Plus inquiétant encore, la logique qui imprègne le projet est géopolitique — une logique de compétition. Mais, quand on ne pèse que 50 kilos, tout mouillé, face à des champions de MMA, ça commence mal.
Reste la France elle-même, avec ses citoyens et ses talents (#Mistral IA). Ce sont eux que nous sommes allés rencontrer, notre proposition de stratégie politique en main, afin de peser sur le cours des choses. Et, c’est rassurant, les dépités étaient nombreux, dépités d’assister à un contre-sommet (organisé par Eric Sadin) où les critiques étaient faibles et les solutions absentes. Une représentante du syndicat UNSA est allée jusqu’à affirmer que les IA n’interagissent pas avec les élèves… Même constat à la sortie d’autres conférences sur le même thème, organisées par un bureau d’avocats ou encore par l’École normale supérieure.
Les jeunes (et moins jeunes) accrochent immédiatement sur le danger d’utiliser l’IA pour doper la course à l’armement. Mais, a contrario, ils comprennent que cela peut être bon pour l’avenir si l’on parle d’une IA au service du développement, notamment des pays pauvres, et d’un re-développement de la France et de l’Europe.
En plein essor, la révolution technologique de l’IA, son impact et la façon dont la politique doit l’appréhender sont un processus qui reste à inventer. Le texte qui suit est une première approche. Si vous avez des idées, réfutations et remarques, elles sont les bienvenues !
« ’Maintenant, je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes.’ Je suppose que nous avons tous pensé cela d’une manière ou d’une autre. »
Oppenheimer, citant la Bhagavad-Gîtâ lors d’une interview télévisée.
Platon
La révolution Deep Seek n’est ni plus ni moins que l’équivalent informatique de la révolution internationale de la constitution du Sud planétaire face à l’hégémonie anglo-américaine.
L’avenir de l’IA, comme celui de l’arme atomique, dépendra simplement de ceci : mettre un terme aux logiques de blocs et de guerre perpétuelle, nettoyer de fond en comble le système financier qui nous conduit au perdant-perdant et renouer avec l’humanisme qui peut faire des relations internationales et interpersonnelles des rapports gagnant-gagnant.
Soustraire l’IA à la géopolitique
Il est fondamental de différencier la philosophie économique entre le modèle Stargate [1] et ses contreparties chinoise et française, Deep Seek et Mistral. Ces deux derniers ont fait le choix de l’open source (accès gratuit), fondé sur l’idée économique du gagnant-gagnant, où malgré des différences d’intérêt, on a tous à gagner au développement de chacun. C’est là-dessus que se fondent les idées de République, de service public et de patriotisme.
Cette idée va à l’encontre des paradigmes du féodalisme financier, dont les GAFA et BATMMAAN [2] sont l’expression la plus aboutie, et de la pensée géopolitique d’impérialisme, de contrôle, de domination, de pillage et d’esclavagisme. Avec ou sans algorithmes.
Le problème du développement rapide de l’IA, au futur incalculable, comme celui des arsenaux nucléaires, trouve sa cause dans une course à l’armement, bloc contre bloc. Le plus simple pour empêcher le dérapage est de tout changer, à commencer par les causes. Passer d’un monde unipolaire et de domination à une nouvelle architecture de défense et de développement économique mutuel mondial.
De la philosophie, bordel !
A l’échelle individuelle, comme toute révolution depuis l’écriture jusqu’au smartphone, l’IA peut servir l’homme ou lui nuire. Sa juste maîtrise repose encore et toujours sur la sagesse, c’est-à-dire la mesure de ses effets et de la responsabilité de ses créateurs. L’équivalent du changement international discuté précédemment à l’échelle des individus est de passer d’un monde du nudge, du comportementalisme où l’on forge des individus consommateurs et malléables, à un monde d’individus psychiquement souverains et cherchant constamment le vrai et le juste. A l’heure de l’IA, l’humanisme devient une obligation.
Il nous faut désormais considérer impérativement, depuis la petite école jusqu’au sommet de l’Etat, en passant par l’Assemblée nationale, l’Académie et la famille, l’impact des écrans sur nos enfants, leur capacité à réfléchir par eux-mêmes, à comprendre le « code » et à avoir envie du monde.
Quand la grande majorité de la presse est détenue par quelques oligarques, que les gouvernements français ont mis en place depuis 2015 des systèmes de reconnaissance faciale hors-la-loi, il est urgent de considérer la culture comme le terrain d’un changement politique incontournable.
Les mesures à prendre en France :
- adopter l’open source pour toutes les administrations, rompre avec tous les logiciels étrangers qui ne le sont pas ;
- créer un organisme public pour orchestrer la construction de capacités de logiciel open source et la mobilisation pour la sécurité numérique nationale ;
- créer une base de données publique et locale pour l’entraînement des IA ;
- instaurer des lieux publics, sur le modèle du Conservatoire des arts et métiers de la Révolution française, qui donneront accès (de manière pro-active) aux PME-PMI, à ce que l’IA peut leur permettre ;
- reconstituer un tissu industriel et productif dans lequel l’IA trouvera ses applications et décuplera sa valeur pour la société, ce qui en fera une infrastructure stratégique ;
- appeler les talents français expatriés dans la Silicon Valley à revenir en Europe ;
- placer certains d’entre eux à la direction des administrations où l’IA est stratégique (défense, renseignement, économie, science) afin que les hackeurs de talents prennent leur place aux côtés des diplômés ;
- la révolution IA demandera beaucoup d’énergie et de terres rares. La France et l’Europe doivent miser sur le nucléaire (les énergies « vertes » étant également demandeuses de terres rares) et exploiter les nodules polymétalliques. La France pourra ainsi offrir des perspectives aux populations des territoires d’outre-mer dans le contexte d’une participation gagnant-gagnant.
Dans le monde :
- défendre le principe d’un partage des immenses potentialités de l’IA en vue d’un bénéfice pour chaque nation, dans le cadre d’une nouvelle architecture de développement mutuel ;
- établir des règles prudentielles avec obligation d’investissement dans l’alignement des IA rehaussées ;
- rendre pénalement responsables les entreprises ou nations dont les IA seraient impliquées dans des effets néfastes.