Cet article est tiré d’une série d’enquêtes menées par des rédacteurs de l’hebdomadaire américain Executive Intelligence Review (EIR) sur des opérations de contrôle mental, visant à domestiquer la pensée des citoyens pour faire triompher le « narratif » d’une oligarchie financière à la dérive, que l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern a surnommée « MICIMATT » (Military Industrial Congressional Intelligence Media Academic Think Tank, en français complexe militaro-industriel, de la communauté du renseignement, des médias, des universitaires et des laboratoires d’idées).
Par Karel Vereycken, sur la base d’un rapport de Marcia Merry Baker, EIR
Aux Etats-Unis, les deux chambres de l’État du New Jersey viennent d’adopter le 21 novembre un projet de loi bipartisan rendant obligatoire dans les écoles publiques, de la maternelle (sic) à la 12e année, « l’éducation aux médias » afin de combattre la « désinformation ».
Si le gouverneur Phil Murphy signe cette loi, le New Jersey deviendra le premier État à adopter une telle réforme.
Pour le Philadelphia Inquirer, il n’y a que du bon : « Ils veulent que les bibliothécaires scolaires, les spécialistes des médias et les enseignants aident les élèves à interpréter correctement l’information. »
Or, le type d’apprentissage auquel ils font allusion ne pourrait s’avérer plus insidieux. Il s’agit d’un programme visant à empêcher les jeunes de penser par eux-mêmes et à leur laver le cerveau avec des codes d’interprétation préfabriqués. Si le New Jersey est pionnier dans cette opération, d’autres Etats américains préparent des réformes identiques.
Aux Etats-Unis, l’agence en charge de la « lutte contre la désinformation » en milieu scolaire est le groupe Media Literacy Now, basé dans le Massachusetts, qui gère une carte des 50 États et des endroits cibles où cela peut être imposé. La fondatrice et présidente du groupe, Erin McNeill, fait l’éloge du New Jersey, premier État à avoir mis en place ce programme dans les écoles primaires et secondaires. L’Illinois ne l’applique encore que dans les écoles secondaires.
Il existe un programme d’éducation aux médias, qui enseigne aux enfants comment déterminer la crédibilité des sources qu’ils consultent, conseillant évidemment de ne faire confiance qu’aux grands médias dominants.
Olga Polites, enseignante à la retraite et fervente lobbyiste en faveur du nouveau projet de loi, donne comme exemple de désinformation le fait de douter du bon déroulement des élections présidentielles américaines, alors que Républicains autant que Démocrates sont les champions de la fraude électorale. Une autre préoccupation majeure de Media Literacy Literacy est de déconstruire les « stéréotypes médiatiques sur le genre » transmis aux enfants et adolescents.
En Europe
En réalité, cette campagne est mondiale et l’Europe n’y échappe pas. En Europe, la Commission européenne a publié le 11 octobre ses propres « Lignes directrices à l’intention des enseignants et des éducateurs sur la lutte contre la désinformation et la promotion de l’alphabétisation numérique par l’éducation et la formation ».
Les auteurs de cette directive demandent aux écoles de faire appel à des experts en « inoculation psychologique », ce que Wikipédia décrit comme
une théorie développée pour protéger les attitudes et les croyances existantes, montrer comment renforcer la résistance à de futurs contre-arguments inacceptables ou à des attaques persuasives.
Il ne s’agit donc pas d’aiguiser le sens critique de chacun pour qu’il soit en mesure de réfuter des infox, mais bien d’un conditionnement mental visant à immuniser les esprits contre des informations jugées d’avance comme nuisibles aux élites en place, par exemple douter de la légitimité de l’OTAN, douter de l’urgence climatique ou avoir des sympathies pour la Chine...
Pré-bunkage et dé-bunkage
Les 40 pages de directives de la Commission européenne sur la question restent généralement extrêmement vagues, tout en incitant les enseignants à travailler sur le pré-bunking, habilement traduit par « réfutation des idées fausses » (alors que le terme anglais implique une approche préventive) et le débunking (démystification), traduit par « rétablissement de la vérité ». Jadis, cela s’appelait endoctrinement, un mot sans doute trop clair…
Selon la directive, la réfutation des idées fausses (pré-bunking) est
un processus dans lequel les gens sont avertis qu’ils sont sur le point d’être la cible de fausses informations. Elle s’appuie sur le raisonnement selon lequel ’mieux vaut prévenir que guérir’. Pour enseigner la réfutation des idées fausses aux élèves, il est possible de leur fournir au préalable des informations factuelles et des informations détaillées sur un sujet particulier, puis de présenter des cas existants de désinformation sur le même sujet. On peut également leur dire à l’avance à quel type de désinformation ils peuvent s’attendre... (p. 29)
En complément,
le rétablissement de la vérité [débunking] intervient après le fait, c’est-à-dire après l’apparition de la fausse information. L’objectif est de corriger les fausses informations et d’empêcher d’autres personnes de croire une information dont on peut vérifier qu’elle est fausse. Les personnes qui lisent ou voient l’information ’trient’ ce qui est présenté comme un fait et/ou la vérité. Les stratégies de vérification des faits peuvent être utilisées pour rétablir la vérité en cas de mésinformation et désinformation. (p. 29)
La désinformation russe ?
Évidemment, ceci implique que quelqu’un, au sommet, décide quelle est « la vérité » bonne à partager et celle qui ne l’est pas. Notons que la East Strat Com Task Force, créée par le Conseil européen en 2015, sur son site euvsdisinfo.eu tient à jour une liste de « faux récits » et de « désinformation russe » que personne n’a le droit de contester.
Exemples de « désinformation russe » à éradiquer des esprits :
- l’expansion de l’OTAN vers l’Est constitue une menace sérieuse pour la Russie ;
- l’OTAN utilise l’Ukraine pour combattre la Russie ;
- l’Ukraine a lancé deux missiles sur la Pologne ;
- les sanctions occidentales entraînent des crises alimentaires et des hausses de prix ;
- les sanctions de l’UE font plus de mal à l’Europe qu’à la Russie ;
- les pays occidentaux appliquent la censure et font taire les dissidents ;
- les nationalistes d’Azov utilisent des boucliers humains ;
- les États-Unis bénéficient du sabotage du Nord Stream.
Différentes unités de recherche publiques et privées dressent des listes de ce type sur de nombreux sujets, allant de la météo à la nourriture et aux causes de la famine, dictant ce qui doit être considéré comme une information vraie ou fausse.
Le rapport de l’OTAN
Le document qui fait référence est un rapport de l’OTAN publié le 29 octobre 2021 par son Centre d’excellence des communications stratégiques à Riga, en Lettonie.
Selon ce rapport,
les chercheurs ont exploré les moyens de réfuter de façon préventive (« pre-bunker » en anglais) la désinformation. L’idée de développer un ‘vaccin’ psychologique contre la désinformation découle d’un cadre de travail des années 1960, appelé ‘théorie de l’inoculation’. Pendant la guerre du Vietnam, le gouvernement américain s’est inquiété de la possibilité que ses troupes subissent un lavage de cerveau (ou soient persuadées) par la propagande étrangère. Cette crainte a inspiré au psychologue social William McGuire l’idée d’un ‘vaccin contre le lavage de cerveau’. Faisant une analogie avec la vaccination, McGuire a proposé qu’au lieu de bombarder les gens avec des faits plus convaincants, mieux valait les exposer préventivement à une dose affaiblie d’un argument ‘manipulateur’ spécifique, pouvant leur conférer une résistance psychologique contre l’exposition future à des attaques persuasives [des arguments contraires], un peu comme un vaccin confère une résistance physiologique contre une infection future.
Ainsi, « au fil des années, les traitements d’inoculation se résument à deux composantes essentielles :
1. un avertissement contre une attaque imminente contre ses convictions ;
2. une réfutation préemptive de l’argument persuasif, appelé « prébunk ». Depuis, un grand nombre d’études et de méta-analyses ont été menées, établissant la théorie de l’inoculation comme un cadre solide pour contrer la persuasion non désirée.
« Bien que le paradigme original se soit avéré hautement reproductible, il n’a jamais été testé dans le cadre qui a inspiré l’idée de McGuire : le lavage de cerveau et la propagande. Cela commença à changer vers 2017, lorsque des chercheurs entreprirent d’appliquer la théorie de l’inoculation dans le contexte moderne de la désinformation en ligne. »
Changement climatique
L’un des auteurs du rapport de l’OTAN, le professeur Sander Van der Linden, de l’université de Cambridge, a cherché avec ses collègues à savoir, par exemple, s’il était possible d’« inoculer » quelqu’un « contre la désinformation sur le changement climatique ».
« Les participants à l’étude ont reçu soit un message sur le consensus scientifique concernant le changement climatique (affirmant que ‘97 % des climatologues ont conclu que le changement climatique est causé par l’homme’), soit un message de désinformation (disant qu’une ‘pétition a été signée par plus de 30 000 personnes, affirmant qu’il n’existe aucune preuve scientifique convaincante que le changement climatique causé par l’homme serait nuisible), ou les deux messages côte à côte. »
Pour le test, afin de vérifier si le « pré-bunkage » fonctionne, on a exposé certains participants au message « inoculant » suivant : « La quasi-totalité des climatologues - 97% - ont conclu que le changement climatique causé par l’homme est en cours. Certains groupes politiquement motivés utilisent des tactiques trompeuses pour essayer de convaincre le public qu’il y a de nombreux désaccords entre les scientifiques. Cependant, les recherches scientifiques ont montré que parmi les climatologues, ‘il n’y a pratiquement aucun désaccord sur le fait que les humains sont la cause du changement climatique’. »
Sans entrer dans tous les détails, on se rend bien compte que pour les « chercheurs » de l’OTAN, la notion d’un citoyen se forgeant son propre jugement n’existe pas et que l’histoire de la science se résume en général à une seule personne ayant raison contre le consensus dominant. On pense à Platon, de Cues, Leibniz, Kepler, Gauss, Einstein, Pasteur, Claude Bernard et tant d’autres.
A l’opposé, pour l’OTAN, il n’y a que des rats de laboratoire auxquels on tente d’imposer une théorie mécaniste. Les théories du lavage de cerveau et du contre-lavage partent toutes deux de l’idée que le cerveau est une sorte d’ordinateur équipe de disquettes programmable et effacable.
Réaction d’Helga Zepp-LaRouche
Interrogée sur cette question, la fondatrice de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, a souligné la gravité de ce qu’il faut bien qualifier de dérive totalitaire. Le 1er décembre, lors de sa chronique hebdomadaire sur internet, elle a déclaré :
Un tribunal allemand – et je pense que le Bundestag a également légiféré – a confirmé un changement dans le paragraphe 130 du code pénal, article 5. Or, si cela renforce la loi s’appliquant à ceux qui dissimulent des crimes de guerre, ou affirment des choses pouvant inciter à la haine, le paragraphe en question, comme l’ont souligné plusieurs experts juridiques, est tellement vague qu’il laisse la décision aux tribunaux et à la police ; il ouvre la porte à la suppression totale de toute opinion !
A cela s’ajoute une autre atrocité : les lignes directrices de l’UE à l’intention des enseignants, selon lesquelles ceux-ci sont censés ‘pré-bunker’ leurs élèves contre la propagande russe. Normalement, si quelqu’un affirme quelque chose d’erroné, vous pouvez le réfuter en lui disant : ‘Non, ce n’est pas vrai’ et lui faire connaître ce que vous pensez être la vérité. Mais avec le pré-bunkage, c’est totalement différent car il s’agit ’d’inoculer’ les gens de telle sorte qu’ils ne posent même plus de questions...
Ils ont dressé une liste de choses que l’on n’est pas autorisé à penser ou à dire, par exemple, vous ne pouvez pas dire ’l’expansion de l’OTAN nuit aux intérêts de la Russie’, ou ’l’OTAN est agressive’. Il y en a toute une liste – y compris un historique de la guerre en Ukraine – qui sont censées être éradiquées des esprits. Et les élèves – les enfants – sont censés être psychologiquement vaccinés contre toute interprétation de ce type.
Pour moi, ce n’est pas la liberté d’expression, c’est une dictature. C’est du contrôle mental. Nous menons actuellement une enquête sur les multiples efforts visant à manipuler totalement le débat. Beaucoup se plaignent qu’il n’y ait plus aucune discussion possible, qu’on ne puisse plus avoir d’opinion différente.
Cela signifie, j’en ai bien peur, que nous ne vivons plus dans une démocratie mais, de plus en plus, sous un régime autoritaire.