Après Nord Stream, les Etats-Unis vont-ils dynamiter l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs ?

jeudi 23 mars 2023

Chronique stratégique du 23 mars 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

A Washington, où les conseillers en analyse stratégique ne font pas dans la dentelle, on se dit qu’il vaut mieux vaut détruire l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs que d’en laisser le contrôle à Beijing. A l’opposé de cette diplomatie de la canonnière, les présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine se sont rencontrés lundi à Moscou, afin notamment de discuter d’un plan de paix pour l’Ukraine.

La politique de la terre brûlée de Washington pour Taïwan

« Les États-Unis et leurs alliés ne laisseront jamais ces usines [de semi-conducteurs] [à Taiwan] tomber entre les mains des Chinois », a déclaré l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Robert O’Brien, dans une interview accordée le 13 mars dernier au site Internet Semafor.

Comme le souligne Alexander Rubinstein sur le site The Grayzone, O’Brien a comparé la destruction de TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) à l’attaque du 3 juillet 1940 par la Royal Navy contre une escadre de la Marine nationale française dans le port militaire français de Mers el-Kébir, en Algérie, une semaine avant la remise des pleins pouvoirs à Philippe Pétain.

Taïwan est de loin le leader mondial de la fabrication de semi-conducteurs, avec 65 % des semi-conducteurs et près de 90 % des puces avancées produits à Taïwan. Rubinstein note également que O’Brien, qui a été conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, s’est rendu en Arizona en 2020 pour célébrer l’ouverture d’une usine TSMC d’une valeur de 12 milliards de dollars.

Déjà, en octobre 2022, l’agence Bloomberg rapportait que Elbridge Colby, un ancien fonctionnaire du Pentagone lunatique et anti-chinois, avait appelé à la destruction de TSMC : « Nous ne pouvons pas permettre qu’une participation aussi précieuse tombe entre les mains des Chinois ». L’an dernier, l’U.S. Army War College a publié un document appelant les États-Unis et Taïwan à « établir des plans pour une politique de terre brûlée ciblée (…). Le moyen le plus efficace d’y parvenir serait de menacer de détruire les installations appartenant à TSMC ».

La considération accordée aux dizaines de millions de personnes vivant à Taïwan ressort clairement d’un rapport du CSIS, publié en janvier 2023, sur les jeux de guerre (wargames) simulant une invasion chinoise de Taïwan : les États-Unis compteraient des dizaines de milliers de victimes, tandis que « Taïwan verrait son économie dévastée » dans le scénario.

Les Taïwanais seront-ils, à l’instar des Ukrainiens, la prochaine chair à canon de l’OTAN dans sa guerre contre la Chine et la Russie ?

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Pendant qu’à Washington les cervelles tournent en boucle dans des scénarios de guerre, les présidents russe et chinois se sont rencontrés à Moscou, afin de discuter entre autres du plan de paix en Ukraine, mis sur la table le 24 février par la Chine.

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Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la perspective d’une fin de conflit en Ukraine n’est pas du goût de l’appareil sécuritaire américain : « si, à l’issue de la rencontre Xi-Poutine, il y a une sorte d’appel au cessez-le-feu, ce sera tout simplement inacceptable », a en effet déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, sur Fox News dimanche 19 mars.

Il ne fait aucun doute que la Chine et la Russie, et cela figure dans la stratégie de sécurité nationale, sont deux pays qui s’opposent à l’ordre international fondé sur des règles que les États-Unis et tant de nos alliés et parties ont mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a averti Kirby. Ils n’aiment pas cela.

S’il n’y avait que la Russie et la Chine, les choses seraient plus simples ! Le problème, c’est qu’une armée entière de pays sort progressivement des rangs de « l’ordre international fondé sur des règles ».

En effet, peu de temps après la proposition chinoise de plan de paix en Ukraine, une véritable révolution diplomatique s’est produite, avec la reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, au travers d’un accord négocié par la Chine (lire notre chronique du 13 mars).

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Puis le président syrien Bachar al-Assad s’est rendu à Moscou pour deux jours d’entretien avec le président Poutine, consolidant ainsi son engagement en faveur de la reconstruction de son pays. Assad s’est ensuite rendu aux Émirats arabes unis, où il a pris part à des discussions sur le renforcement de la coopération économique, ainsi que sur la réintégration globale probable dans la communauté arabe des nations – ou, comme l’a dit un expert des Émirats arabes unis : prendre « les ennemis du passé et les transformer en amis de demain ». Tout cela a été au grand dam de ceux qui, en Occident, avaient cherché l’anéantissement absolu de la Syrie au cours de la décennie précédente.

Enfin, le week-end dernier, à la veille de la rencontre Xi-Poutine, le roi saoudien Salman a invité le président iranien Raïssi à Riyad, dans un nouveau geste de bonne foi entre les deux anciens rivaux. Dimanche, un représentant iranien de haut niveau s’est rendu en Irak pour signer de nouveaux accords de sécurité dans l’espoir de résoudre les tensions frontalières de longue date entre les deux pays. En outre, l’Arabie saoudite et la faction houthis du Yémen ont convenu d’un échange de prisonniers, dans une autre concrétisation potentielle du nouveau paradigme qui se déroule dans cette région déchirée par la guerre.

De ce point de vue, considérer comme « inacceptable » tout appel à un cessez-le-feu venant de la Russie et de la Chine, comme l’a fait le Département d’État américain, est non seulement incompétent mais criminel.

A SUIVRE LE 15 AVRIL : Visio-conférence internationale de l’institut Schiller

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