La presse occidentale ne cesse de se plaindre d’un Poutine qui « s’amuse » à menacer d’utiliser l’arme nucléaire, alors que « tout le monde est d’accord », nous dit-on, que « ce n’est que du bluff ».
Joignant le dramatique au ridicule, l’association japonaise des survivants de la bombe atomique, lauréate du Prix Nobel, a exhorté lundi la Russie à cesser d’agiter la menace nucléaire pour l’emporter en Ukraine. À l’unisson avec la propagande de l’OTAN, Terumi Tanaka, coprésident de l’association, a déclaré à la veille de la cérémonie de remise du Nobel à Oslo : « Je pense que le président (Vladimir) Poutine ne comprend pas vraiment ce que les armes nucléaires représentent pour les êtres humains, de quel type d’arme il s’agit. »
Pour y voir plus clair, il convient de se demander pourquoi la Fédération de Russie a récemment modifié par décret ses possibilités de recours à l’arme atomique. Et pourquoi, le 21 novembre, démontrant qu’elle n’était pas dans un exercice de rhétorique, elle a frappé une usine d’armement ukrainienne avec son nouveau missile balistique hypersonique Orechnik, volant à 10 fois la vitesse du son, conçu pour porter l’arme nucléaire mais sans en être équipé à cette occasion. La Russie est prête à utiliser « tous les moyens » dont elle dispose pour se défendre, a rappelé une fois de plus le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, jeudi dernier.
La guerre de l’OTAN
Pour comprendre la réaction des Russes, essayons de nous mettre à leur place. Que voient-ils en face d’eux ? Depuis 1991, trahissant à la fois ses principes et ses engagements, l’Alliance n’a cessé de s’étendre vers l’Est et persiste à vouloir installer des armes potentiellement offensives aux frontières proches de la Fédération de Russie, créant ainsi les conditions d’une « crise des missiles de Cuba » à l’envers.
Face à cela, mi-novembre, au millième jour de conflit militaire en Ukraine, Vladimir Poutine a actualisé la doctrine nucléaire russe. Ce qui apparaît comme une réponse directe à la décision du président américain Joe Biden, suivi par le Royaume-Uni et la France, d’autoriser l’Ukraine à frapper des cibles en territoire russe avec des missiles américains, anglais et français de plus longue portée.
La réponse russe
La nouvelle doctrine russe élargit considérablement le champ des possibles ripostes nucléaires face aux Occidentaux. Elle stipule notamment qu’une attaque aérienne massive contre la Russie pourrait déclencher une réponse nucléaire et précise que toute agression par un membre d’un bloc militaire sera interprétée comme « une agression de l’ensemble du bloc », une référence à peine voilée à l’OTAN. Le document détaille avec précision les scénarios pouvant justifier l’usage de l’arme nucléaire, y compris désormais les attaques massives impliquant missiles balistiques, missiles de croisière, avions et drones. Cette formulation élargie représente un changement significatif par rapport à la version précédente, qui se limitait aux attaques par missiles balistiques.
Si la Russie se sent obligée de rappeler au monde qu’elle dispose d’armes nucléaires et qu’elle compte bien s’en servir en cas où ses intérêts vitaux seraient menacés, c’est avant tout en réponse à la nouvelle doctrine américaine postulant qu’une guerre nucléaire limitée peut être menée et gagnée.
En mars dernier, le président américain Joe Biden a donné son feu vert à un plan stratégique nucléaire ultra secret, baptisé « Nuclear Employment Guidance », qui réoriente la stratégie de Washington sur l’expansion de l’arsenal nucléaire de la Chine et les défis nucléaires qu’elle pourrait poser en coordination avec la Russie et la Corée du Nord.
Thomas Buchanan
S’exprimant lors de l’événement Project Atom 2024 au Center for Strategic and International Studies (CSIS)à Washington, le 20 novembre, le contre-amiral Thomas Buchanan, porte-parole du commandement stratégique du Pentagone, a été interpellé sur les conditions optimales d’un échange nucléaire avec la Russie.
En réponse, le contre-amiral Buchanan, qui est aussi le directeur de la planification et de la politique du Commandement stratégique des États-Unis (STRATCOM), a déclaré :
Je pense que tout le monde est d’accord pour dire que, si l’on doit procéder à un échange [nucléaire], on voudrait le faire dans les conditions les plus acceptables pour les États-Unis » — c’est-à-dire qui leur « permettent de continuer à diriger le monde ». C’est pourquoi « on doit disposer d’une capacité de réserve. Vous ne dépenseriez pas toutes vos ressources pour gagner, n’est-ce pas ? Parce qu’à ce moment-là, vous n’auriez plus rien pour dissuader.
Précédemment, dans son exposé, Buchanan avait affirmé que personne ne veut d’une guerre nucléaire et qu’on « doit toujours être prêt à avoir un dialogue ». Une position a priori raisonnable, mais qui laisse perplexe, vu ses affirmations ultérieures…
Le lendemain, le 21 novembre, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a protesté, selon Sputnik, en affirmant que « les déclarations des responsables américains reflètent la pensée dépassée des États-Unis, qui recherchent l’hégémonie et la supériorité stratégique absolue ».
Lors de la réunion de la Coalition internationale pour la paix du 22 novembre, organisé par l’Institut Schiller, l’ancien inspecteur en armement de l’ONU, Scott Ritter, a estimé que la déclaration de Buchanan démontre que les États-Unis ont déjà franchi la ligne rouge posée par la Russie et qu’ils exhibent au grand jour la possibilité d’une guerre nucléaire, une option qui conduira à la fin de l’humanité. Il est clair que Buchanan a perdu l’esprit, a conclu Ritter.