Des bons Mefo aux cryptomonnaies, comment la fausse monnaie conduit à de vraies guerres

vendredi 14 mars 2025, par Karel Vereycken

Les « stablecoins » ou « cryptomonnaies stables » sont discrètement devenus un atout majeur sur le marché mondial des cryptomonnaies, représentant plus des deux tiers des milliers de milliards de dollars de transactions enregistrées ces derniers mois.
Contrairement aux cryptomonnaies privées (Bitcoin, Ethereum, etc.), dont les cours peuvent brutalement varier en fonction de l’offre et de la demande, les stablecoins sont indexés sur des actifs moins volatils tels que les monnaies fiduciaires, les bons du Trésor américain ou les matières premières, afin de maintenir une valeur constante et prévisible. Les cryptomonnaies stables permettent par conséquent de bénéficier des avantages offerts par les cryptomonnaies traditionnelles, comme l’immutabilité et le pseudonymat, sans leur principal défaut qu’est leur grande volatilité. La capitalisation boursière totale des stablecoins a considérablement augmenté, dépassant récemment les 200 milliards de dollars.

Cette politique a été « vendue » à l’administration Trump grâce à l’illusion toxique que l’argent, qu’il soit garanti ou non par un État, qu’il provienne de la drogue, de la prostitution, de la spéculation ou de l’industrie du jeu, engendre de la croissance et qu’au final, la richesse « ruisselle » vers le bas pour le plus grand profit de l’ensemble de la population... Et comme les cryptomonnaies n’ont pas cours légal, elles ne gonflent pas les statistiques de l’inflation, ce qui permet d’éviter toute hausse des taux d’intérêt, ce qui pénaliserait la croissance.

Le précédent allemand

Il existe un précédent historique majeur d’une telle politique : celui du réarmement de l’Allemagne en vue de la Seconde Guerre mondiale.

Plombée par les réparations de guerre imposées par le Traité de Versailles et vivant dans la crainte d’un retour à l’hyperinflation de Weimar, il fallait à l’Allemagne faire preuve de créativité pour relever le défi.

Un an après son accession au pouvoir, Hitler nomma le banquier allemand Hjalmar Schacht au poste de ministre plénipotentiaire pour l’économie de guerre. Les rois de la finance anglo-américaine (que ce soitles frères John Foster et Allan Dulles aux Etats-Unis, ou Montagu Norman, le président de la Banque d’Angleterre) connaissaient l’inventivité de Schacht et lui donnaient carte blanche pour armer l’Allemagne en vue d’une guerre contre la Russie. Si Hitlériens et Bolcheviques pouvaient s’entretuer à l’Est, ce serait tout bénéfice pour eux, pensaient-ils.

En créant les « bons Mefo », Schacht gagna son titre de « sorcier financier ». En réalité, il n’a fait que ressusciter une vieille ruse éprouvée lors de la Révolution française. Sans argent, le gouvernement français avait confisqué les biens de l’Église, dont la revente devait faire entrer de l’argent dans ses caisses. Mais les acheteurs n’étaient pas au rendez-vous. En attendant, le gouvernement payait ses fournisseurs avec des « assignats », des reconnaissances de dette qu’il transformait en moyen de paiement temporaire. Garantis par l’État français, les fournisseurs pouvaient les utiliser à leur tour pour régler leurs dépenses. Lorsqu’il devint évident qu’il ne s’agissait que de vulgaires bouts de papier, la pyramide des assignats s’effondra.

Or, que fait Schacht en 1934 ? Sur ses instructions, la banque centrale allemande et quatre des plus grands producteurs d’armes (Krupp, Siemens, Gutehoffnunshütte et Rheinmetal) créent une société écran, le Metal Forschungsinstitut Gmbh (Mefo – Institut de recherche sur les métaux). Au lieu de payer ses fournisseurs en mark, cette institution émettait des « bons Mefo » pour payer ses fournisseurs qui, à leur tour, pouvaient régler leurs propres dépenses par le même procédé.

Ce stratagème fonctionnait parce que les banques pouvaient réescompter les bons Mefo auprès de la Reichsbank, à tout moment dans les trois derniers mois de leur première échéance. Ainsi, l’Allemagne se donnait une bouffée d’oxygène pour l’économie de guerre. Et puisque les bons Mefo n’était pas une monnaie, les volumes mobilisés n’entraient pas dans les statistiques de l’accroissement de la masse monétaire et n’aggravaient donc pas l’inflation.

Un tel subterfuge ne pouvait durer éternellement. Pour sauver la bulle des bons Mefo, le gouvernement hitlérien forcera les caisses d’épargne et les banques commerciales à investir jusqu’à 30 % de leurs dépôts dans des obligations Mefo ! Pour les municipalités, ce taux montait à 90 %, et des ratios similaires ont été imposés aux caisses d’assurance publiques et privées. C’est plus ou moins ce qui s’est passé en 2013 en Espagne, où, pour éviter la faillite de la banque Bankia, on convertit les dépôts des particuliers en preferentes, c’est-à-dire en actions de la banque !

Sur le papier, Schacht est parvenu à contenir l’inflation. La masse monétaire officielle n’augmenta que de 33 % entre février 1933 et février 1938. Mais dans le même temps, de 1934 à 1938, c’est l’équivalent de plus de 12 milliards de reichsmarks qui furent créés grâce aux bons Mefo, mais hors système. On peut imaginer quelle aurait été l’inflation si ce montant avait correspondu à une véritable émission monétaire.

En réalité, l’expansion monétaire massive de Schacht et la préparation à la guerre eurent un effet inflationniste immédiat, que le régime nazi dissimula par un contrôle rigoureux des prix. Cependant, en raison de la disponibilité limitée des produits dans les magasins et des prix artificiellement fixés, il existait déjà en 1936 un marché noir pour les denrées alimentaires de base, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’inflation. Le prix officiel du pain était de 0,5 mark la miche ; au marché noir, c’était trois fois plus. Le prix du bœuf ou du porc sur le marché noir était également deux fois plus élevé que le prix officiel. De même pour les chaussures et les vêtements, et même pour les postes de radios, qui étaient très demandés. On peut se demander si l’Union européenne, pour soutenir sa politique de réarmement, instaurera bientôt un contrôle des prix comme le faisaient les nazis, ou si elle va laisser l’inflation déferler sur les économies nationales ?

Un grand emprunt européen peut sembler sans douleur, de prime abord et sur le papier. Mais l’UE n’est pas un Etat et la BCE est encore moins un « préteur de dernier ressort », comme l’est tout Etat souverain, garant ultime de sa monnaie souveraine… Nos européistes, comme d’habitude, dramatisent de façon abjecte et irresponsable le danger de guerre pour faire passer en force leur obsession idéologique, celle d’une « Europe » fédérale et supranationale.

Le mur de la réalité

Hier comme aujourd’hui, les apôtres de l’économie de guerre doivent affronter un problème majeur : imprimer de la fausse monnaie et des reconnaissances de dette pour maintenir la valeur nominale d’investissement dans une production qui, au mieux, ne produit rien ou, au pire, ne produit que de la destruction, est sans issue.

C’est comme si un fou sortait d’un casino où il vient de gagner une grosses quantité de jetons et tentait de les utiliser pour acheter des biens réels chez les commerçants du village. En Allemagne, ce fou s’appelait Hitler. Et ceux qui refusaient d’accepter les jetons de casino comme argent comptant finissaient très mal.

Pour faire prospérer cette économie de guerre, le Dr Schacht appliquera à l’Allemagne une politique d’auto-cannibalisation qui mènera, par sa logique infernale, aux camps d’extermination des « bouches inutiles », ainsi qu’à des guerres de conquête territoriale, principalement dictées par le besoin de ressources. Il enverra des camions pour récupérer la terre agricole très riche d’Ukraine, il volera l’eau lourde des Norvégiens, l’or des Autrichiens, des Tchécoslovaques et des Belges, tout cela, bien sûr, pour lancer la guerre contre la Russie.

A nous de faire en sorte que l’histoire cesse de se répéter.