Crises politiques à Paris et Berlin, Bruxelles se frotte les mains

mercredi 18 décembre 2024

Les crises politiques en France et en Allemagne ont créé un grand vide de pouvoir en Europe, dont le gouvernement supranational de l’UE (la Commission européenne) s’est empressé de tirer parti, en signant notamment l’accord de libre-échange avec le Mercosur.

Dans l’après-guerre, la gouvernance européenne s’est appuyée sur l’axe franco-allemand, d’abord comme moteur de stabilité puis comme base du système européen. Toutes les grandes décisions de l’UE ont été le fruit de politiques partagées par Paris et Berlin, même au prix, parfois, de devoir accepter un compromis par l’une ou l’autre partie. A condition, bien sûr, d’avoir un semblant de stabilité politique de part et d’autre du Rhin, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Chute du gouvernement Scholz

A la tête d’un gouvernement minoritaire depuis que le FDP (libéraux) avait quitté la coalition le 6 novembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a perdu la confiance au Bundestag le 16 décembre, avec un vote de 394 contre 207 et 116 abstentions. Ce résultat était attendu, son autre partenaire de coalition, le parti des Verts, ayant annoncé la semaine dernière sa décision de s’abstenir.

Les prochaines élections générales, qui se tiendront le 23 février 2025, promettent une longue période de paralysie pour l’Allemagne. Même si la possibilité de former une majorité parlementaire se dessine, cela prend toujours du temps outre-Rhin pour négocier la formation d’un gouvernement de coalition, archétype d’un régime parlementaire. Ainsi, dans le cas du dernier gouvernement Merkel, il aura fallu six mois au SPD et à la CDU/CSU pour s’accorder.

Ce qui est certain, c’est que la répartition des sièges au sein du nouveau Bundestag changera, puisque le parti Die Linke (la gauche radicale) et le FDP (libéraux) risquent d’en être évincés. Aucun autre parti ne voulant d’une coalition avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui se focalise sur le problème de l’immigration, il n’en resterait que quatre en lice pour former le nouveau cabinet : la CDU-CSU, le SPD, les Verts et le BSW (le nouveau parti de Sahra Wagenknecht).

Les trois premiers viennent de voter ensemble pour empêcher tout débat au Bundestag sur trois motions soumises par le BSW, s’opposant à l’expansion de l’OTAN, à la guerre en Ukraine et au stationnement des missiles américains. Ce refus de discuter de sujets aussi brûlants se retournera sans doute contre les trois partis, au profit du BSW, étant donné l’inquiétude des électeurs concernant la guerre.

Vers un « Barnier bis » ?

En France, suite au vote de censure du gouvernement Barnier et à la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre, le pouvoir politique demeure dans la plus grande instabilité, alors qu’aussi bien le monde agricole que les syndicats et le patronat appellent à des mesures urgentes pour enrayer le tsunami de faillites et de licenciements qui frappe le pays.

Comme l’a dit Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès, le seul moyen pour le nouveau Premier ministre de ne pas devenir rapidement un « Barnier bis » serait de mettre en cause la responsabilité des gouvernements des 50 dernières années pour avoir confié la gestion de la dette aux « féodalités financières » (terme utilisé par le Conseil national de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale). Alors que Bayrou nous parle d’Henri IV et de Sully, il ferait bien de s’en inspirer dans les actes.

Rappelant les mots de Georges Boris, l’économiste pro-Roosevelt, tuteur et ami de Pierre Mendès France et résistant de la France libre du général de Gaulle, qui disait que « si l’État ne contrôle pas la monnaie, c’est la monnaie qui contrôle l’État », Cheminade a appelé à créer un « véritable bloc populaire, qui s’occupe des vrais problèmes », pour mettre fin aux « récits des médias qui poussent au réarmement, soutiennent l’oligarchie financière et promeuvent la guerre ».

L’UE profite du vide

Pendant ce temps, dans cette vacance du pouvoir, la Commission européenne fait sa loi. Sans consulter les principales capitales européennes, Ursula von der Leyen s’est rendue à Montevideo (Uruguay) le 5 décembre pour signer l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. Si les pays membres de l’UE avaient mandaté la Commission pour conduire ces négociations, la modestie n’est pas la qualité première d’Ursula.

« Conflit d’agenda » ou « problème de communication interne » ? La porte-parole d’Ursula von der Leyen a peiné à trouver une justification plausible pour expliquer son absence aux cérémonies de réouverture de Notre-Dame, le 7 décembre, où sa présence avait été confirmée 48 heures plus tôt, parmi une cinquantaine de dignitaires étrangers, dont Donald Trump et Volodymyr Zelensky.

Cet accord avec le Mercosur représente une menace par les agriculteurs européens, et surtout français, et un cadeau pour l’industrie automobile allemande. Malgré les protestations de ses agriculteurs, le gouvernement allemand a soutenu l’accord, mais la France, l’Italie et d’autres y restent opposés.

Le traité doit encore être ratifié par le Parlement européen, puis, en dernier ressort, par le Conseil européen, et c’est là que l’accord peut encore être empêché.

Le désaccord entre les deux capitales concerne également les droits de douane sur les voitures électriques chinoises arrivant en Europe, que la France soutient mais pas l’Allemagne, ainsi que la guerre en Ukraine, la France ayant permis à Kiev de frapper le territoire russe avec ses Scalp, tandis que l’Allemagne bloque la livraison de ses missiles Taurus.

Enfin, l’éveil du mouvement pour la paix en Allemagne. A ce sujet, une pétition en ligne, appelant à empêcher une guerre nucléaire, a été publiée le 6 décembre par 38 personnalités issues de divers secteurs de la vie politique, économique et culturelle allemande, s’inscrivant dans la lignée du « manifeste pour la paix » du 10 février 2023, qui avait recueilli près d’un million de signatures. Cette pétition déplore la décision des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne de permettre à Kiev de frapper le territoire russe avec les missiles qu’ils lui ont fournis, ce qui « accroît les risques pour l’ensemble de l’Europe » et fera de l’Allemagne « le nouveau champ de bataille ». En l’absence de gouvernement capable d’agir, le texte appelle tous les acteurs politiques à « mettre de côté leurs divergences et à agir ensemble pour éviter le pire ». « Faute de faire taire au plus tôt les armes, nous risquons de tout perdre. Jamais, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le danger d’une guerre nucléaire en Europe n’a été aussi grand. »

En France, la mobilisation citoyenne initiée par Solidarité & Progrès pour interpeller les élus sur la question de la guerre, continue à susciter des réactions. Pour y participer, rendez-vous ICI.