ENTRETIEN

Georges Kuzmanovic : avec de Gaulle et avec Jaurès, construire le bloc populaire

lundi 17 janvier 2022

Georges Kuzmanovic, candidat à l’élection présidentielle de 2022.

Dans le cadre de nos échanges avec différents candidats « hors système » à l’élection présidentielle de 2022, voici l’entretien accordé par Georges Kuzmanovic, président du parti République souveraine, à Nouvelle Solidarité, le mensuel de Solidarité & Progrès. (s’abonner, c’est par ici !)

Voici un lien vers l’intervention de Jacques Cheminade, le président de Solidarité & Progrès : Nous ferons campagne aux côtés de Georges Kuzmanovic

ENTRETIEN

Quel est le sens de votre candidature et en quoi se différencie-t-elle des autres ?

D’abord, je ne suis pas un professionnel de la politique : j’ai été humanitaire, militaire, enseignant, jusqu’à il y a peu, j’étais un cadre dans une grande entreprise, et le mouvement qui me soutient ne comprend pas de permanents et fort peu d’élus. Ensuite, je suis le seul à allier un souverainisme assumé, un attachement à l’ordre et un attachement à ces piliers de la République que sont la laïcité, la sécurité sociale, les grands services publics et l’État stratège. Dans les deux cas, je suis comme une grande majorité des Français, mais je suis le seul parmi les candidats.

Je me présente car je ne supporte plus de voir la France lentement étouffée, comme sans espoir, du seul fait d’une élite qui trahit la Nation. Je pense qu’il y a depuis 40 ans un dépérissement organisé de l’Etat dont la conséquence est la destruction de l’Etat social et de la grandeur de ce pays.

Pourtant la France est belle et forte. Forte de son histoire et de sa culture qui rayonnent dans le monde, d’une agriculture qui peut la rendre autosuffisante, forte de sa puissance maritime (la deuxième mondiale) ; la France est une puissance nucléaire et spatiale, elle a été forte du système social le plus abouti, avec le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) après la Seconde Guerre mondiale, et le meilleur système scolaire – et tout cela s’efface. La France s’affaiblit et devient vassale de Washington et de Bruxelles. Elle se paupérise et perd son industrie. Elle n’est plus une Nation fière, avec un avenir pour sa jeunesse. Je ne le supporte pas.

Est-il encore possible de rassembler les « Républicains des deux rives » contre l’atlantisme et l’oligarchie financière ?

Même si gauche et droite peuvent encore avoir une valeur identitaire importante pour certains de nos concitoyens, il semble de plus en plus évident que ces notions n’ont plus de cohérence. La preuve : la gauche se divise en même temps qu’elle s’effrite, et la droite, qui va du macronisme à Zemmour, est trop massive et diverse pour être une catégorie pertinente. D’autre part, la crise démocratique est très grave, avec une abstention qui touche des élections jusqu’à présent épargnées : municipales hier et demain présidentielle. Dès lors, comme toujours en cas de crise, je crois possible de rassembler les Français autour de ce qui leur est le plus cher : la défense de leur liberté collective et la cohésion de la nation par l’ordre et la solidarité. Je crois qu’il est possible de contrecarrer le « malheur français » dont parlait Marcel Gauchet, c’est-à-dire la poursuite par les gouvernements successifs de politiques contraires à la sensibilité et aux intérêts des Français.

Mais je dirais qu’il est surtout temps de construire le bloc populaire, s’unir, faire front autour de principes clairs et simples. Nos adversaires l’ont fait, et justement en rompant avec le clivage gauche-droite – c’est le camp des « gens de nulle part », nous sommes « les gens d’ici ». Ils sont l’oligarchie, nous sommes le peuple.

De quoi Emmanuel Macron est-il le nom ? Il est l’incarnation parfaite du bloc bourgeois contemporain dont les caractéristiques sont très précises : européiste, atlantiste, ayant la volonté de tout privatiser, favorisant le Capital sur le Travail, dérégulateur en faveur de l’oligarchie financière et des multinationale, chantre de la mondialisation et donc de la désindustrialisation, et ayant une nette préférence pour le modèle sociétal anglo-saxon, jusqu’au communautarisme. Sur cette base, Emmanuel Macron a réuni des gens des deux rives, des politiciens de gauche comme de droite – ce qui fut relativement aisé étant donné que ceux-là menaient depuis quarante ans déjà des politiques publiques conformes à cette idéologie commune. C’est un bloc logique et très homogène idéologiquement.

Notre bloc populaire est l’exact contraire, son miroir inversé, et ses caractéristiques sont tout autant précises : souveraineté nationale contre européisme, indépendance plutôt qu’atlantisme, le commun, le bien public et les services publics plutôt que la privatisation tous azimuts, faveur donnée au Travail plutôt qu’au Capital, réguler et contraindre l’oligarchie financière et les multinationales, réindustrialiser et relocaliser l’économie, et attachement au modèle universaliste français et à la laïcité. C’est également un bloc très cohérent où peuvent se rejoindre des gens issus de la gauche comme de la droite. C’est pourquoi la devise de République Souveraine est « Avec de Gaulle et avec Jaurès ».


Ancien militaire, comment voyez-vous l’escalade de tensions et d’affrontement entre la Russie et l’OTAN ? Sommes-nous au bord d’une guerre en Europe et quelles en seraient les conséquences ?

La tension entre l’OTAN et la Russie est un jeu très dangereux. Je ne pense pas que nous soyons au bord d’une guerre, car personne ne la souhaite : les États-Unis de Biden ont choisi une stratégie de la tension pour avancer leurs pions au maximum ; la Russie le sait et réagit comme il est rationnel de son point de vue de le faire, c’est-à-dire avec le plus de fermeté possible. Par ailleurs, la dissuasion nucléaire empêche toute guerre au niveau des superpuissances, mais elle n’est pas à exclure au niveau des Etats plus petits, comme ce fut le cas en Yougoslavie ou en Ukraine. Les USA ont besoin d’ennemi sérieux pour continuer à maintenir un appareil militaro-industriel surdimensionné

Le problème est qu’un accident, un malentendu est vite arrivé, et je ne veux pas imaginer quelles en seraient les conséquences. C’est pour cela que je souhaite que la France sorte de cette logique de l’affrontement, mais aussi de la logique de bloc qui y conduit naturellement, pour reprendre un rôle de puissance d’équilibre luttant pour la sécurité collective et contre les impérialismes.

Que répondez-vous à ceux qui envisagent l’emploi de l’arme atomique ?

Qu’ils sont des fous dangereux ! Il est indispensable de conserver la doctrine française de la dissuasion, qui est justement une garante de la paix.

Malheureusement l’usage des armes nucléaires, en particulier sous leur aspect « d’arme nucléaire tactique », a été récemment et de manière récurrente théorisé par le Pentagone.

C’est évidemment délirant et doit être lié à la doctrine militaire étasunien de « zéro mort » – le zéro étant entendu dans les armées étasuniennes – reposant sur la théorie de « choc et effroi » (bombardements et artillerie massivement utilisés), mais a peu de chance d’être réellement mis en œuvre, même si la bombe « Davy Crockett » (très faible charge nucléaire dont le but est d’irradier les troupes, et plus apparentée à une « bombe sale ») a été mise en service. De toute façon, pour ce genre d’opération (choc et effroi), les Etatsuniens et les Russes disposent de bombes thermobariques ultrapuissantes, suffisamment terrifiantes pour ne pas utiliser des armes nucléaires tactiques.

La vraie question est de savoir si le nucléaire restera l’arme de dissuasion ultime ou s’il pourrait être concurrencé par d’autres, en particulier le cyber et éventuellement les armes électromagnétiques (domaine dans lequel les Russes semblent avoir une longueur d’avance qui inquiète les Occidentaux). Mais ma faveur va au cyber.

Je vais faire simple : si Edward Snowden dit vrai dans ses révélations – et je n’ai aucune raison de ne pas le croire – alors les Etats-Unis (et évidemment d’autres puissances comme la Chine ou la Russie) auraient la possibilité de mettre des malwares dans des centrales (comme ils l’ont fait très concrètement avec Stuxnet contre les installations nucléaires iraniennes) capables de littéralement débrancher le pays.

Avec un effondrement instantané de la production d’électricité, attaque dont on ne serait même pas capable de déterminer clairement l’origine et qui nous replongerait dans le Moyen-Age, à quoi nous servirait notre dissuasion nucléaire ? A peu de choses. Or, en termes de cyber, en raison de l’impéritie de nos gouvernants, la France en est aux balbutiements, donc incapable de se défendre.

Élu président, quitteriez-vous l’OTAN ? Pour quoi faire et dans quelles conditions ?

Élu président, je quitterai le commandement intégré de l’OTAN, qui n’a rien apporté à la France, sinon des sujétions incompatibles avec une vraie indépendance stratégique. Suivant l’exemple du général de Gaulle, je resterai allié et ami avec les États-Unis, mais saurai les rappeler à leurs devoirs, comme il l’avait fait à Phnom Penh en 1966, et mener une politique d’équilibre avec les autres grands – Chine, Russie et Inde – compatible avec nos intérêts.

Je suis à ce titre adepte du multilatéralisme, et du règlement négocié et pacifique des différends entre Etats suffisamment puissants pour se nuire réellement les uns les autres, mais sans qu’aucun n’ait un statut de puissance hégémonique. Je récuse aux Etats-Unis le droit d’être cette nation hégémonique (ou « nation utile », concept dangereux dont ils aiment se qualifier), soi-disant gendarme du monde, et qui est – bien qu’elle se fantasme comme telle –bien loin du modèle intégrateur que fut Rome. Plutôt que de sortir de l’OTAN, je préfère envisager la dissolution de cette organisation qui n’a plus lieu d’être.

Et puis, rappelons-le, l’OTAN est une organisation dont le sens historique était de faire face au Pacte de Varsovie, disparu depuis 1991. Dès lors l’existence de l’OTAN n’est plus légitime, si ce n’est comme outil d’asservissement des Européens – or je ne veux pas d’une France vassale ; je veux une France souveraine !

Peut-on parler de trahison, lorsque nos responsables politiques asservissent nos moyens de défense à des puissances étrangères et à l’OTAN ?

Ce qui ressort de la trahison au sens juridique du terme, c’est d’envisager de transférer à Bruxelles – c’est-à-dire, dans les faits, à Berlin – notre siège au Conseil de sécurité des Nations unies et notre capacité de dissuasion – c’est tout le sens de l’insupportable Traité d’Aix-la-Chapelle, qui est je crois la trahison principale d’Emmanuel Macron et également le sens de sa volonté de construire une improbable souveraineté européenne. Pour le reste, la politique atlantiste et fédéraliste menée depuis au moins Nicolas Sarkozy est une trahison au sens moral, mais c’est hélas une constante dans certains milieux. De Gaulle parlait de « l’esprit d’abandon. Cette espèce de trahison de l’esprit, dont on ne se rend même pas compte ». Mais il ajoutait aussitôt : « Heureusement, le peuple a la tripe nationale. »

Le problème de la sortie de l’OTAN est que les Etasuniens ont bien fait les choses avec leurs serviteurs dans l’Union européenne. Ils ont activement poussé à la mutualisation tant opérationnelle que des systèmes d’armes, ou encore de l’industrie de défense.

C’est le concept de « Smart defense » voulu par l’OTAN et imposé à l’UE il y a de cela une douzaine d’années : sous couvert de réduction des coûts, mutualiser, interpénétrer, rendre dépendant les uns des autres, bien évidemment sous des standards OTAN. On le voit encore à l’œuvre avec le projet d’avion de combat « européen », le SCAF : les USA ne supportent pas que la France ait développé le meilleur avion de combat polyvalent au monde, le Rafale, concurrent direct de leur F-35 (qui est d’ailleurs un vrai fer à repasser), et poussent à la construction d’un avion européen, ce qui permet aux Allemands d’exiger les secrets industriels du Rafale. S’en départir exigera du temps et des efforts.

La laïcité vous paraît-elle un principe essentiel ?

La laïcité est un principe essentiel de la sensibilité française, ancrée, comme l’a montré Jean-François Colosimo, depuis bien plus longtemps que 1905, et fondée avant tout par le traumatisme des guerres de Religions. C’est d’ailleurs une des raisons de la crispation identitaire à laquelle nous assistons avec le phénomène Zemmour : je l’interprète comme une réaction à long terme face aux attaques djihadistes subies par la France depuis 2012.

Les Français ont vu les fanatiques les attaquer au plus profond d’eux-mêmes et ont peur du retour de la guerre civile. M. Macron, qui avait commencé son mandat avec l’objectif à peine masqué de « normaliser », là encore, la France à l’aune du modèle anglo-saxon multiculturel, l’a d’ailleurs bien compris, et a pris un virage à 180 degrés bienvenu… Sincère ou non, à chacun d’en juger.

Ce que je peux dire, c’est que, si j’étais président de la République, la laïcité, seule garante de la paix civile, serait appliquée sans concession.