La séparation bancaire introduite au Congrès US : que font nos députés français ?

vendredi 12 mai 2023

Chronique stratégique du 12 mai 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

De gros nuages noirs s’accumulent au-dessus du système bancaire américain, suites aux faillites consécutives de Silicon Valley Bank, de Signature Bank et de First Republic Bank. C’est dans ce contexte que la députée démocrate de l’Ohio Marcy Kaptur a déposé une proposition de loi visant à rétablir le Glass-Steagall Act – la séparation stricte entre les banques de dépôts et les banques d’affaires mise en place par Franklin Roosevelt en 1933.

Chez nous, la France Insoumise, via l’Institut La Boétie, a également mis la question sur la table. Reste à trouver des députés courageux pour faire le travail à l’Assemblée nationale.

Retour au Glass-Steagall Act

Intitulé « The Return to Prudent Banking Act of 2023 », le projet de loi a été présenté le 19 avril 2023 à la Chambre des représentants des États-Unis. Cette séparation bancaire, qui avait été abrogée en 1999 par un Bill Clinton sous la pression de Wall Street (et bien avant en France, puisque la loi de séparation bancaire établie à la Libération fut abrogée dès 1984), constitue une étape essentielle aujourd’hui pour reprendre le contrôle d’un système financier devenu fou, et un point pivot pour un changement mondial vers une nouvelle architecture économique, au service du développement, non de la spéculation, de la guerre et de la crise économique permanente.

Chose notable, dans son communiqué de presse présentant la proposition de loi, la députée Marcy Kaptur explique que celle-ci est défendue par l’Institut Schiller, avec lequel Solidarité & progrès coopère, et la Fédération américaine du travail et le Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO), la plus grande fédération syndicale américaine, qui en comprend l’intérêt vital pour la classe ouvrière américaine

Cette proposition permettra de rétablir les dispositions essentielles de la loi Glass-Steagall, ou la loi bancaire de 1933, qui avait fourni un demi-siècle de stabilité économique sans précédent, explique Kaptur. (...) [Elle rétablira] la séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement. (…) Wall Street a prouvé qu’elle ne peut pas se contrôler, et ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne conduise l’Amérique vers la prochaine crise financière. Il est clair que le moment est venu de mettre en œuvre une réforme systémique, et c’est pourquoi je présente la Loi sur le retour à des services bancaires prudents.

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Pour l’instant, le projet de loi compte 11 co-parrains. Il attire de plus en plus l’attention, y compris au Capitole, au fur et à mesure que la vague de problèmes et de faillites bancaires augmente d’heure en heure.

Et le pire est à venir. Car sur les 4800 banques américaines, pour l’immense majorité des petites banques régionales, plus de 2300 reposent actuellement sur des actifs (principalement des bons du Trésor US) dont la valeur est inférieure à leurs passifs. Ce qui signifie qu’elles sont en faillite technique. Le Trésor américain et la Réserve fédérale, en bons chiens de garde, excluent toute réforme du système financier et s’entêtent à sauver les banques « too big to fail », en les aidant à engloutir les petites banques régionales.

C’est ainsi que le 1er mai, la Société fédérale d’assurance des dépôts bancaires (FDIC) américaine a rendu public l’accord qu’elle venait de conclure avec JP Morgan Chase pour la reprise par cette dernière des dépôts et actifs de la First Republic Bank (FRB), dernière victime en date de la remontée des taux d’intérêt de la Réserve fédérale. Au cours du premier trimestre, la FRB a en effet perdu 100 milliards de dollars de dépôts et son action était passée de 120 à 8 dollars le 25 avril.

Comme en 1989 et en 1907, JP Morgan, géniteur de la FED, accepte de jouer le rôle de prêteur de dernier ressort, toujours dans la crainte d’un retour à une vraie banque nationale aux Etats-Unis.

Avec le renflouement de la FRB, le volume total des actifs bancaires remis à flot ces dernières semaines atteint 550,8 milliards de dollars (211,8 pour Silicon Valley Bank, 110 pour Signature Bank et 229 pour First Republic). Le motif sous-jacent de ces renflouements est de sauver à tous prix les quatre billiards (4 suivi de 15 zéros…) de dettes dérivées détenues par les 8 méga-banques américaines « too big to fail ».

Gravure de Bruegel l'Ancien "Les gros poissons mangent les petits" (1556)
Gravure de Bruegel l’Ancien "Les gros poissons mangent les petits" (1556)
Domaine public

Comme le dit l’analyste financier français Charles Sannat, en utilisant les banques « too big to fail » pour prendre le contrôle des banques régionales en faillite, la Fed crée un problème « too big to save » à l’avenir. Les gros poissons avalent les petits, tout en crevant sur la rive, donnant vie au célèbre tableau de Pieter Bruegel l’ancien…

Reprendre le contrôle du gouvernail

En France, un timide débat fait surface. Le 28 avril, dans une note de 19 pages, quatre économistes (Aurélie Trouvé, Dominique Plihon, Frédéric Lemaire et Antoine de Cabanes) de l’Institut La Boétie (ILB), un groupe de réflexion co-présidé par l’ancien sénateur français Jean-Luc Mélenchon, tentent de tirer les conclusions de la récente crise bancaire. La Silicon Valley Bank et le Crédit Suisse, notent-ils, ne sont que « les premières victimes de la hausse des taux d’intérêt et met en évidence la fragilité du système bancaire ». La crise « nous invite à reprendre le contrôle de la sphère financière et à la transformer pour la mettre au service du bien commun ».

« Cette crise doit être l’occasion de mener une véritable réforme bancaire pour réduire le nombre d’acteurs systémiques, réforme qui n’a pas eu lieu après la crise financière mondiale de 2008, écrivent-ils. L’une des principales mesures doit être la séparation des activités de banque de détail et d’investissement, et de la banque d’investissement. Cette mesure, à laquelle le lobby bancaire s’est toujours opposé, a prouvé son efficacité dans le passé : les historiens de la finance ont montré que le Glass-Steagall Act (1933), adopté à la suite de la crise de 1929, a contribué à la stabilité du système bancaire américain dans les décennies qui ont suivi. La France avait également institué en 1945 une séparation des activités de dépôt, de crédit à moyen et long terme et d’investissement, qui a également apporté la stabilité dans la période d’après-guerre ».

Sans évoquer un retour à une « vraie » banque nationale (c’est-à-dire en dehors de l’euro), comme l’ont défendu et le défendent l’économiste américain Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade, ils souhaitent néanmoins voir la création d’un nouveau pôle bancaire, afin de constituer la base d’une « version modernisée » des « Circuits du Trésor » (par lesquels la Banque de France était autorisée à fournir des capitaux productifs ciblés au Trésor français, mécanisme proscrit depuis 1973) — un système, rêvent-ils, « qui libérerait l’État français de sa soumission aux marchés financiers ».

Reste à ce que des députés français engagent la bataille sur cette question au sein de l’Assemblée nationale. A vous de jouer donc, Mesdames et Messieurs les élu(e)s du peuple !

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