La banque des BRICS fait peur à Londres et Wall Street

jeudi 1er juin 2023

Chronique stratégique du 1er juin 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La mauvaise conscience hanterait-elle les élites occidentales ? Car d’une part, la politique de sanctions contre la Russie et la Chine, au-delà de son caractère illégal (au regard du droit international), fait davantage souffrir les économies européennes et américaines que celles des pays ciblés ; et d’autre part, le reste du monde, sous l’impulsion des BRICS, connaît une dynamique de développement, d’expansion et de coopération qui renvoie, tel un miroir, une image de l’état réel du monde du dollar, de la City de Londres et de Wall Street : un système « has-been » en faillite.

C’est de ce point de vue qu’il faut considérer les récentes inquiétudes du Financial Times, porte-voix de l’oligarchie de la City de Londres, face à l’importance grandissante de la Nouvelle Banque de développement des BRICS.

L’expansion de la banque des BRICS

Le Financial Times est l’une des nombreuses voix occidentales de premier plan à tirer la sonnette d’alarme sur le fait que les pays du Sud respectent de moins en moins les diktats impériaux de la City de Londres et de Wall Street. Il faut dire que ces pays préféreraient voir l’Occident leur présenter de véritables propositions de développement plutôt que des menaces militaires et des politiques d’austérité (y compris sous le vernis vert de la « transition énergétique ») ; de plus, il devient pour eux évident que l’ensemble du système financier occidental est au bord de l’effondrement, après des décennies de création monétaire folle destinée à financer les guerres et les renflouements bancaires, au détriment de l’économie réelle.

C’est ainsi que la Nouvelle Banque de développement (NDB), créée en juillet 2014 par les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui compte de plus en plus de pays adhérents, travaille sur les moyens de fournir une nouvelle source de crédit aux pays en développement, y compris ceux soumis à la pression d’austérité du FMI. Les pays des BRICS renforcent également leur collaboration avec l’Union économique eurasiatique (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan et Russie) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS, rejoignant la Chine, l’Inde, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie, le Pakistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan). Presque tous les pays du « Sud planétaire » rejettent les injonctions de leurs anciens maîtres coloniaux de Londres, Paris et Washington, qui leur demandent de diaboliser la Russie et de se découpler de la Chine – choisissant de ne pas s’associer à l’escalade militaire de l’Otan et aux sanctions occidentales, et de se tourner vers le développement économique mutuel, incarné en particulier par l’initiative chinoise « une ceinture, une route » (les Nouvelles Routes de la soie).

Dans son article, le Financial Times s’inquiète notamment de voir l’Arabie saoudite manifester son intérêt à l’idée d’adhérer à la NDB : « Au Moyen-Orient, nous attachons une grande importance au Royaume d’Arabie saoudite et nous sommes actuellement engagés dans un dialogue qualifié avec lui », a déclaré la NDB au quotidien de la City de Londres. L’Arabie saoudite aurait également déposé un dossier pour rejoindre les BRICS eux-mêmes et, comme le rappelle malencontreusement le Financial Times, elle « noue également des relations plus étroites avec la Chine ».

Vers un nouveau système monétaire international ?

La question qui se pose est de savoir comment la NDB peut jouer un rôle actif dans l’élaboration du nouveau système financier international nécessaire pour remplacer le système de spéculation, de sanctions et de désindustrialisation de Wall Street et de la City. Jusqu’à présent, la NDB est restée dépendante du financement en dollars pour son capital et limitée à l’émission de prêts libellés en dollars aux nations membres. En conséquence, le financement par la NDB de tout nouveau projet en Russie, par exemple, a été gelé depuis que des sanctions occidentales ont été imposées à ce pays, une situation évoquée par le Premier ministre russe Mikhail Mishustin lors de sa rencontre le 23 mai avec la nouvelle présidente de la NDB, Dilma Rousseff (ancienne présidente brésilienne).

Autre sujet d’inquiétude pour l’oligarchie financière de Londres et de Wall Street : le conseil d’administration de la NDB s’apprête à discuter de la demande du président brésilien Lula da Silva, qui souhaite que la banque trouve des moyens d’aider l’Argentine. Cette dernière a demandé à devenir membre à part entière des BRICS, et souhaiterait pouvoir « retirer le couteau du FMI de son cou ».

Les intérêts financiers anglo-américains font feu de tous bois pour tenter de d’intimider Lula, et de le dissuader de venir en aide à l’Argentine. Le journal O Estado de São Paulo, l’un des principaux porte-parole de Wall Street et de Londres au Brésil, a publié le 25 mai une tribune menaçant de déclencher « un effet intérieur dévastateur » si les pays membres de la NDB devaient accorder des garanties pour le commerce extérieur de l’Argentine avec les entreprises brésiliennes, comme le propose Lula. Sans citer de sources, le quotidien affirme que la proposition du président brésilien visant à ce que la NDB émette des prêts se heurte à une « forte résistance » de la part d’autres personnes au sein de la banque, et qu’il est peu probable qu’elle soit acceptée. Car, si l’Argentine obtenait l’aide, l’Inde pourrait demander la même chose pour le Sri Lanka, le Sud de l’Inde et l’Afrique du Sud.

Quelque soit l’issue de ce débat, le fait qu’il soit discuté en plein jour est en soi révélateur de la perte sèche de suprématie de l’oligarchie financière transatlantique.

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