L’IRSEM, voix de l’OTAN en France, se déchaine contre la Chine

samedi 9 octobre 2021, par Christine Bierre

l’Institut de Recherche de l’Ecole Militaire (IRSEM) a publié en septembre un rapport virulent contre la Chine. Il répercute ainsi, sur notre territoire nationale, la guerre froide lancée par les Etats-Unis et le Royaume Uni contre la Chine, politique qui va à l’encontre de nos intérêts et de notre souveraineté nationale.

Dans un long rapport paru en septembre intitulé « Les opérations d’influence chinoises – un moment machiavélien » , l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) a décidé de répercuter en France la guerre déclarée par les Anglo-américains à la Chine qui ne correspond pas à nos intérêts nationaux.

Nous apprenons heureusement, en lisant son site, que bien que l’IRSEM soit un think-tank du « ministère des Armées », il « produit des analyses indépendantes qui ne constituent pas des positions officielles. Les opinions exprimées dans ce rapport n’engagent donc que leurs auteurs et aucunement l’IRSEM, ni le ministère des Armées, ni, a fortiori, le gouvernement français ».

Distinguo qui n’a pas empêché nos principaux médias d’en faire grand bruit, au moment même où la trahison de l’AUKUS montrait au monde entier quel respect ces forces ont pour notre pays.

A la tête de l’IRSEM depuis 2016 et co-auteur, avec Paul Choron, du rapport en question, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est aussi un chercheur émérite du Centre Europe de l’Atlantic Council, un institut de relations internationales washingtonien qui promeut à longueur de colloques la nécessité d’un changement de régime en Chine.

On découvre aussi qu’avant d’entamer une carrière dans l’administration française, au CAPS (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie) du ministère des Affaires étrangères (2013-2016), M. Jeangène Vilmer a passé une bonne dizaine d’années à se formater, dans les centres les plus prestigieux des élites dirigeantes anglo-américaines  : Université de Montréal, Centre MacMillan de Yale (USA), Département des études de guerre au King’s Collège de Londres et Université McGill du Canada. Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, il s’agit là de trois membres des Five Eyes, dont l’alliance des services de renseignements joue un rôle capital dans le monde. M. Jeangène Vilmer est aussi passé par le Collège de guerre de l’OTAN.

Péril jaune

En pas moins de 646 pages, le rapport de l’IRSEM a la prétention de couvrir « tout le spectre de l’influence chinoise, de la plus bénigne (diplomatie publique) à la plus maligne, c’est-à-dire l’ingérence (activités clandestines) » que la Chine est accusée de vouloir exercer sur nos pays.

Le rapport est bien plus pauvre que ce qu’il prétend être : il ramasse tout ce qui a déjà été dit, souvent de longue date, à propos des « opérations d’influence » de la Chine.

L’on y « découvre » des banalités telles que la révélation que leurs auteurs « sont des émanations du Parti, de l’État, de l’Armée comme des entreprises » et qu’au sein du Parti, il y aurait notamment « le département de la Propagande, qui contrôle tout le spectre des médias et toute la production culturelle du pays » !

Également montré du doigt, le département du Travail de front uni (DTFU), qui permet à la Chine de nouer des relations de coopération, voire d’amitié, avec des entreprises ou des associations culturelles d’autres peuples qui ne partagent pas le même système idéologique que le sien.

Autre bête noire des auteurs, le département des Liaisons internationales (DLI), qui entretient des relations avec les partis politiques étrangers, ou d’autres structures comme la Ligue de la jeunesse communiste (LJC), définie comme « tout à la fois courroie de transmission vers la jeunesse, pépinière pour de futurs cadres du Parti et force mobilisable en cas de besoin, même si elle n’est pas formellement une structure du Parti mais une organisation de masse ». Et pour pimenter le tout, la Base 311, quartier général des trois guerres que la Chine mènerait contre le monde, ou le Bureau 610 qui s’intéresserait à la secte Falun Gong, totalement financée, soit dit en passant, par Washington.

L’intelligence artificielle (IA), pourrait-on dire, permet aujourd’hui en quelques clics de rassembler une quantité mirifique de données, sans avoir à user son taille-crayon…

Quand on connaît l’ampleur des dispositifs diplomatiques, commerciaux, culturels, les réseaux déployés par les principaux pays, y compris le nôtre, dont l’objet même est ouvertement de répandre leur influence dans le monde sans pour autant vouloir asservir tel ou tel peuple, ce rapport nous prend pour des bleus.

Songeons maintenant aux réseaux d’influence déployés en secret par la CIA, qui ne cache pas que pour favoriser les intérêts de son pays, elle se livre à des changements de régime à coups de déstabilisations, fraudes électorales et assassinats.

M. Pompeo a reconnu avoir menti lorsqu’il dirigeait la CIA, et l’on vient d’apprendre que lorsqu’il était secrétaire d’Etat de Donald Trump, il avait même songé à attenter à la vie de Julian Assange !

Examinons ensuite la propagande menée par les ONG, les GAFAMs, les réseaux de communications (internet, CNN, les Radio Free Europe ou Free Asia), ou encore la National Endowment for Democracy (NED) qui mobilise, aux quatre coins du monde, les petits soldats des « droits de l’homme » pour favoriser son pays via des changements de régime violents.

Seule chose nouvelle dans ce rapport de l’IRSEM, l’aveu, pour la première fois, par un réseau atlantiste, que l’alliance sino-russe leur pose des difficultés insurmontables. Jusqu’à présent, ces réseaux s’étaient rassurés : les divergences idéologiques entre la Russie et la Chine ne permettraient pas à cette alliance de survivre dans la durée. Illusion fatale !

Comme le note l’IRSEM, face à cette guerre qui ne dit pas son nom, déclarée par les Etats-Unis, la Russie et la Chine renforcent leur alliance. La Chine se « russifie », déplore l’IRSEM.

Elle qui voulait auparavant « séduire » veut désormais « contraindre » grâce à ses « loups guerriers » d’ambassadeurs. Exemple cité, la façon dont Beijing a accusé les Etats-Unis d’être à l’origine du coronavirus, en évoquant notamment des cas aux environs du laboratoire militaire de Fort Detrick, ainsi que sa fermeture pour raisons de sécurité. Le rapport ne dit pas que la Chine n’a fait que répondre, avec des informations vérifiées, à la virulente campagne de M. Trump contre le virus « chinois ».

L’encre de la pieuvre

Si le but de ce type de rapport est de faire comme la pieuvre, qui jette son encre en espérant semer le désarroi chez l’ennemi, il vise aussi à mettre en garde contre l’idée qu’une politique de coopération s’impose avec la Chine, afin de créer les conditions d’une paix par le développement mutuel.

Ce rapport s’en prend ainsi à quelques cercles de réflexion français (dont l’Institut Schiller), classés selon qu’ils seraient des « partenaires ponctuels » de la Chine, tel l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) qui a organisé trois forums sur les Nouvelles Routes de la soie avec l’Ambassade de Chine, des « alliés de circonstance » comme la Fondation Prospective et Innovation de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, ou carrément des « complices », partageant avec le PCC une vision commune du monde et dont les intérêts convergent, tel l’Institut Schiller.

Cinq pages sont ainsi consacrées à ce dernier, à sa présidente internationale, Helga Zepp-LaRouche, et à leurs rapports avec la Chine, notamment au niveau de son projet de Nouvelles Routes de la Soie. Jacques Cheminade est égratigné au passage. [1]

Il y a cependant une erreur factuelle dans sa description de la contribution de l’Institut Schiller à l’émergence d’un nouveau paradigme de paix par le développement en Eurasie. Ce n’est pas dans les années 1990 qu’elle a eu lieu, comme le dit le rapport, mais dans les années 1980.

De même pour sa jonction avec le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie, qui a émergé, de façon indépendante, non en 2013 (comme le prétend le rapport) mais dès les années 1990. Cependant, ce qui est absolument faux est de mettre ces projets dans le contexte d’une guerre chinoise menée contre l’Occident.

M. Jeangène Vilmer aurait-il tant fréquenté les écoles anglo-américaines qu’il ne sache pas à quel point l’idée d’une « communauté de destin » des Chinois est proche de celle du « progrès, cause commune de l’humanité » évoquée par Charles De Gaulle dans son célèbre discours à l’Université de Mexico, en 1964 ? Ignore-t-il que les Nouvelles Routes de la soie chinoises sont les héritières de la politique de coopération et d’amitié avec les pays en développement, appliquée par Franklin Roosevelt dans les dernières années de la décennie 1930, et qui aurait dû être celle d’un vrai Bretton Woods, si le président américain n’était pas mort prématurément.

C’était avant la politique des « règles communes » que tente d’imposer de nos jours une Amérique en quête d’empire. A l’époque de Roosevelt et De Gaulle, leur politique a permis à plus de 40 nations dans le monde, quel que soit leur régime, d’établir une coopération économique d’intérêt mutuel. Si la Chine rejette aujourd’hui les prétentions des pays occidentaux à imposer ces « règles communes » qu’ils ont élaborées unilatéralement, elle se réfère constamment aux principes et aux règles des Nations unies, qui furent, au contraire, établis d’un commun accord.


[1accusé d’insister, que les Nouvelles Routes de la soie représentent une meilleure compréhension de « ’l’avantage d’autrui’, concept, selon Jacques Cheminade, inspiré des Traités de Wesphalie (1648) »