Chronique stratégique du 11 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
Après le scandale des écoutes de la NSA (National Security Agency) [1], les données de l’Éducation nationale, du ministère de la Défense (hors gendarmerie), de la santé livrées à Microsoft, l’utilisation du logiciel américain Palentir par nos industries stratégiques et services de renseignements, l’Union européenne signe la capitulation de tout ce que l’on pouvait espérer d’indépendance européenne dans ce domaine face au désir de domination de « l’anglosphère » et ses « Five Eyes ».
Lors de leur conférence de presse commune le vendredi 25 mars à Bruxelles, Joe Biden et Ursula von der Leyen ont déclaré avoir conclu un accord politique devant permettre le transfert des données personnelles vers les États-Unis sans restrictions particulières. La conférence de presse s’est déroulée dans « un climat politique d’unité transatlantique », après une série de sommets réunissant les dirigeants de l’UE, de l’OTAN et du G7 « pour définir une réaction commune » à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Obsession américaine
Tel le chien obsédé à l’idée de vous mordre le mollet, les États-Unis sont donc revenus à la charge, après le rejet des projets « Safe Harbor » et « Privacy Shield Deal », qui avaient été respectivement invalidés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2015 et en 2020.
Depuis, Washington s’est démené pour proposer une base juridique pour un nouvel accord. En bref : Ashcroft en a rêvé [2], Von der Leyen l’a fait. Selon Stephan Hessel, un avocat écrivant pour le site Euractiv,
Le problème central est celui des lois américaines sur la surveillance, qui permettent aux services de renseignement d’accéder aux données personnelles avec peu d’examen et sans possibilité de redresser la situation.
D’après Politico, qui avait eu vent de l’intensification récente des discussions, les détails techniques pourraient être officialisés dans les prochaines semaines. « Cet accord permettra des transferts prédictibles et en confiance de données entre l’UE et les États-Unis », a simplement assuré Ursula von der Leyen. Reste encore à obtenir un accord juridique des deux côtés de l’Atlantique avant de pouvoir le mettre en oeuvre.
S’il n’est pas contesté comme ses prédécesseurs, cet accord est supposé mettre fin à près de deux ans d’insécurité juridique notamment pour les multinationales des deux continents, y compris Google, Facebook et Microsoft.
Le quotidien Les Échos rapporte que L’ONG None of Your Business de l’activiste autrichien Max Shrems, qui est à l’origine de l’invalidation du Privacy Shields, avait déposé 101 plaintes dans toute l’Union européenne jugeant illégale l’utilisation de Google Analytics ou de Facebook Connect. En février dernier, la CNIL française avait commencé à lui donner raison en enjoignant Auchan d’arrêter d’utiliser Google Analytics pour l’analyse du trafic Web sur son site Internet.
Un deal pour du gaz américain ?
Il est particulièrement consternant que les États-Unis aient utilisé le prétexte de la guerre contre l’Ukraine pour pousser l’UE sur cette question [prétendument] économique, a déclaré Max Schrems. Nous nous attendons à ce que cette affaire revienne devant la Cour dans les mois qui suivent une décision finale.
En effet, le déblocage miraculeux du transfert des données intervient en même temps qu’un autre accord permettant à l’UE de réduire sa dépendance au gaz russe en important davantage de gaz américain. « Étant donné que les États-Unis n’ont pas accepté de se soumettre au RGPD, la question se pose : l’Europe a-t-elle capitulé sur l’accès à ses données en échange de gaz américain ? » s’interroge le journal La Tribune.
Pour Octave Klaba, le patron d’OVHCloud, société qui a récemment porté plainte contre Microsoft pour abus de position dominante, l’accord récent entre l’UE et les États-Unis sur l’approvisionnement en gaz, en lien avec le conflit Ukraine-Russie, entre clairement en jeu dans ce nouvel accord sur les transferts de données transatlantiques.
Nos datas contre le gaz ... quand on n’a pas de vision sur la souveraineté, on doit accepter la vision du monde des autres pour nous. Humiliant, écrit Klaba sur Twitter.