lien direct entre l’Ecole romantique de Novalis, des frères Schlegel, de Tieck et d’E.T.A. Hoffman d’un côté, et de l’autre, Nietzsche, Wagner, Carl Schmitt, le fascisme, l’existentialisme, l’Ecole de Francfort et le culte du laid dans l’art moderne et postmoderne d’aujourd’hui. L’Ecole romantique a eu pour effet de détruire la forme classique de l’art et de mener au déconstructionnisme actuel, qui proclame, en somme, que :

Tout est possible, il n’y a pas de lois, "mon opinion" vaut autant qu’une autre.

La décadence actuelle s’explique...

Parmi tout ce que je pourrais dire à ce sujet, je ne mentionnerai qu’un aspect des choses. Quand Schiller et Goethe sont retournés à la Grèce classique, ils ont aussi accepté un des concepts fondamentaux de la grande tradition grecque classique : l’idée que le bon, le vrai et le beau ne sont qu’une seule et même chose. Friedrich Schlegel, par exemple, a lancé une attaque consciente contre les idées classiques de Schiller, en avançant que la beauté n’est pas nécessaire, qu’on peut réduire le beau à l’intéressant. L’art ne doit pas forcément être beau.

Schiller, au contraire, fait valoir avec beaucoup de conviction, surtout dans sa correspondance avec son ami Körner, qu’un art qui n’est pas beau n’est pas de l’art.

Pour Schlegel, l’art doit être « intéressant », et naturellement, ce qui est intéressant aujourd’hui ne le sera pas demain, donc l’art doit constamment être nouveau et de plus en plus intéressant.

Pour vous représenter son état d’esprit, voici une citation [de son Studium Aufsatz] :

Mais partout où toute la population n’est pas vraiment éduquée, il y aura de l’art vulgaire, dont le seul appât est la volupté brute et une violence répugnante. Bien que le sujet change sans cesse, son esprit reste le même : une médiocrité confuse. » Plus loin, il dit que « le manque de caractère semble être le seul caractère de la poésie moderne ; la confusion, le commun de sa masse ; l’absence de lois, l’esprit de son histoire ; le scepticisme, le résultat de sa théorie. Indifférent à toute forme et seulement assoiffé de matériel, même le public le plus raffiné ne demande de l’artiste qu’une "individualité intéressante". Pour peu qu’un effet soit créé, et qu’il soit fort et nouveau, la forme qu’il prend et le sujet n’intéressent pas le public. (...) Avec chaque plaisir, les désirs se renforcent, avec chaque concession, les prétentions augmentent, et l’espoir d’un assouvissement définitif s’éloigne de plus en plus. Le nouveau se fait vieux, le rare devient banal, et les épines de l’appât s’émoussent.

Voilà justement le problème du divertissement moderne, des jeux vidéo et autres : ils deviennent à la longue de plus en plus vulgaires, plus brutaux, plus laids, car ce qui est laid aujourd’hui, est ennuyeux demain.

Schlegel conclut alors :

Le sens d’identité s’affaiblissant et l’engouement pour l’art diminuant, la molle réceptivité sombre en une impuissance bouleversante. En fin de compte, le goût affadi n’accepte plus aucune autre nourriture que des crudités dégoûtantes, jusqu’au point où il s’éteint complètement et finit dans une nullité décisive.

Voici exactement ce ce qui arrive aux gens qui sont affectés par les jeux vidéo, le mode « gothique » et qui ont une identité virtuelle : ils se retrouvent dans une nullité décisive, en tant qu’individus. Ils cessent d’être des êtres créatifs et c’est cela qui arrive à une masse de jeunes aujourd’hui.

Retourner à l’idée classique

Il nous faut retourner à l’idée classique, surtout celle de Schiller, du niveau que l’artiste doit exiger de lui-même. Dans une critique de l’oeuvre d’un poète contemporain, nommé Matthisson, il s’intéresse à l’étalon par lequel juger d’un véritable artiste.

Vu l’effet extraordinaire de l’art sur le public, « il faut qu’en lui-même, il [le poète] ait effacé l’individu, et qu’il se soit élevé aux caractères généraux de l’espèce. Lorsqu’il sentira non plus comme tel ou tel homme déterminé, mais en tant qu’homme en général ; alors seulement il sera sûr de faire partager ses sentiments à toute l’espèce. »

Autrement dit, pour pouvoir prétendre au titre de poète ou d’artiste, il doit être certain de l’effet qu’il provoquera chez les autres. En outre, cet effet doit se produire librement et les objets traités doivent être vrais.

Tout cela est très important. Dans le magnifique poème Les Artistes, Schiller dit :

Ce n’est que par les portes du beau, les portes de l’Orient, que tu [l’artiste] pénétras dans le champ de la connaissance.

La laideur, bien sûr, peut aussi être discutée dans l’art classique. Par exemple, dans le poème Les grues d’Ibykus de Schiller, le passage où les Erinyes surgissent, ressemblant à des furies avec des serpents autour de la tête, présente de la laideur. Mais la laideur n’est jamais un but en soi. Schiller l’utilise ici pour évoquer le sentiment d’étrangeté, et ainsi créer une métaphore de la présence du divin, du surnaturel, qui incite l’homme à reconnaître l’existence d’une loi naturelle. Le laid et l’épouvantable ne sont jamais utilisés en tant que tels, mais seulement pour créer une prescience du supranaturel chez l’homme.

L’homme dans la noosphère

Pour revenir à Lyn, dans son dernier écrit, il met un avant un argument important, à savoir que la différence cruciale de l’homme est qu’il appartient à la noosphère, au sens où Vernadski l’entend, c’est-à-dire que l’activité mentale, ou la cognition, de l’homme prend activement part au développement de l’univers et de toutes les autres espèces. Les animaux quant à eux sont incapables de changer leur espérance de vie, leur mode de vie, etc., parce qu’ils appartiennent à la biosphère.

Seul l’homme a une identité cognitive grâce à quoi il est capable de faire la découverte de principes universels. Lui seul peut influencer le potentiel de densité démographique relative de sa propre espèce, (ce qui permet aujourd’hui une population mondiale dépassant les 6,5 milliards d’individus). A chaque niveau de développement, on arrive à un point où les ressources naturelles semblent devoir s’épuiser, mais alors le « progrès scientifique et technologique », fondé sur la découverte de nouveaux principes, permet de définir de nouvelles matières premières, et de cette manière, l’homme intervient sur les circonstances de sa propre place dans l’univers.

Maintenant même, littéralement des centaines de millions de gens renient leur créativité en jouant à des jeux vidéo à tendance autiste ou en se réfugiant dans une identité virtuelle. Si nous ne renversons pas cela, il est scientifiquement certain que le potentiel démographique de la planète va chuter, de son niveau actuel de 6,5 milliards, à peut-être 2 milliards, voire un milliard ou même moins.

Ce problème de la réalité virtuelle du cyberespace n’est pas seulement une question de « goût », quelque chose qu’on peut aimer ou pas, il menace réellement la planète, pas moins qu’une épidémie de sida ou d’autres maladies mortelles. Il faut bien comprendre l’extrême importance du travail sur la science que le LYM effectue actuellement, avec Platon, Kepler, Cues, Gauss, Bach, Mozart, Beethoven et Schubert, et aussi l’importance cruciale de s’intéresser à la belle poésie, aux poèmes qui ont une qualité lyrique, car ils permettent de former cette partie des facultés émotives qui crée des métaphores, par-delà les compréhensions pragmatiques et évidentes. La finesse lyrique de l’âme individuelle, la capacité de dire des choses qui n’ont jamais été pensées avant, est ce qu’on entend par « le progrès de l’humanité ».

C’est la même faculté d’esprit qui rend possibles les découvertes scientifiques. C’est pourquoi il est si important de s’intéresser aux grands drames classiques, les drames historiques, pourquoi il est si important de comparer Eschyle, Sophocle et Euripide, avec les grands tragédiens Shakespeare et Schiller.

On comprendra alors pourquoi Platon conseillait aux enfants de ne pas regarder les grandes tragédies, qui sont si cruelles, parce que leurs auteurs n’avaient pas encore la solution au niveau du sublime.

Pour finir, je pense que vous devriez tous prendre l’engagement solennel de créer, contre l’esclavage mental, un mouvement parmi les jeunes dans toute l’Amérique latine, en particulier contre l’esclavage mental du monde virtuel du cyberespace. Prenez l’engagement de créer un mouvement pour la beauté et la créativité, afin que nous puissions espérer un bien meilleur avenir, une renaissance qui rende le monde digne d’accueillir des êtres véritablement humains.