Présentation de l’écrivain et militant allemand pour la paix Wolfgang Effenberger lors de la visioconférence de l’Institut Schiller du 15 et 16 avril.
« Les fondements du droit international »
Merci pour cette invitation.
Chers militants pour la paix,
Dans quelques jours, cela fera 77 ans que les soldats américains et soviétiques se sont rencontrés à Torgau. Le moment historique capté par l’image de la « poignée de main de Torgau », sur le pont détruit de l’Elbe, a fait le tour du monde.
Symbolisant alors la fin imminente de la guerre et l’espoir d’un avenir pacifique, elle m’avait déjà beaucoup ému lorsque j’étais écolier. Aujourd’hui, cette image est symboliquement associée à la fin de la Seconde Guerre mondiale et à la libération de la tyrannie nazie. Elle allie le souvenir et la commémoration à l’exhortation à préserver la paix. Malheureusement, l’espoir associé à cette image il y a 78 ans n’était qu’un leurre.
En effet, alors qu’ici, à Torgau, les soldats américains et russes s’enthousiasmaient pour la paix naissante, les officiers de l’état-major britannique travaillaient déjà sur le plan de guerre Operation Unthinkable, commandé par Winston Churchill, qui devait faire reculer l’Union soviétique de l’époque et restaurer une Pologne indépendante. La date de l’attaque, impliquant plus de cent divisions, dont des unités de la Wehrmacht qui n’avaient pas été faites prisonnières de guerre, était fixée au 1er juillet 1945 : moins de dix semaines après la poignée de main.
Cette attaque n’a pas eu lieu, car Staline a exigé à temps que le gouvernement allemand successeur de Karl Dönitz, installé à côté du quartier général britannique à Flensburg-Mürwik, soit arrêté et que les soldats allemands soient faits prisonniers. C’est ce qui s’est passé le 23 mai 1945. [1]
Début septembre 1945, le président américain Harry S. Truman chargea le général Eisenhower de l’opération Totality. Vingt villes industrielles soviétiques devaient être détruites d’un seul coup à l’aide de 20 à 30 bombes atomiques. De tels plans ont été constamment affinés.
- Le 15 mai 1947, Truman annonçait sa doctrine visant à endiguer l’expansion de l’Union soviétique.
- Le 6 juin 1947, le plan Marshall a suivi. Il avait pour objectif de renforcer l’Europe occidentale contre le bloc de l’Est et d’ouvrir des débouchés à l’économie américaine encore surchauffée par la guerre. En acceptant cette aide, les pays devaient céder à Washington leur souveraineté en matière de politique financière - le début de la colonisation économique de l’Europe, qui n’a d’ailleurs pas coûté grand-chose (entre 1948 et 1952, seulement environ 15 milliards de dollars US ont été versés).
- Le 26 juillet 1947, le National Security Act était adopté en vue de la pénétration militaire dans le monde, l’une des lois les plus importantes de l’histoire américaine d’après-guerre. Elle constitue aujourd’hui encore le fondement de la puissance militaire américaine à l’échelle mondiale. Il s’agissait de rendre l’Europe apte à la guerre contre l’Union soviétique.
- Le 4 avril 1949, l’OTAN a été officiellement créée en tant qu’alliance défensive contre l’Union soviétique. Le premier secrétaire général de l’OTAN et planificateur en chef de l’Unthinkable, Lord Ismay, a formulé en termes simples la véritable mission de l’OTAN :
Garder les Russes dehors, les Américains dedans et les Allemands à terre.
Le traité d’alliance stipulait que la reconstruction et la stabilité économique étaient des éléments importants de la sécurité - d’où le plan Marshall.
- A partir de 1991, des pays d’Europe de l’Est commencèrent à rejoindre l’OTAN, dans l’espoir d’une aide financière et économique. Et lorsque le chef d’État ukrainien élu, Ianoukovitch, refusa le traité de coopération politico-militaire avec l’UE (et donc avec l’OTAN), il fut évincé sans ménagement.
- Le 4 avril 2023, 74 ans jour pour jour après la création de l’OTAN et au beau milieu du conflit que Ianoukovitch avait prévu, la Finlande fut admise en grande pompe au sein de l’OTAN. Le même jour, le magazine militaire américain Stars and Stripes titrait :
Avec l’adhésion de la Finlande à l’alliance dirigée par les États-Unis, l’OTAN double sa frontière terrestre avec la Russie.
Le flanc est de l’OTAN se trouva renforcé par l’adhésion de la Finlande en tant que 31ème membre, augmentant ainsi sa puissance militaire dans la région arctique, où les alliés se déclarent désormais plus aptes à repousser de nouvelles agressions russes.
L’adhésion de la Finlande, qui dispose de l’un des plus grands arsenaux d’artillerie d’Europe et d’une force terrestre mobilisable pouvant compter jusqu’à un million de réservistes en cas de crise, met fin à des décennies de non-alignement militaire de cet État nordique.
- Le 19 décembre 1949, les Etats-Unis adoptaient le plan de guerre Dropshot, qui devait permettre d’attaquer l’Union soviétique en 1957 afin de tenir en échec la nouvelle superpuissance, notamment son programme agressif et ses ambitions de puissance mondiale.
A titre de comparaison, pendant la Seconde Guerre mondiale, environ un million de soldats américains sont morts, tandis que l’Union soviétique a déploré bien plus de 20 millions de victimes de guerre.
Les Etats-Unis ont été épargnés par les destructions, les cheminées d’usine fumaient, des bénéfices inimaginables ont été engrangés. En revanche, la guerre a détruit de grandes parties de l’Union soviétique et endommagé durablement son industrie.
L’« hypothèse de base » de Dropshot stipule textuellement que
« le 1er janvier 1957 ou aux alentours de cette date, une guerre a été imposée aux États-Unis par un acte d’agression de l’URSS et/ou de ses satellites. » [2]
300 bombes atomiques et 29 000 bombes hautement explosives devaient alors être larguées sur 200 cibles sur une centaine de villes, afin de détruire 85 % de la capacité industrielle de l’Union soviétique en une seule frappe. Le moment choisi était sans aucun doute coordonné avec la date d’achèvement de la remilitarisation de l’Allemagne de l’Ouest initialement prévue.
Mais lorsque l’on entendit les « bips » de Spoutnik tournant autour de la Terre en 1957, les plans de guerre ont dû être revus.
Avec la National Security Decision Directive 54 (NSDD-54) du 2 septembre 1982, on a créé un instrument permettant de saper subversivement l’ensemble du bloc soviétique. L’un après l’autre, les États furent incités à se détacher de l’Union soviétique avec la promesse d’un soutien américain. Outre des opérations destructrices (« saper les capacités militaires du Pacte de Varsovie »), on offrit des incitations économiques, notamment la perspective de crédits et d’échanges culturels et scientifiques. Les documents stratégiques à long terme TRADOC 525-5 de 1994 et 525-3-1 (« Win in a Complex World 2020-2040 », Gagner dans un monde complexe 2020-2040) de 2014 servent de développement et de complément.
La Russie et la Chine ont été érigées à dessein comme des ennemis menaçants, afin d’instituer les Etats-Unis comme la puissance militaire protectrice par le biais de l’OTAN et de différentes alliances de défense asiatiques. [3]
En 1945 déjà, le philosophe américain James Burnham avait prophétisé que les Etats-Unis étaient appelés à
atteindre la puissance mondiale dans l’affrontement avec les autres superpuissances.
Début août 2017, Paul Craig Roberts, journaliste et ancien secrétaire adjoint au Trésor sous la présidence de Ronald Reagan, exprimait sa consternation face à la menace de guerre :
Pendant deux décennies, les régimes de Clinton, George W. Bush et Obama ont jeté des bâtons, des pierres et des mots méchants à l’ours russe. Les Etats-Unis ont rompu et annulé l’un après l’autre tous les accords de sécurité, ils ont aggravé la menace contre la Russie en organisant des jeux de guerre à ses frontières, en orchestrant un coup d’Etat en Ukraine, province qui appartient à la Russie depuis des siècles, et en déversant un flux continu de fausses accusations contre la Russie. [4]
En réaction à cette politique irresponsable, irréfléchie et imprudente (et ignorée par les médias) à l’égard de la Russie, les planificateurs militaires russes en sont venus à conclure que Washington préparait une attaque nucléaire surprise contre la Russie.
C’est l’événement le plus alarmant de ma vie », a déclaré Roberts. Maintenant que « les fous criminels de Washington ont convaincu la Russie qu’elle est impliquée dans les plans de guerre de Washington, elle n’a d’autre choix que de se préparer à une première frappe. [5]
Au vu de la situation actuelle dans l’est de l’Ukraine, il semble que la Russie ne se soit pas préparée à temps, alors que l’Ukraine, soutenue par l’Occident, l’a fait.
Ce qu’Angela Merkel avait déclaré le 7 décembre, dans une interview au Zeit, vient d’être confirmé par François Hollande, président de la France entre 2012 et 2017.
Les accords de Minsk n’étaient qu’un leurre destiné à donner plus de temps à l’Ukraine pour se préparer à la guerre avec la Russie.
Entre-temps, le Kremlin en est venu à considérer lui aussi les accords de Minsk comme un leurre.
Dans un entretien avec le présentateur de Rossiya, Pavel Saroubine, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré le 9 avril 2023 que cela n’avait fait qu’envenimer la situation et précipiter l’opération militaire :
Oui, les accords de Minsk étaient un ‘tour de passe-passe’. Nous avons été trompés, et cela a fait dégénérer la situation.
Comment les choses vont-elles évoluer ? Probablement avec de nouvelles provocations et de nouveaux attentats attribués à la Russie.
Comment mettre un terme à une politique impériale aussi hypocrite ? L’ONU ne semble pas en mesure de le faire. Ainsi, le monde (la Société des Nations en 1919 et l’ONU en 1945 sont nées de la guerre) doit enfin trouver la voie vers une communauté engendrée dans un esprit de paix et qui soit capable de sanctionner toute politique contraire à la paix. [6]
Les documents de référence du Congrès américain du 15 novembre 2022 citent la nouvelle stratégie de sécurité nationale du 27 octobre 2022 :
Les États-Unis sont une puissance mondiale avec des intérêts mondiaux. Nous sommes plus forts dans chaque région parce que nous sommes également engagés dans toutes les autres régions. Si l’une d’elles est plongée dans le chaos ou dominée par une puissance hostile, cela a un impact négatif sur nos intérêts dans les autres régions.
Le document [7] du congrès poursuit :
Les décideurs politiques américains ont pour objectif d’empêcher l’émergence d’hégémonies régionales en Eurasie (...) les opérations militaires des Etats-Unis pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de nombreuses opérations militaires américaines et des opérations quotidiennes depuis la Seconde Guerre mondiale (...) ont apparemment contribué pour une part non négligeable à soutenir cet objectif.
Depuis plus d’un siècle, il s’agit avant tout d’accroître la richesse d’une poignée de magnats de la City de Londres et de Wall Street. Un coup d’œil sur les flux financiers actuels le confirme. Ainsi, les élites financières américaines et britanniques semblent peu intéressées par un règlement du conflit ukrainien.
Aujourd’hui, ces mêmes cercles voudraient nous conduire vers une troisième guerre mondiale. Il serait extrêmement tragique que l’appel lancé par l’écrivain Thomas Mann aux auditeurs européens en 1953 ne soit pas entendu. En exil aux Etats-Unis, il avait reconnu leur tendance à
traiter l’Europe comme une colonie économique, une base militaire, un glacis dans la future croisade atomique contre la Russie, un morceau de terre certes intéressant du point de vue de l’antiquité et digne d’être visité, mais dont la ruine complète sera le cadet de leurs soucis lorsqu’il s’agira de lutter pour la domination mondiale.
Selon l’expert américain en droit international et ancien fonctionnaire de l’ONU Alfred de Zayas (qui fut de mai 2012 à avril 2018 expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et juste), il doit y avoir un message fort de la population civile et/ou des pays BRICS, sinon la guerre durera indéfiniment ou débouchera sur l’Armageddon.
Disons haut et fort :
Le globe ne doit plus être le jouet d’une oligarchie financière irresponsable préparant le terrain à une exploitation impitoyable. [8]
Jetons le sinistre récit « ici le bien, là le mal » dans les poubelles de l’histoire !
Bannissons la guerre ! Et surtout, osons plus d’humanité !