Dynamitage de Nord Stream : l’OTAN brouille-t-il les pistes ?

lundi 3 avril 2023

Chronique stratégique du 3 avril 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Un mois après les révélations du journaliste d’investigation américain Seymour Hersh sur le fait que les États-Unis étaient derrière l’explosion du gazoduc Nord Stream, les réseaux atlantistes continuent d’empêcher la vérité d’émerger. Le 27 mars, les pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU, sous pression, se sont abstenus de voter pour l’ouverture d’une enquête internationale, proposée par la Chine et la Russie.

Enquêtes séparées

Le 28 mars, l’Agence danoise de l’Énergie (DEA) a trouvé un objet cylindrique à côté du gazoduc Nord Stream, à 73 m de profondeur, qui s’est avéré être une bouée fumigène maritime. La DEA a pu faire cette découverte grâce au signalement quinze jours plus tôt par la Russie. « Des spécialistes estiment que c’est peut-être une antenne pour recevoir un signal pour activer un engin explosif, qui pourrait avoir été placé dans cette (partie) du gazoduc », avait affirmé Vladimir Poutine à la chaîne de télévision Russia 24.

Suite à cette découverte, le Danemark a décidé d’inviter l’opérateur du gazoduc, Gazprom, à participer à l’examen de l’objet, ce que le porte-parole du Kremlin a qualifié de « bonne nouvelle ». En effet, depuis l’explosion du gazoduc, la Russie déplore d’avoir été systématiquement tenue à l’écart des enquêtes — alors qu’elle est l’une principales parties prenantes de l’infrastructure.

Six mois après l’attentat, le voile n’a toujours pas été levé ; la découverte de la bouée est l’une des rares avancées réalisées dans le cadre des enquêtes menées par le Danemark, la Suède et l’Allemagne.

Le problème est que ces trois enquêtes sont conduites séparément, comme l’a souligné Andrej Hunko, membre du Bundestag allemand et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans une interview accordée le 23 mars au quotidien chinois Global Times. « Il ne s’agit pas d’une enquête conjointe. Je ne comprends pas pourquoi ». Pourtant, le sabotage constitue un acte de guerre économique contre l’Union européenne, et en particulier contre l’Allemagne.

Je pense toujours qu’à l’heure actuelle, une enquête internationale sur ce qui s’est passé serait préférable, avec une équipe d’enquête internationale forte organisée par l’ONU, qui a une autorité d’enquête réelle, a ajouté Hunko.

L’ONU rejette la résolution pour une enquête internationale

Cette idée d’une enquête internationale a été mise sur la table de l’ONU par la Chine et la Russie, mais le 27 mars, le Conseil de sécurité a rejeté leur projet de résolution. Seuls la Russie, la Chine et le Brésil ont voté pour la résolution. Les 12 autres membres du Conseil de sécurité –Albanie, Émirats arabes unis, Équateur, États-Unis, France, Gabon, Ghana, Japon, Malte, Mozambique, Royaume-Uni et Suisse — se sont abstenus. Autrement dit, on marche sur des œufs.

L’ambassadeur russe auprès de l’ONU, Vasiliy Nebenzia, a déclaré au Conseil que la résolution russe appelait à la création d’une commission internationale indépendante chargée de mener une enquête exhaustive, transparente et impartiale sur les circonstances de l’incident. « Lors des dernières étapes des consultations sur notre projet de résolution, le seul argument que nous avons entendu de la part des collègues qui doutaient de la nécessité d’une enquête internationale était que nous devions d’abord attendre les résultats des enquêtes nationales, a-t-il déclaré. À cela, nous devons répondre que de telles enquêtes conduites de façon inefficace et non transparente peuvent durer éternellement, et nous perdons un temps précieux ». Nebenzia avait déjà noté que les enquêtes danoise, suédoise et allemande n’avaient fourni à la Russie que des réponses formelles.

Par conséquent, s’il n’y a pas d’enquête internationale objective et transparente, nous ne pourrons pas découvrir la vérité, a-t-il déclaré.

Après le vote, l’ambassadeur américain Robert Wood, représentant suppléant pour les affaires politiques spéciales, a non seulement nié l’implication des États-Unis dans le sabotage — une accusation que Nebenzia n’a pas formulée directement — mais a qualifié la résolution russe de « tentative de discréditer le travail des enquêtes nationales en cours et de porter préjudice à toute conclusion à laquelle elles aboutiraient qui ne correspondrait pas au narratif politique prédéterminé de la Russie. Il ne s’agissait pas d’une tentative de recherche de la vérité ».

« Lorsque nous avons soulevé la question d’une enquête internationale objective, la tactique de nos collègues américains et européens s’est réduite à nier l’implication des États-Unis d’une part et à empêcher une enquête transparente et impartiale sur les circonstances du sabotage d’autre part », a déclaré Nebenzia à l’issue du vote. « Plus les preuves de l’implication de Washington et de ses alliés de l’OTAN apparaissaient, plus le bloc occidental s’insurgeait contre l’inopportunité d’une enquête internationale ».

Qu’est-ce que cela signifie ? Il n’est pas nécessaire d’être détective ou analyste pour comprendre que les États-Unis et leurs alliés brouillent les pistes, c’est-à-dire qu’ils multiplient les spéculations et les versions absurdes tout en refusant de commenter les faits peu flatteurs qui sont révélés. Si les États-Unis étaient intéressés à établir les faits et à demander des comptes aux coupables, Washington agirait différemment, a déclaré l’ambassadeur russe à l’ONU.

La macroniste Nathalie Loiseau confrontée aux révélations de Seymour Hersh

Le 16 mars, un militant de Solidarité et Progrès est intervenu dans une conférence de la députée européenne macroniste Nathalie Loiseau, pour lui demander si, suite aux révélations de Seymour Hersh, elle était favorable à l’ouverture en France d’une enquête indépendante sur l’implication des États-Unis dans l’explosion de Nord Stream.

Face à cette question, non seulement Nathalie Loiseau cherché à noyer le poisson – y compris en mentant sur le fait que la Russie serait incluse dans les enquêtes ; mais surtout, elle n’a pas hésité à dénigrer son « ami » Seymour Hersh, mettant sur le compte de son âge avancé le fait qu’il serait « manipulé » — car, c’est bien connu, dès lors que vous dénoncez les agissements impériaux de l’Otan, vous êtes le jouet des conspirationnistes !

L’échange avec la députée européenne a fait réagir jusqu’aux États-Unis, où Scott Ritter, l’ancien inspecteur de l’ONU en Irak, est venu voler dans les plumes de Loiseau dans cet échange de twitts que nous reproduisons ici :

SCOTT RITTER : Je connais Seymour Hersh depuis 25 ans. Je me suis récemment assis avec lui pour discuter du Nord Stream. Il est aussi vif aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Pour cette ‘amie’ française d’autrefois, l’attaquer sur son âge est l’ultime assaut ad hominem. Les faits comptent. Elle devrait avoir honte.

NATHALIE LOISEAU : Vous avez raison. Les faits comptent. Pas les rumeurs anonymes. Et vous avez raison : il est facile d’être manipulé à tout âge, bien plus jeune que Seymour Hersh. Il y a tellement d’exemples. Je vous admirais Scott Ritter, comme j’admirais Seymour Hersh. Maintenant, je suis désolée.

SCOTT RITTER : Donc le Président des États-Unis annonce qu’il détruira Nord Stream, puis Nord Stream est détruit, et vous prétendez qu’il n’a jamais fait une telle affirmation en refusant d’enquêter sur l’incident ? Qui est manipulé ici, Madame ?

La question est restée sans réponse. Et, dans la nuit qui a suivi cet échange, le compte twitter de Scott Ritter a été désactivé.

Rappelons que Nathalie Loiseau a dirigé l’ENA pendant plusieurs années et qu’elle préside aujourd’hui la sous-commission Défense et Sécurité du Parlement européen. Scott Ritter, lui, lorsqu’il était inspecteur de l’ONU en Irak, s’est battu avant la guerre de 2003 contre la fraude des prétendues armes de destruction massive. Il sait ce que veut dire une enquête. Et il sait ce que veulent dire des manipulations.