Avec les « super-détonateurs », les Etats-Unis multiplient leur puissance de feu nucléaire !

dimanche 8 septembre 2024, par Karel Vereycken

Le 20 août 2024, le New York Times a rapporté que l’administration Biden, en mars dernier, avait discrètement approuvé une nouvelle « Directive sur l’emploi de l’arme nucléaire » pour que les Etats-Unis soient en capacité de mener et de gagner, une guerre nucléaire simultanée contre ses trois ennemis « coalisés » : la Russie, la Chine et la Corée du Nord.

Le 6 septembre, lors de sa prise de parole à la 66ème réunion hebdomadaire de la Coalition internationale pour la paix (IPC), Theodore Postol, physicien nucléaire, professeur émérite du MIT et l’un des meilleurs spécialistes des armes atomiques, a documenté, sur le plan technique, les implications déstabilisatrices de cette nouvelle orientation contre laquelle il met en garde.

Professeur Theodore Postol :

C’est un plaisir pour moi de pouvoir m’exprimer ici. Je dois dire que le résumé que vient de présenter Helga Zepp-LaRouche donne à réfléchir. Tout ce que je peux faire, c’est d’y ajouter quelques détails techniques importants. Le détail technique le plus important pour alarmer l’opinion publique mondiale, dans la lignée de ce qu’a déjà dit Helga, concerne le programme de mise à niveau de la puissance nucléaire des États-Unis.

Il s’agit de ce que j’appellerais les « forces de frappe de préemption rapide ». Ce programme se concentre exclusivement sur les missiles balistiques, qui constituent le moyen le plus rapide de lancer des ogives nucléaires contre la Russie, la Chine et, bien sûr, la Corée du Nord. Et en cas de guerre, si vous étiez assez fou pour vous engager dans une guerre nucléaire, ces ogives seraient certainement les principales armes utilisées pour tenter de détruire les silos de lancement de missiles, qui sont principalement détenus par la Chine et la Russie.

Pour vous donner une idée de quoi on parle, voici un diagramme (diapositive 5) de ce que j’appellerais un missile en silo. La figure de gauche de ce diagramme montre un gros missile de 30 mètres de long et de 3 mètres de diamètre qui pèse environ 450 000 livres (204 tonnes).

Il s’agit d’un très gros missile capable de transporter un grand nombre d’ogives nucléaires. Il s’agit d’un missile russe qui existe en grand nombre. La figure de droite montre comment ce missile est protégé. Le sommet de cette structure élaborée affleure la surface du sol, tandis que le reste du missile est enfoui sous terre. Le missile se trouve dans un puits protégé par des coques en béton et en acier renforcé. Le missile lui-même repose sur une grande plate-forme à ressort.

La diapositive suivante montre cette nouvelle innovation sur laquelle les États-Unis travaillent depuis 20 ans dans le cadre d’un programme super secret. Et quand je dis « super secret », je veux dire que les membres du Congrès n’en ont pas été informés et qu’en fait, le programme va à l’encontre des directives établies par le Congrès.

L’infographie vous montre une sorte de « cloche » au-dessus du silo très petit sur le schéma. Elle délimite la zone dans laquelle une ogive nucléaire, si elle y explose, aura un effet suffisant pour détruire le missile dans le silo en-dessous.

Comme vous pouvez le voir, les impacts des tirs (avant la modernisation) se situent à 50 mètres avant ou 50 mètres après la zone cible. Or, ce que les États-Unis ont fait à grands frais et au prix d’efforts considérables n’était pas un programme facile à réaliser. Il ne s’agit donc pas d’un initiative fortuite et elle était clairement destinée à accroître la capacité de frappe nucléaire des États-Unis.

Sur la diapositive suivante, si vous regardez la partie de gauche, vous voyez que je désigne cette « cloche » comme le « volume létal », c’est-à-dire le rayon dans lequel, en cas de détonation d’une ogive, le silo sera détruit.

Les lignes qui partent du coin supérieur gauche du schéma et descendent jusqu’au sol montrent les trajectoires d’arrivée d’un ensemble d’ogives. Le problème des anciens détonateurs, c’est que les ogives doivent atteindre une certaine altitude au-dessus de la cible avant d’exploser. Ainsi, comme vous pouvez le voir sur le diagramme, certaines ogives sont en deçà du volume létal et d’autres ogives sont au-delà du volume létal. Les nouveaux « super détonateurs » permettent à tous les ogives traversant le volume létal d’exploser. Cela signifie que le pourcentage d’ogives qui échouent à détruire la cible se retrouve considérablement réduit.

La partie de droite du schéma de cette diapositive nous montre comment cela est possible. Voyons-le en plus grand.

Ce qui se passe, c’est qu’avec les nouveaux détonateurs, le point de visée du missile entrant n’est plus le silo, mais une petite distance en aval du silo. Il en résulte que les ogives qui tomberaient avant le silo peuvent désormais pénétrer le volume létal et que les ogives qui tomberaient plus loin que le silo peuvent également entrer dans le volume létal.

Pour ce faire, si l’on examine la trajectoire prévue à une distance de 60 ou 70 kilomètres avant arrivée sur cible, on peut mesurer la distance au sol. Si l’on connaît le temps et la trajectoire prévue, on sait exactement quelle devrait être l’altitude de l’ogive si elle suit la trajectoire balistique prévue.

Si l’altitude est supérieure à celle prévue en raison d’erreurs provenant de diverses sources, vous savez alors que l’ogive est légèrement plus haute et légèrement plus éloignée du point de détonation réel que vous souhaiteriez atteindre et vous procédez donc à un ajustement lorsque vous êtes hors de l’atmosphère pour vous assurer que l’ogive détonnera bien à l’intérieur de ce volume létal.

La diapositive 12 montre l’effet de ce réglage apparemment « simple ». Il s’agit de la probabilité de neutraliser, c’est-à-dire de détruire le silo, avec une ogive conventionnelle ou ce que j’appelle une « ogive au super détonateur ».

La ligne bleue indique une probabilité de détruire le silo d’environ 0,85. C’est le cas si l’ogive est conventionnelle. Mais si vous aviez le détonateur intelligent qui fait ces ajustements, vous auriez une précision supérieure à 0,99.

Si vous voulez obtenir une précision supérieure à 0,99 avec les détonateurs anciens, vous devez utiliser au moins deux ogives. Ce qui fait qu’avec les super-détonateurs, c’est que vous doublez la puissance de feu de l’arsenal d’ogives W-76 de 100 kilotonnes dont sont équipés les sous-marins américains.

Si c’est alarmant, c’est en fait encore plus problématique que ce que l’on pourrait penser de prime abord. Si nous revenons à la diapositive 3, nous pouvons examiner les stocks d’ogives de l’arsenal américain. Nous pouvons voir ce que j’appelle les « forces de frappe préventive rapide ».

Ce qui est surligné en jaune montre qu’environ 1 600 de ces ogives de 100 kilotonnes ont été dotées de ces super-détonateurs. Toutes ces ogives qui n’étaient pas en mesure, selon les plans du gouvernement américain, de détruire les missiles russes et chinois dans leurs silos souterrains, sont désormais capables de le faire ! Cela signifie que les autres, surlignées en vert, les ogives à plus haut rendement, n’ont plus besoin d’être utilisées pour cette mission.

Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une augmentation considérable de la capacité à utiliser les ogives à haut rendement dans le cadre d’autres missions.

La diapositive 15 montre une ogive à haut rendement, dans ce cas un trident, une ogive de 475 kilotonnes, qui se trouve sur les sous-marins. Les sous-marins transportent des ogives de 475 kilotonnes et des ogives de 100 kilotonnes. Mais comme je viens de le montrer, toutes ces ogives de 475 kilotonnes ne sont plus nécessaires pour détruire les silos. Dans cette représentation, je montre le bâtiment de la capitale comme s’il s’agissait d’une structure souterraine, d’un centre de commandement. Désormais, toutes ces ogives à haut rendement peuvent être utilisées sur toutes sortes d’autres cibles, comme les centres de commandement et de contrôle et tout ce que les États-Unis veulent détruire et qui est extrêmement dur et solide.

Illusions fatales

C’est le genre d’améliorations que l’on ne ferait que si l’on avait l’intention de mener et de gagner une guerre nucléaire, si l’on pensait pouvoir le faire. Bien sûr, vous ne pouvez pas le faire pendant la guerre nucléaire. Vous détruirez votre propre pays et l’autre pays en même temps que celui que vous combattez. En fait, vous détruirez le monde entier.

Il est illusoire de penser que l’on peut combattre et gagner une guerre nucléaire. C’est un ensemble d’idées extraordinairement délirantes et contrefactuelles qui amènerait quelqu’un à croire qu’il est possible de combattre et de gagner une guerre nucléaire. Pourtant, les États-Unis consacrent des ressources considérables à cette capacité de guerre.

Permettez-moi de conclure en évoquant un point que tout le monde devrait prendre en considération. Quelques militaires prendront la parole après moi. Je pense qu’ils seront d’accord avec moi, mais si ce n’est pas le cas, j’aimerais connaître leur avis. Si vous êtes un soldat, si vous êtes un officier militaire russe et que vous regardez un adversaire qui fait toutes ces choses, vous n’avez pas d’autre choix que d’envisager la possibilité que votre adversaire ait l’intention d’essayer de mener et de gagner une guerre nucléaire contre vous et qu’il ait l’intention d’essayer de détruire une grande partie de vos forces nucléaires avant que vous ne puissiez les lancer à titre de dissuasion ou de représailles.

En outre, bien sûr, cet adversaire particulier, les États-Unis, construit des défenses antimissiles. La question de l’efficacité de ces défenses antimissiles est loin d’être réglée.

En fait, elles ne fonctionneront pas, mais en tant qu’officier militaire, « l’intention » de l’autre camp, joue un rôle dans l’évaluation de l’adversaire. Ainsi, si votre adversaire consacre des ressources considérables à des activités qui semblent viser à combattre et à gagner une guerre nucléaire avec vous et à construire des défenses antimissiles qui lui permettraient d’effectuer une première frappe contre vous si elles fonctionnaient, vous devez bien sûr vous dire : « Qu’est-ce qui se passe avec ces gens-là ? Quelle est leur doctrine ? Qu’est-ce qu’ils sont prêts à essayer ? »

Il s’agit donc d’une situation d’extrême danger, en particulier dans le cas de la Russie, qui dispose d’un système d’alerte précoce assez limité à certains égards… Mais on n’a pas le temps pour élaborer ce dernier point.

Merci pour votre attention.