Après deux siècles de contrôle par le fichage

Le Health Data Hub a livré nos données de santé à Microsoft

jeudi 29 juillet 2021, par Agnès Farkas

Retour historique d’un état policé

Oui policé ! Car c’est bien dans les moments de crise d’un système politique que les gouvernements décident de réglementer, de discipliner, souvent par soumission à un occupant et au détriment de la population. Pierre-Joseph Proudhon, en bon hégélien, le définit comme ceci : « Il faut que le régime du travail, du crédit et du commerce change ; que le salaire et la valeur, ce qu’il y a de plus libre au monde, arrivent à se policer. » (Guerre et paix, 1861)

Peut-on supprimer tout fichage ? La question devrait être posée différemment : Y a t il un bon et un mauvais usage du fichage ? Utiliser des fiches pour une bonne gestion des services de sécurité sociale semble utile et permet à la population de bénéficier des services publics de l’État ; tandis que ficher une population dans un but commercial privé ou pour lui imposer des contraintes politiques dévoyées doit être absolument combattu. Seul compte le bien commun.

A ce sujet, la prise de pouvoir bonapartiste est un point de changement fondamental qui marque le pouvoir politique sur les deux siècles qui nous en séparent. Dans le premier chapitre de cet article est soulignée l’alliance d’un trio composé de Napoléon Bonaparte, Joseph Fouché – le premier flic de France – du spéculateur Gabriel Ouvrard et de leurs alliés dans le contrôle des populations et de l’opinion publique.

Il sera suivi, de deux autres chapitres, l’un sur le bertillonnage de la police au tournant du XXe siècle, son fichage de la population et l’autre, sur le contrôle vichyste qui a utilisé cette méthode au service de l’occupant pour la « Sécurité nationale ». La conclusion porte sur le bon ou le mauvais usage politique de ces fichiers après 1945 jusqu’à aujourd’hui.

1) Bonaparte et la mise en place du contrôle citoyen

Surfant sur la vague du coup d’état du 18 brumaire, le général Napoléon Bonaparte (1769-1821) acquiert le poste de Premier consul en 1799. En 1800, il parvient au pouvoir suprême avec un aréopage de personnalités qui se sont faites une place, souvent fortunée, au détriment de la Révolution française.

Ici, le choix d’investigation se porte sur deux de ces personnalités, tout d’abord par leur aptitude exemplaire à collaborer, non seulement dans le soutien des guerres napoléoniennes, mais surtout dans l’institution d’un contrôle de la presse, de la population et du pillage des biens de l’État par des instances spéculatives : Joseph Fouché (1759-1820) pour le contrôle de l’opposition et Gabriel Ouvrard (1770-1846) pour le service financier du pouvoir.

Joseph Fouché est un ancien oratorien, élu à la Convention. Il entre rapidement dans les rangs des extrémistes et appelle au régicide, à la déchristianisation de la France. Cet ancien terroriste mitrailleur à Lyon exaspère Robespierre qui veut sa tête. Fouché devient alors l’un des instigateurs du 9 thermidor et de l’arrestation de Robespierre. En juillet 1799, un autre régicide et soutien au retour des Bourbons, Paul Barras (1755-1829), membre du Directoire, lui obtient le portefeuille de ministre de la Police générale.

La même année, Napoléon prend le poste de Premier consul et compte bien « pacifier » la France révolutionnaire. Pour y parvenir, ses complices, les banquiers Claude Périer et Jean-Frédéric Perrégaux, futurs fondateurs de la Banque de France, avancent les fonds à Emmanuel-Joseph Sieyès, qui fomente le coup d’État du 18 brumaire (10 novembre 1799). Cet épisode qui lie le pouvoir à la finance laissera une empreinte forte sur la politique française au cours des deux siècles à venir.

A ce stade, l’on doit évoquer un autre soutien du régime bonapartiste, Gabriel Ouvrard, un financier spéculateur, munitionnaire et fournisseur des armées, qui conforte sa fortune en profitant des périodes d’instabilité de la révolution et des campagnes de conquêtes militaires de Napoléon 1er.

a) Joseph Fouché, le contrôle de la population

Le ministère de la Police générale de Fouché comprend deux divisions, l’une consacrée à la police administrative et aux émigrés et l’autre – dite police secrète – à la sûreté et à la surveillance qui intègre un nombre non défini de mouchards dans tous les rangs de la société. Un modèle pour le futur régime vichyste (voir plus bas) et aussi pour Emmanuel Macron : « Napoléon Bonaparte est une part de nous », dit-il à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon 1er, à Paris le 5 mai 2021.

« Empêchez les journaux de donner des nouvelles ridicules », ordonne Napoléon à Fouché. « Si je lâche la bride à la presse, je ne resterai pas trois mois au pouvoir » . C’est dit. Pour contrôler le pays, Bonaparte a besoin de trois choses fondamentales : les moyens financiers de ses amis banquiers, une Police générale à sa botte et une presse qui contrôle l’opinion publique et les opposants au pouvoir : « La liberté de la presse !..Non, sûrement ils ne l’auront pas. Il vaudrait autant tout de suite monter en voiture et aller vivre dans une ferme à cent lieues de Paris. »

(Revue des deux mondes, Ernest d’Hauterive (1864-1957).

Le 27 nivôse An VIII (17 janvier 1800), un décret supprime d’un seul coup, soixante des soixante-treize journaux qui paraissent à Paris. « J’entends que les journaux servent le gouvernement et non contre », précise Bonaparte à Fouché. D’ailleurs tous les modes d’expression sont muselés tels les spectacles, les libraires… par un groupe de censeurs. Fouché va jusqu’à corriger de sa main certains articles avant leur parution.

Chaque matin, cet homme, le mieux informé de France, rédige un rapport de sa police autonome qu’il transmet à Napoléon. Dès lors, les français ont l’impression d’être cernés par un réseau de mouchards qui rapportent chaque propos ou acte imprudents. Cette police pénètre partout, contrôle la presse, viole les correspondances, grâce à l’établissement du « cabinet noir » de la direction générale des postes et constitue un fichier des délinquants criminels de droit commun, mais surtout des personnalités politiques de l’époque, opposants ou non.

Ficher l’opposition politique dans la délinquance permet de contrôler les lanceurs d’alerte de l’époque : « Ils subsistaient cependant, plus qu’on ne l’avouait, et la police de Fouché ou celle de Savary savaient très bien que nombre d’affaires classées comme de droit commun par les tribunaux étaient en réalité politiques » c’est-à-dire ceux qu’on n’avait pas réussi à décourager par une censure de la presse. (L’opposition sous le Consulat et l’Empire, Jean Vidalenc).

La haute police de Fouché pratique l’épuration politique. En 1815, pendant l’exil de Napoléon à l’Ile d’Elbe, Fouché, resté ministre de la Police du roi Louis XVIII, prend un arrêté de plus contre la liberté de la presse et met en place la terreur policière de la censure : « La suppression de l’Indépendant (la presse indépendante, NDR) par l’arrêté d’aujourd’hui est une leçon qui rendra tout le monde sage ». Un véritable outil de surveillance au service du pouvoir qui sera pérennisé et modernisé au long des gouvernements successifs jusqu’à nos jours.

Il s’agit d’une surveillance du citoyen lambda avec les outils de l’époque. Son héritage se trouve aujourd’hui dans les politiques gouvernementales pratiquées au sein de la NSA américaine, dénoncées par Edgar Snowden et qui atteignent les pays européens, dont la France.

Lettre autographe de Fouché signée à Eugène F.A d’Arnauld, Baron de Vitrolles.

b) Gabriel Ouvrard, le pouvoir financier

Cependant, une puissance autoritaire ne peut perdurer sans un allié qui la finance. Sans détailler les diverses actions de Gabriel Ouvrard, qui devint l’un des hommes les plus riches et les plus influents de France – une puissance qu’il mit notamment au service de Napoléon 1er – il faut malgré tout souligner quelques faits pour comprendre sa manière d’agir.

Depuis 1788, date où il a fondé sa propre maison de courtage, il se lance dans les combinaisons financières les plus complexes (papier, café, sucre, coton), stockant pour créer des pénuries et revendant au plus haut. A la chute de Robespierre, il a 24 ans et possède une fortune de plus de 20 millions de livres, une maison de commerce et de banque et a ouvert ses coffres à un petit groupe de cinq personnes, dont Barras et sa maîtresse Joséphine de Beauharnais, Tallien et son épouse Thérésa Cabarrus qui échafaudent des combinaisons politiques avec Bonaparte pour s’emparer du pouvoir.

Entre le conquérant et le financier, l’histoire a vraiment commencé le 9 novembre 1799, le jour du coup d’État du 18 brumaire. Selon Tristan Gaston-Breton, historien de l’histoire économique, ce jour là, Ouvrard est en visite chez Barras :  « Impossible de se tromper. Le coup d’État est commencé » dit-il. Dès son retour à son hôtel particulier, il fait parvenir un billet à l’intention de l’amiral Bruix, un proche de Bonaparte :  « Amiral, le passage du général Bonaparte se rendant au Conseil des Anciens, quelques mouvements de troupes me font pressentir qu’il se prépare du changement dans les affaires politiques. Cette circonstance peut nécessiter des besoins de fonds. Je vous prie, mon cher Amiral, d’être mon interprète de l’offre que je fais d’en fournir de suite... ». Il possède déjà un contrat pour la fourniture générale des vivres de la Marine de 64 millions de francs or en 1798 et il voit là un moyen d’augmenter ses profits dans les guerres napoléoniennes de la France.

De même, le 14 juin 1800, Ouvrard ourdit un projet spéculatif à l’occasion de la bataille de Marengo. Avec la connivence du pouvoir, la veille de la bataille et par voie de presse, on laisse entendre au public que l’armée française est en mauvaise posture. Il provoque ainsi l’effondrement de la rente publique tout en donnant des ordres d’achat au profit de ses complices Bonaparte, Fouché, Talleyrand, Berthier et de lui-même. Le lendemain, la victoire est annoncée. Le cours de la rente bondit et les cinq amis s’enrichissent considérablement.

Le 28 nivôse (18 janvier) de la même année, le financier suisse Jean-Frédéric Perrégaux un groupe de banquiers propose à Napoléon la création de la Banque de France. Perregaux a fait fortune en spéculant sur les assignats de la Révolution, des billets sans valeur qui ont laissé la place aux pièces d’or et d’argent. La Banque de France obtient du Premier consul le droit d’émission de papier monnaie. Une nouvelle aubaine spéculative au profit des banquiers privés et du petit cercle autour du nouveau gouvernement.

A la chute de l’empereur, Ouvrard et Fouché servent le nouveau régime de la Restauration et leurs amis banquiers londoniens ; sans scrupule aucun. Voici, pour la mise en place d’un pouvoir dévoyé sur l’État et le citoyen par une complicité affairiste qui ne fera que s’affirmer au fil des gouvernements jusqu’à nos jours.

Le citoyen perd le contrôle des institutions républicaines lorsqu’il laisse les rênes de l’État à un oligopole financier. Cette bande de voyous met tout en œuvre pour garder le pouvoir et organiser la surveillance de tout un chacun. Et tout savoir et tout connaître, quoi de mieux que le profilage et le fichage eugénique ?

2) Bertillonnage, profilage et fichage

a) Bien né

L’héritage napoléonien traverse tout le XIXe siècle. A cette époque, le contrôle sociétal passe par l’usage à outrance de la statistique, du profilage et surtout l’aptitude à vivre selon les normes imposées par le système qui dirige l’État, tout en protégeant une petite caste d’individus avides de pouvoir et d’enrichissement personnel.

En évoquant Alphonse Bertillon (1853-1914), il n’est pas question de remettre en question son apport fondamental aux investigations de la police criminelle, mais de dénoncer l’idéologie anthropologique eugéniste qui le sous-tend et qui servira de contrainte civique à des gouvernements collaborationnistes des forces occupantes du pays quelques décennies plus tard dans le siècle.

Alphonse Bertillon est le fils du célèbre médecin, anthropologue et statisticien Louis-Adolphe Bertillon. Ses références idéologiques sont le mathématicien Alphonse Quételet (1796-1874) célèbre pour ses études sur les statistiques, et l’un des fondateurs du mouvement eugéniste, le biologiste Francis Galton (1822-1911). En effet, Alphonse Quételet explique le caractère physique et psychique d’un individu par la rencontre d’un très grand nombre de facteurs simples répartis dans la population selon les lois de la probabilité. Il prétend établir des corrélations entre le caractère criminel d’un individu et son appartenance à certaines groupes familiaux ou sociaux. Un pur déterminisme qui réfute souvent la possibilité de l’acquis chez une personne.

Francis Galton est le fondateur de l’eugénisme dit « positif ». Pour lui, la classe sociale joue un rôle fondamental dans ce déterminisme. Plus elle est élevée, plus l’individu est « bien né » et doté de qualités issues de cette bonne naissance (Eugène signifie bien né). Bien évidemment, il en découle qu’un criminel ne peut être « bien né ». Le « taré » vit dans les basses classes, la haute société n’a que des égarements.

En dépit de son hérédité sociale, Alphonse Bertillon est un élève très moyen. Malgré tout, il obtient, par l’influence de son père, un poste à la police municipale de Paris comme modeste commis auxiliaire aux écritures, en 1879. Il y fait carrière, empli de l’héritage philosophique paternel et contribue à la mise en place d’une anthropologie criminelle naturaliste au sein de la police. Méthodique et statisticien, il y conçoit un système de classement fondé sur des mesures anthropométriques et parvient à identifier un criminel récidiviste arrêté peu de temps auparavant pour vol et pris en flagrant délit lors d’un cambriolage en 1882. C’est le début de la gloire, il devient incontournable au sein des affaires judiciaires.

b) Fichage des marginaux et des opposants

Le Bertillonnage révolutionne l’histoire de la police scientifique, car il permet de distinguer deux individus grâce à des fiches anthropométriques composées à partir de leurs traits physiologiques (yeux, oreilles, taille, cheveux…). « L’anthropologie, dit-il ainsi, n’est pas autre chose, par définition, que l’histoire naturelle de l’homme. Est-ce que de tous temps les chasseurs ne se sont pas piqués de connaissances en histoire naturelle et inversement, les naturalistes ne sont-ils pas d’instinct un peu chasseurs ? Nul doute que les policiers de l’avenir n’arrivent à appliquer à leur chasse particulière les règles de l’anthropologie, tout comme les chauffeurs de nos locomotives mettent en pratique les lois de la mécanique et de la thermodynamique. » (Bertillon, Identification anthropométrique. Instructions signalétiques, Melun, Imprimerie administrative, 1893)

L’anthropologie criminelle est déterministe et situe la source du crime dans les corps et dans les lignées biologiques et familiales du « criminel né » grâce à des stigmates physiologiques. Cette normalisation eugéniste permet d’imposer en conséquence un carnet anthropométrique aux Tziganes (ces traînards), aux anarchistes, aux Français et étrangers « subversifs », pour le bienfait de tous… il faut bien contrôler cette part de population pour éviter tout débordement « excessif ». Un bel exemple qui ne peut être oublié dans les jours de crise du début du XXIe siècle.

Pour mieux cerner Bertillon et ses dérives, deux faits sont révélateurs :

  • En 1890, la dactyloscopie (relevé des empreintes digitales) remplace progressivement l’anthropométrie dans d’autres pays européens. Bertillon, inquiété par cette nouveauté qui lui fait concurrence, la rejette jusqu’en 1902, en dépit des lacunes de sa propre méthode. Les conséquences de cet entêtement sont graves : l’inculpation d’un individu très semblable à la « physionomie » d’un autre, selon les critères de Bertillon, peut par une fausse correspondance conduire des innocents à l’échafaud, faute d’avoir pris leurs empreintes digitales qui auraient pu les innocenter.
  • En 1899, le grand Bertillon est appelé pour effectuer une analyse graphologique du document manuscrit « prouvant » la culpabilité du capitaine Dreyfus devant le jury militaire et il y expose sa thèse de l’« autoforgerie ». En effet, convaincu de la culpabilité de l’accusé, il prétend révéler par sa méthode la falsification de l’écriture de la lettre par Dreyfus lui-même et ceci afin de tromper la justice. Cette affaire manque de peu lui coûter sa carrière. Le public est pris de rire : « Devant un tableau noir, il défend son fameux diagramme, s’étonne que le fac-similé du bordereau n’ait pas reproduit « le point du buvard » (…) Furieux de provoquer l’hilarité générale, l’expert Bertillon proteste qu’après sa mort on jugera « au point de vue historique ». Il accuse les avocats de le tourmenter, déclarant éprouver des « bouillonnements intérieurs ». » (Jean-Denis Bredin, L’Affaire)
Les bordereaux au centre de l’affaire Dreyfus (recto-verso)
(Deuxième feuillet)

Ce fameux bordereau est au centre de l’affaire Dreyfus et, dans le jugement du Conseil de guerre, le rôle des « experts  » a été déterminant dans la condamnation de l’accusé. Or, les missions de renseignement du colonel Picquart apportent la preuve que le bordereau n’est pas de la main de Dreyfus mais de celle du commandant Esterhazy. Face à ce scandale, Emile Zola prend sa plume contre l’injustice et l’intolérance ; il publie son J’accuse, ce pamphlet incendiaire qui marquera notre histoire. La France se divise en deux camps, les révisionnistes et anti-révisionnistes, les dreyfusards et les antidreyfusards, qui s’affrontent dans la presse et dans les rues.

« Le premier des droits de l’homme c’est la liberté individuelle, la liberté de la pensée. » (Jean Jaurès, L’histoire socialiste de la Révolution française)

Naissance des fichiers d’identification civile

Bertillon a aussi favorisé une généralisation du passeport militaire à un passeport civil. L’introduction du signalement anthropométrique et d’une photo normalisée devront figurer dans « toute pièce où la personnalité est établie dans l’intérêt de l’individu, des tiers ou de l’État, tels que : passeports, livrets militaires, contrats d’assurance, rentes viagères, lettres de change, de circulation, actes de mariage, de décès, certificats d’examen, lettres d’obédience, etc. ». Une fiche d’identité civile sera aussi imposée dans l’espace colonial français afin de permettre aux autorités de mieux « s’assurer de l’identité des agitateurs, intrigants ou adeptes de sectes qui troublent le pays et entretiennent, chez les indigènes, l’esprit de révolte » afin de mieux exercer une séparation ethnique au sein de ces derniers. Peut-on parler de ségrégation raciale ? En tout cas, c’est dans l’air du temps des sociétés eugénistes de Francis Galton qui influencent les prises de décisions dans les années 1940 d’occupation de la France.

C’est ici qu’il faut faire la part des choses. Un contrôle de l’identité judiciaire peut être un bienfait pour une protection de l’État et des citoyens, s’il est effectué par des services de police officiant sous un gouvernement voué au bien commun. Par contre, un fichage au service d’autorités corrompues porte aux abus d’un pouvoir policier sous emprise de ces dernières sur les individus et à des dérives sectaires criminelles.

3) Les fichiers des services de renseignements de Vichy

En préambule à ce chapitre, un petit retour sur les années précédant le collaborationnisme de la France à l’occupant nazi. En 1936, René Bousquet, radical-socialiste, est nommé chef du fichier central de la Sûreté nationale alors que Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur, s’inquiète de la présence de « trois millions d’étrangers sur le territoire national ». Bousquet est missionné pour centraliser et moderniser les fichiers de police, un outil indispensable au vu de la montée des périls.

Il y met toute son attention et réorganise le fichier de la Sûreté : fichier alphabétique, fichier mécanographique, archives générales, dossiers des étrangers expulsés, dossiers des interdits de séjour, dossiers des évadés recherchés.

Ce travail aboutit en juillet 1938 lorsqu’une circulaire fusionne les fichiers civils et militaires pour constituer un carnet B unique. Ce fichier sera divisé en quatre parties :

  • Français soupçonnés d’espionnage,
  • Français soupçonnés d’antimilitarisme,
  • Etrangers soupçonnés d’espionnage,
  • Etrangers constituant un danger pour l’ordre intérieur.

Le Décret-Loi du 18 novembre 1939 prévoit un internement administratif, sans décision de justice, des individus « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » qui seront mis dans des « camps de concentration ». Un dispositif utilisé par l’occupant l’année suivante.

a) Du mauvais usage des archives des Renseignements généraux

En ce mois de juin 1940, la France se résigne à l’occupation d’une grande partie de son territoire. Le préfet Roger Langeron supervise l’évacuation des archives des Renseignements généraux et des dossiers relatifs aux étrangers sur deux péniches amarrées au quai de Seine. La première péniche passe, elle contient les fichiers des Français de souche française mais, suite à un incident, la deuxième revient sur Paris. Elle contient les fichiers issus des Français d’origine étrangère. Les Allemands s’en emparent : près d’un million de dossiers et trois millions de cartes de renseignements tombent entre les mains de l’ennemi.

Le 24 janvier 1941, le préfet Langeron est arrêté par les Allemands et 64 fonctionnaires de police sont mis d’office à la retraite. 101 autres sont relevés de leurs fonctions, 112 sont mutés ou simplement avertis. L’immense majorité des policiers français reste en place et attend les ordres de l’état-major.

Dès lors, l’État français leur attribue de nouvelles fonctions comme : confisquer les postes de radio, faire respecter le couvre-feu et surtout appliquer les lois anti-juives de Vichy. La police embauche de nouveaux effectifs et crée de nouvelles brigades, souvent très radicalisées, qui chassent le « rouge », le juif et assurent le maintien de « l’Ordre moral » du Maréchal Pétain.

Fin 1942, Hitler n’est vraiment pas satisfait de la police française. Pétain répond promptement à sa demande en créant la Milice française, sur le modèle des groupes paramilitaires fascistes et nomme à sa tête Pierre Laval. Grâce à Joseph Darnand. Cette milice se gonfle de 15 000 hommes, tous volontaires pour en finir avec la « lèpre juive ». Les policiers, quant à eux, font moins de zèle et ils deviennent de plus en plus nombreux à soutenir la Résistance.

b) Une panoplie complète d’outils de contrôle

Depuis l’automne 1940, grâce aux fichiers de Bousquet, le gouvernement a procédé à une épuration administrative des fonctionnaires manquants de zèle à la Collaboration. La même année, sous pression des forces d’occupation qui exigent un contrôle plus rigoureux, le Maréchal Pétain promulgue un décret rendant la « carte d’identité nationale » obligatoire pour tous les Français qui, en 1941, se voient chacun attribuer un numéro d’identification unique. Paradoxe : c’est ce même numéro qui est utilisé après guerre, lors de la création de la Sécurité sociale (voir plus bas). « Le premier chiffre annonce le sexe et le statut de l’individu : citoyen français 1 et 2, sujet français indigène non juif 3 et 4, sujet français juif 5 et 6, étranger 7 et 8, statut mal défini 9 et 0. Viennent ensuite l’année et le mois de naissance, le code géographique de la commune de naissance et le numéro du registre d’état civil. Ce numéro individuel sert à suivre la remise des cartes d’identité et à en vérifier l’authenticité.  » (Fiches S, carte d’identité et ancêtre du numéro de Sécu, quand Vichy inventait les moyens de surveiller la population, Antoine Lefébure, Slate.fr).

En 1942, l’apposition de la mention « juif » est ajoutée sur les fichiers pour tous les israélites français et d’origine étrangère. Cette même année, le Secrétaire général de la Police, René Bousquet, demande à Pierre Laval d’augmenter l’efficacité de ceux-ci car « en cas de subversion grave de l’ordre public, l’organisation compliquée du Carnet B ne permettrait matériellement pas aux services de police d’effectuer avec la promptitude désirable les arrestations prévues » (Conversations secrètes pendant l’occupation, Antoine Lefébure).

Laval crée une nouvelle liste nommée « Liste S » et qui devient le « Fichier S » comme Sûreté de l’État. Les préfets sont enjoints à établir un fichier S « des individus considérés comme dangereux pour l’ordre public (tels qu’agitateurs et propagandistes extrémistes) en évitant les individus simplement suspects ».

La police française fait une démonstration éclatante de l’efficacité de ses fichiers les 16 et 17 juillet 1942. Lors de la rafle du Vél d’Hiv, 9 000 policiers et gendarmes français, devançant les exigences de l’occupant, démontrent aux autorités allemandes l’étendue de leurs capacités. Ils arrêtent ainsi par surprise plus de treize mille juifs parisiens de 2 à 60 ans, dont 8 000 qu’ils incarcèrent au Vélodrome d’hiver dans des conditions ignobles avant de les laisser envoyer dans des camps d’extermination en Allemagne. René Bousquet, dont on sait comment il a été rapidement « blanchi » à la Libération et par qui, a pu ainsi faire la preuve de toute l’efficacité de ses fichiers.

Les fichiers S sont restés à disposition des autorités du Gouvernement provisoire de De Gaulle et du Conseil national de la Résistance à la fin de la guerre. Ils ont pu servir à la mise en place du suivi des Français qui ont bénéficié de la toute nouvelle Sécurité sociale en 1946, en les expurgeant bien entendu des mentions racistes ou infamantes. Comme quoi, on peut remplacer un mal par un bien si on en a la volonté politique.

4) Du bon et du mauvais usage des fichiers de la Sécurité sociale

En 1946, le NIR (Numéro d’identification national) est géré par l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), une nouvelle institution qui succède au Service national des statistiques créé en 1941 par René Carmille. Arrêté à Lyon en 1944 pour faits de résistance, ce dernier meurt à Dachau le 26 janvier 1945.

Le NIR, ce numéro de 13 chiffres détourné pendant la l’Occupation, est désormais utilisé au profit des bénéficiaires de la toute nouvelle Sécurité sociale. L’INSEE construit le NIR à partir du registre des naissances que lui transmettent les mairies. Le NIR est ensuite transmis aux diverses caisses d’allocations des services publics (familiales, maladie, retraite, logement…). Ce service rendu à la population est garanti par la protection des données par l’État.

Concrètement la collecte des données de santé est supervisée par la Sécurité sociale qui prend en charge nos remboursements. Les établissements de santé (laboratoires d’analyse, hôpitaux, cliniques, etc.) doivent être en lien et habilités à s’échanger rapidement ces données pour éviter les actes redondants et faciliter l’accès aux soins. Améliorer la base de données au sein d’un centre de gestion informatisé de haut niveau facilite la tâche des soignants et améliore la qualité des choix des soins au malade. Ce n’est pas un problème tant qu’il est détenu et protégé par l’État.

D’ailleurs, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’oppose à la généralisation de l’utilisation de ce numéro en dehors du mécanisme de sécurité sociale. Autrement dit, l’utilisation de ce numéro par des intérêts autres que ceux des services administratifs de protection sociale porte immanquablement à l’exploitation de ces données dans des buts privés à caractère abusif.

Cependant, ces données sont aujourd’hui livrées aux services de puissances étrangères, aux intentions pour le moins troubles, notamment dans le domaine sensible de la santé. En effet, en novembre 2019, Agnès Buzin, ministre des Solidarités et de la santé a remercié chaleureusement les membres de l’Institut national des données de santé et France Asso Santé, dont le représentant, Gérard Raymond, assure les fonctions de vice-président du Health data hub (HDH), la nouvelle plateforme qui regroupe les données santé de la France dans une base unique. Cette plateforme est intrinsèquement liée au plan « Intelligence artificielle » souhaité par Emmanuel Macron « pour que la France devienne un leader dans ce domaine ». Un leader soumis à la dépendance de forces étrangères…

Investigation sur le vol des données de santé

Exit la souveraineté de la France, grâce à l’implication de Microsoft dans le Health Data Hub : les informations stockées sur la carte vitale sont transmises aux laboratoires, via la société américaine IQVIA, le plus puissant collecteur de données médicales au monde. Merci à Jean-Marc Aubert, président de IQVIA France depuis décembre 2019, précédemment président de la DRESS (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), et créateur la plateforme du HDH (Health Data Hub) qu’il a confié à Microsoft Azure.

En 2018, Jean-Marc Aubert est nommé pour prendre la responsabilité de la Task Force « Réforme du Financement du système de santé » à la demande d’Agnès Buzyn. Cerise sur la passoire, il est également administrateur de l’INSEE.

Difficile de penser, après ce détournement à l’intérieur, que nos données de santé ne seront pas examinées à l’extérieur par les GAFAM, les assureurs privés ou diverses entreprises à des fins de prospection et d’exploitation commerciale selon le profil médical des Français. Déjà des sociétés d’assurance, comme Malakoff-Médéric de Guillaume Sarkozy ou Humanis, ont été mises en demeure par la CNIL pour détournement de finalité des données des assurés à des fins commerciales.

Comparateurs des mutuelles
... suite

(Simulation à partir du comparateur des mutuelles :

Aujourd’hui les mutuelles privées appliquent leurs tarifs en fonction de l’âge du client. Plus le client est âgé et plus la facture est élevée. Si demain, ces assurances privées ont accès aux fichiers de la Sécurité sociale, elles iront plus loin et calculeront leurs tarifs en fonction du potentiel de santé de tout un chacun : par exemple, le client dont on décèlera le comportement à risque (cigarette, alcool..) ou souffrant d’une maladie de longue durée ou dégénérative – la liste est longue – sera soumis à des cotisations de plus en plus élevées. Les tarifs seront ainsi réévalués selon les prédictions de santé de l’allocataire. Une discrimination commerciale qui avantage les plus aisées et qui laisse les plus pauvres avec des couvertures assurantielles qui limitent leurs accès aux soins en cas de maladies graves, alors qu’ils en sont davantage victimes en raison de leurs modes de vie plus précaires et moins protégés.

Ici, le danger d’un fichier qui n’est plus sécurisé par l’État peut être encore bien plus élevé : une fois dans le domaine du privé, il est livré aux « pirates » du web. D’ailleurs, en juillet 2021 les données de Microsoft, détenteur des fichiers français, ont été piratées par un logiciel nommé Pegasus. C’est un logiciel espion pour iOS (un système d’exploitation mobile développé par Apple (GAFAM)) et Android, s’installant sur les téléphones mobiles. Il peut ainsi collecter toutes les données des appareils. Il est conçu et commercialisé par l’entreprise israélienne NSO Group. Voilà pour ce qui en est du grand projet d’intelligence artificielle d’Emmanuel Macron et de sa vulnérabilité, volontaire ou subie.

Même le portable d’Emmanuel Macron a été mis sous contrôle de Pegasus. A trop s’approcher du feu, on brûle… ses ailes de président ! Et il n’est pas la seule personnalité politique touchée.

Conclusion

Le fichage en soi n’est donc pas le problème, ce qui compte c’est qui détient les données et dans quel but. A l’exemple de la France de 1945-46, dirigée dans l’esprit du Conseil National de la Résistance, la liberté citoyenne ne peut être établie que par ceux qui pensent le futur au nom du bien commun. En créant pour cela un véritable service de santé publique dans chaque pays géré et contrôlé par un État sous la surveillance de comités citoyens issus de toutes les classes de la société républicaine, sans ingérence étrangère ou financière. Les données personnelles ne peuvent être exploitées que pour le bien commun et non pour le désir de pouvoir d’une petite caste d’individus soumise à l’oligarchie financière. Résistez et battez-vous contre l’occupation financière, dans le domaine de la santé et partout où elle se manifeste !