Kuzmanovic : reprendre le contrôle de la dette souveraine

samedi 2 octobre 2021, par Tribune Libre

Intervention de Georges Kuzmanovic, candidat à l’élection présidentielle et président de République souveraine, lors du débat sur le thème « Se libérer de l’oligarchie financière », organisé par Solidarité & Progrès le 25 septembre 2021 à Paris.

Compte-rendu de l’événement et liens vers les autres interventions.

Bonjour à tous.

Je remercie Jacques Cheminade et Solidarité & Progrès pour cette invitation, qui nous permet de débattre sur un sujet qui est évidemment central pour qui veut faire quoi que ce soit dans l’intérêt de son pays, en l’occurrence la France, et des Français.

Et avant de commencer, je voudrais qu’on partage une pensée pour le caporal-chef Maxime Blasco, du 7e bataillon de chasseurs alpins, qui vient d’être tué au Sahel en combattant les terroristes qui, malheureusement, prolifèrent sur ce territoire.

Aujourd’hui, le cadre de la discussion est le combat contre l’oligarchie financière. Il faut que les choses soient bien claires entre nous sur ce qu’il se passe et dans quel moment historique nous sommes. Nous vivons dans un système capitaliste, qui est en mutation depuis les années 1970-80. Ce système était au départ un capitalisme national et industriel, dans lequel les revenus du capital investi provenaient principalement de la production industrielle, et qui était ancré dans un territoire comme la France, avec des mines et des usines. Il devait donc nécessairement y avoir un accord entre les tenants de ce capital qu’on appelle la bourgeoisie et le reste du peuple qui travaille, une communauté de destin.

Cette communauté de destin n’est plus parce que le capitalisme a muté et qu’il est devenu international et financier. De fait, il s’est constitué depuis les années 1980, grâce aux innovations technologiques, en particulier internet qui permet des transferts financiers rapides, et aussi les machines-outils qui peuvent être reprogrammées aisément pour fabriquer d’autres produits.

Le capitalisme est devenu international, et on peut dire qu’il s’est constitué une Internationale du capitalisme tout comme il y a des Internationales ouvrières. Et s’il y a une Internationale qui fonctionne, c’est celle du capital. C’est un clin d’œil étonnant à l’histoire, quand on pense à ce qu’écrivait Lénine dans la « théorie du dépérissement de l’État ». C’est finalement cette nouvelle bourgeoisie capitaliste financiarisée qui organise le dépérissement de l’État, car ce dernier, et en particulier l’État-nation, dont le concept est né dans notre beau pays, nuit à la maximisation des profils de cette oligarchie financière parce que l’État, ce sont des régulations, des lois pour organiser la vie entre les citoyens, et cela, l’oligarchie financière n’en veut pas.

L’élection présidentielle, dont M. Asselineau a parlé, sera courte, et malheureusement on essaie de détourner les citoyens des questions essentielles. Il y a deux sujets centraux qui devraient être mentionnés à cette élection, le premier étant celui de la souveraineté et l’autre, celui de la dette. M. Asselineau a parlé de la souveraineté, nous connaissons tous le problème. Je vais donc m’attacher à parler de la dette dans le cadre du sujet qui nous intéresse ici.

La dette est vitale pour le capital financier, sans la dette souveraine, il se meurt. Comme vous le savez, le gros de l’économie financiarisée se fait sur les marchés financiers. On peut considérer que 98-99 % des échanges mondiaux sont de la pure spéculation financière et que les échanges réels, l’ensemble des choses produites et échangées dans le monde, comme des bicyclettes, du pétrole, des pneus et autres services divers et variés, représentent une quantité extrêmement petite de ces échanges, 1 à 2 %.

Nous avons une décorrélation totale entre l’économie réelle et l’économie financiarisée. Et quand vous êtes ultra-riche (ce n’est le cas de personne ici, je crois…), vous avez un gros problème. Quand vous dépassez le demi-milliard, l’argent que vous possédez ne sert plus à créer des choses. Une fois que vous avez 10-20-30 propriétés, 50 chevaux pur-sang, un avion, plusieurs yachts, il n’y a plus rien à acheter. Il vous faut sauver ce capital, qui est fragile, qui fluctue en fonction des crises financières et qui peut s’envoler et disparaître.

Une des manières de le sécuriser est la dette souveraine. La dette souveraine est utile au capital financier. Déjà au XIXe siècle, les grandes fortunes se sont constituées grâce à la dette souveraine. C’est effectivement bien pratique, lorsque vous ne savez pas quoi faire de vos milliards, de les investir dans la dette souveraine, même lorsque cela ne vous rapporte pas ou que cela vous fait perdre un peu d’argent, car cela sécurise vos avoirs, et avant qu’un pays comme la France s’écroule, il coulera beaucoup d’eau sous les ponts. La situation des trente dernières années a permis à cette classe financière de s’enrichir de manière absolument ahurissante et exponentielle.

On a vu se réaliser ce que Marx prévoyait, c’est-à-dire une concentration forte du capital. Aujourd’hui, en France, 1 % des plus riches contrôle 25 % de la richesse nationale. Sur les dix dernières années, les plus riches ont vu leur richesse augmenter de 429 %. En pleine pandémie, certains ont vu leur richesse augmenter de 30 %, ce qui est colossal. Nous sommes bien dans ce moment de surconcentration du capitalisme financier, et bien évidemment, notre ennemi est la finance, comme le disait François Hollande pour paraître de gauche lors des élections présidentielles précédentes.

Et là, je serai en désaccord avec François Asselineau : Emmanuel Macron est un excellent président, il est le meilleur représentant de cette classe oligarchique, car il fait très très bien le travail. Sous sa présidence, les riches ont acquis de nombreux avantages, comme la suppression de l’ISF ou de la flat tax, et bien d’autres dispositions qui leur permettent de maximiser leur fortune et de la protéger. Il a considérablement travaillé pour réduire notre souveraineté, avec son grand projet de souveraineté européenne, ce qui n’a aucun sens vu qu’il n’y a pas de peuple européen.

Il a fort bien œuvré, et s’il n’était pas élu pour un second quinquennat (et j’espère cette défaite de tous mes vœux pour que la France ne s’effondre pas), il devrait trouver un poste de vice-président quelque part, soit chez Goldman Sachs, soit chez BlackRock. Rappelons que M. Larry Fink, PDG de BlackRock, a été l’un des premiers invités à l’Élysée dès que Macron a été élu, et que Larry Fink a pour objectif de conquérir le marché extrêmement juteux des retraites françaises. Cette souveraineté européenne mentionnée par Macron nous parle des institutions supranationales.

Parmi ces institutions supranationales, il y a en premier lieu l’UE, mais ce n’est pas la seule, il y a également l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le FMI, la Banque mondiale, ainsi que l’ensemble des traités de libre-échange qui limitent les possibilités de régulation des États-nations et, en ne parlant pas vraiment d’échange et de liberté, permettent plutôt de maximiser les droits des multinationales à ne pas perdre d’argent. Toutes ces institutions supranationales concourent à détruire l’État-nation et à renforcer cette oligarchie financière. Cette oligarchie est donc bien l’ennemi. Régulièrement, lorsque les citoyens peuvent s’exprimer (car nous sommes en démocratie), et en particulier lors des référendums organisés sur les questions de l’UE, systématiquement, les peuples votent non, quelle que soit la question posée et quel que soit le pays où on se trouve. Des peuples aussi différents que les Hollandais ou les Grecs répondent non.

Les Anglais ont fait le référendum du Brexit, seuls les Irlandais ont répondu oui, mais c’est parce qu’ils avaient « mal voté » la première fois : ils avaient voté non, et on leur a demandé de revoter pour avoir le seul vote possible, c’est-à-dire oui. Comme disait Jean-Claude Juncker, il ne peut pas y avoir de démocratie contre les traités européens, la preuve en a été faite. Et personnellement, en tant que militant, en tant que personne engagée en politique, je pense que mon jour le plus joyeux a été le 5 juillet 2015, lorsque le peuple grec (un petit peuple de 15 millions d’habitants avec une économie faible) a été menacé par l’ensemble des forces supranationales, le FMI, l’UE, la Commission européenne, cette Troïka qu’il a eue sur le dos – ce peuple grec avait parfaitement compris ce qui allait arriver s’il votait non au référendum engagé par Tsipras, il savait très bien que ce serait l’offensive maximum contre lui. Eh bien, le peuple grec a tout de même voté non. Ça a été un immense [manque un mot] pour l’ensemble des peuples de se dire : « Les peuples peuvent quand même se mobiliser et dire non à ceux qui veulent les écraser. »

C’est ce qu’on fait également les Britanniques d’une autre manière avec le Brexit. Malheureusement, Tsipras a trahi. Quel est le premier acte de la Commission européenne au moment de la soumission de Tsipras ? Je le tiens de mon excellente amie Zoé Konstantopoulou, qui était présidente du Parlement grec. Elle avait engagé, avec Eric Toussaint, un travail sur la dette et ils avaient fait un audit de la dette pour savoir qui la détient, quelle est la bonne dette et la mauvaise, ce qu’il faudrait rembourser ou pas. Le premier acte de la Commission européenne a été d’envoyer des gens pour arrêter cet audit et se saisir du travail qui avait été fait. Zoé Konstantopoulou a été très maligne, et en deux heures, avec certains de ses militants, elle a fait sortir toute une série de dossiers du Parlement pour pouvoir continuer à l’extérieur l’audit de la dette. C’est là que je vais conclure sur le sujet : peut-être plus encore que sortir de l’Union européenne ou quitter l’euro, s’attaquer à la dette, c’est l’arme pour faire plier l’oligarchie financière. Cela aurait demandé une mobilisation telle que la Grèce aurait été en situation de guerre, mais Tsipras avait une arme. Cette arme était de faire défaut sur la dette, et bien que la Grèce soit un petit pays, cela aurait créé une déstabilisation financière et aurait fait mal au portefeuille.

Il faut savoir que dans notre pays, dont l’histoire est très riche, des gens aussi différents – avec des idées politiques aussi différentes, dans des régimes aussi différents – que Philippe Le Bel, Richelieu, Mazarin, Turgot, Sully, Henri IV, Poincaré, le Comité de Salut public avec ses différents représentants, Charles de Gaulle, grand nom au firmament de nos chefs d’État, tous se caractérisent par un élément commun, c’est qu’ils ont tous fait défaut sur tout ou partie de la dette pour pouvoir relancer la France. J’avoue que j’aime beaucoup l’option de Sully, qui avait fait un audit de la dette comme Zoé Konstantopoulou. Il n’a remboursé que 10-12 % aux créanciers et leur a dit qu’ils n’auraient pas plus.

Les créanciers, plus puissants aujourd’hui qu’à l’époque, considèrent que les lois habituelles ne peuvent pas s’imposer à eux. Les Etats-Unis ont eu des difficultés considérables à imposer une loi anti-trust aux GAFAM, alors qu’ils avaient réussi à en imposer une au XIXe siècle, en cassant le monopole de la Standard Oil, bien que l’État américain soit beaucoup plus puissant qu’à l’époque.

Néanmoins, malgré cette puissance, les créanciers internationaux ne sont rien, ce sont des gens qui contrôlent des lignes de code sur un ordinateur, ils n’ont ni routes, ni avions, ni infirmiers, ni ingénieurs, ni industrie, ils n’ont même pas d’histoire. Ils ont un pouvoir qui est colossal tant qu’on ne s’y oppose pas, mais qui est relativement fragile, si on s’y oppose ou que le système se grippe, avec une crise financière ou une crise impromptue comme celle de la Covid. Cette crise de la Covid pourrait entraîner une crise économique, sur laquelle se grefferait une crise financière, car il y a toutes sortes de bulles qui risquent d’éclater. Tout cela peut arriver n’importe quand. Il faut donc que l’on porte le fer.

Et ceux qui pourront être candidats – car M. Asselineau a raison, il faut avoir 500 parrainages, ce qui est compliqué, mais nous essaierons tous d’y arriver – devront porter le fer sur cette question. L’une des premières mesures que nous prendrons sera un référendum pour que le droit national prime sur le droit communautaire afin de se donner des marges de manœuvre.

L’autre mesure sera de menacer l’oligarchie financière comme l’a fait Sully, en lui disant que nous ferons un audit de la dette, que nous ne paierons que la bonne dette et qu’en plus, ils continueront à nous prêter, car ils savent que comparer les États aux bons pères de famille ne vaut rien, les États étant immortels.

La lutte que nous devrons mener sera sur deux fronts, celui de la reconquête de la souveraineté et celui de la dette contre cette oligarchie financière.

Je vous remercie, et vive la Nation !