Dans une tribune publié le 19 décembre sur le site internet de Le Point, des parlementaires de tous bords, du PCF à LR, s’unissent pour appeler à la relance du programme français de réacteurs nucléaires à neutrons rapides, clé de notre indépendance énergétique.
La décennie 2020 sera marquée par la relance du programme nucléaire français après une attente interminable pour toute une filière. Mais cette relance est aussi mondiale, ce qui doit conduire nécessairement à nous poser la question des ressources en combustible et des aspects géostratégiques afférents.
La France se trouve à un carrefour décisif en matière de politique énergétique. L’arrêt des projets Superphénix en 1997 et Astrid en 2019 a marqué une pause dans l’exploration des technologies de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na), pourtant porteurs d’espoir pour une gestion durable et innovante de notre énergie nucléaire.
Aujourd’hui, la France dépend toujours fortement de l’énergie nucléaire pour son électricité. Face aux défis climatiques, nous appelons à la relance d’un programme national ambitieux de réacteurs à neutrons rapides, moteur de la transition et de l’indépendance énergétique de notre pays.
Pourquoi relancer un programme de réacteurs à neutrons rapides ?
Ils offrent une voie durable pour utiliser au mieux les ressources en uranium et en plutonium, permettant une utilisation quasi totale du combustible et réduisant ainsi notre dépendance aux importations.
Ces réacteurs de quatrième génération sont alimentés par du plutonium et de l’uranium appauvri, transformant ainsi le plus important du stock des déchets à vie longue en une ressource précieuse. Avec les réserves actuelles en uranium appauvri, estimées à 350 000 tonnes en France selon l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), ils permettent de nous assurer plusieurs siècles d’indépendance énergétique, sans recours aux extractions minières. De plus, ces réacteurs ont la capacité unique de brûler les déchets à vie longue produits par les réacteurs conventionnels, transformant des éléments hautement radioactifs en déchets à vie plus courte et plus facile à gérer. Cela représente une réelle avancée pour la gestion des déchets nucléaires, réduisant les coûts associés au stockage à long terme.
Parmi les différentes options de surgénérateurs, les réacteurs refroidis au sodium sont à ce jour la solution la plus mature, et la France a eu longtemps une position de leader dans ce domaine. Il est urgent de reprendre les travaux de cette filière avant d’être définitivement distancés par les autres nations nucléaires qui en ont bien compris tout l’intérêt.
L’annonce récente entre Framatome, la Japan Atomic Energy Agency (JAEA, équivalent japonais du CEA) et Mitsubishi Heavy Industries d’un projet de démonstration à l’horizon de 2040 est une excellente nouvelle. Cette relance s’inscrit dans une perspective de long terme, mais les décisions doivent être prises dans des délais resserrés.
Les RNR-Na offrent une source d’énergie décarbonée et durable, indispensable pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et assurer la compétitivité de nos entreprises dans la transition énergétique.
Il est impératif de sanctuariser les ressources en uranium appauvri et en plutonium qui sont la condition nécessaire de cette relance d’un nucléaire durable. Il s’agit d’investir massivement dans la R & D pour simplifier la conception et améliorer les technologies de refroidissement, de fabrication du combustible et de sécurité des RNR-Na. Il s’agit aussi de capitaliser sur 50 ans de recherche, après les programmes Rapsodie, Phénix, Superphénix et Astrid, pour construire un réacteur pilote industriel et les usines de fabrication du combustible associées.
Le moment est venu de dépasser la connaissance académique pour développer un outil industriel et le déployer à l’horizon de 2045, afin d’être en mesure de lancer une filière industrielle à l’horizon 2070, date prévisible des tensions économiques et géopolitiques sur la ressource en uranium. Ce projet doit aussi s’inscrire dans une démarche collaborative entre les institutions françaises et internationales, notamment avec les institutions japonaises et les partenaires industriels (EDF, Orano, Framatome…).
La relance d’un programme de réacteurs à neutrons rapides relève des missions de l’État et ne saurait se contenter d’investissements dans le modèle des start-up, largement sous-dimensionné vis-à-vis de l’enjeu. Elle exige de valoriser et de protéger la propriété industrielle existante qui est issue de plusieurs décennies d’investissement de l’État et de recherches menées tant par les organismes que les industriels de la filière.
Comme le rappelle régulièrement l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et comme l’a montré récemment le rapport d’enquête Shellenberger-Armand visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, nous avons par deux fois arrêté cet élan sans réelle motivation alors que nous étions en tête de peloton.
Ne refaisons pas, par négligence ou par méconnaissance, la même erreur à un moment stratégique de relance du nucléaire. Nous appelons le gouvernement, les institutions de recherche, l’industrie et les citoyens à soutenir cette initiative cruciale pour l’avenir énergétique de notre nation.
- Yves Bréchet, Membre de l’Académie des sciences et ancien haut-commissaire à l’Énergie atomique ;
- André Chassaigne, Député du Parti communiste, Auteur de la saisine de l’OPECST sur l’arrêt d’ASTRID ;
- Pierre Henriet, Premier vice-président de l’OPECST et député Horizons de la Vendée ;
- Patrick Lederman, Membre de l’Académie des technologies ;
- Stéphane Piednoir, président de l’OPECST et sénateur LR du Maine-et-Loire.