Pandora Papers :
reste à tarir la source des crimes

mercredi 6 octobre 2021, par Jacques Cheminade

Trois immeubles de la City de Londres, le "Scalpel", le bâtiment Willis et celui de Lloyds.
"It’s no game", Flickr, CC BY 2.0

Paris, le 5 octobre 2021 – À grand renfort de bruits médiatiques, Le Monde et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) font une plongée dans les secrets de la finance offshore. Il en ressort quelques perles de culture, mais les gros poissons commodément installés dans les paradis fiscaux demeurent aussi peu dérangés que naguère les banques françaises visées par la « réforme » de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Nous ne nierons pas qu’il soit utile, comme pour les Panama Papers il y a cinq ans, que chacun apporte sa part de révélations ponctuelles à un immense scandale et qu’un Tony Blair ou un Dominique Strauss-Kahn soient pris la main dans le sac. Les tricheurs hypocrites méritent toujours leur sort, même s’ils trichent au sein de règles qu’ils ont eux-mêmes établies. Cependant, l’ampleur du scandale n’a rien à voir avec cette petite boîte de Pandore dénichée dans les archives de quatorze cabinets spécialisés. Les enquêteurs devront encore faire preuve de beaucoup plus de mérite pour gagner le paradis des journalistes qui changent réellement le cours des choses.

Qu’en est-il, en effet ? Selon le dernier rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), il y aurait au total 11 300 milliards de dollars de placements dans les paradis fiscaux, un montant probablement sous-estimé et plusieurs fois supérieur à la part totale épinglée par les pandoriens. Suivant un rapport conjoint du Tax Justice Network, de l’Internationale des services publics et de l’Alliance globale pour la justice fiscale, chaque année l’existence des paradis fiscaux priverait les États de 427 milliards de dollars et la France, à elle seule, de 20,2 milliards. Les États occidentaux eux-mêmes sont complices d’un monde truffé de ces paradis fiscaux, qui sont aussi des paradis juridiques assurant l’impunité pénale.

Non seulement les paradis fiscaux sont tolérés un peu partout, mais les plus importants se trouvent au sein même de certains pays « civilisés » : la City de Londres au Royaume-Uni, la plus grande lessiveuse d’argent douteux au monde, les îles de Jersey et de Man, plus les paradis, comme les îles Caïman, sous allégeance directe de la monarchie britannique. Aux États-Unis, le Delaware et aussi le Nevada, au sein de l’Union européenne, le Luxembourg, et dans une moindre mesure, Andorre et Monaco, sans oublier le Liechtenstein, plus, dans les listes plus exotiques, les Îles vierges américaines et britanniques et les Samoa américaines. On relèvera encore, sur la « liste grise » de l’Union européenne, la Turquie et... l ’Australie.

Solidarité & Progrès dénonce depuis toujours l’ampleur de ce scandale, la méga boîte de Pandore. C’est la tentacule d’une oligarchie financière qui tient les Etats-nations par l’argent. Selon l’OCDE, plus de 4000 multinationales échappent ainsi à l’impôt, y compris toutes les plus grandes banques du monde, comme de nombreux chefs d’État orientaux et occidentaux, pour qui la démocratie consiste dans la responsabilité de protéger leurs intérêts. Nos grandes banques françaises sont elles-mêmes solidement implantées dans ces paradis fiscaux, chacune prétextant de ce que fait l’autre et de la concurrence de toutes contre toutes pour y avoir abondamment recours.

A propos du livre Les paradis fiscaux - Enquête sur les ravages de la finance néolibérale, Nicholas Shaxson, André Versaille éditeur.

Ainsi, l’ancien juge Renaud van Ruymbeke déclare justement que « la lutte contre les paradis fiscaux ne peut être que mondiale ». C’est en effet tout le système de l’oligarchie financière, maîtresse de la mondialisation, qui doit être éliminé si l’on veut imposer le bien commun et la justice sociale... et fiscale. Ce qui règne sur ces « paradis », ce sont les mafias du crime organisé et de la géopolitique de la guerre. Lyndon LaRouche et moi-même les avons dénoncées depuis près de cinquante ans, notamment par leur implication dans le trafic de drogue, qui est une partie intrinsèque à leur système. Sur ce site et dans notre journal Nouvelle Solidarité, nous avons analysé l’ouvrage de Nicholas Shaxson, intitulé en français Les paradis fiscaux, enquête sur les ravages de la finance néolibérale, alors que la traduction littérale de l’anglais aurait dû être : Les îles au Trésor, les paradis fiscaux et les hommes qui ont volé le monde. On peut prendre connaissance, sur notre site internet, de « Comment la City de Londres a pris le contrôle de nos vies », par Bertrand Buisson (30 juillet 2012), et ultérieurement, de manière plus fouillée, « Paradis fiscaux, l’argent sale au service de l’Empire », par Odile Mojon (27 mars 2013). Le nouveau capitalisme criminel, de Jean-François Gayraud (publié en février 2014), montre bien, lui, la « finance déchaînée, les banquiers affranchis » et leur « évidente volonté de puissance, par delà le bien et le mal ».

Ce qui règne sur ces « paradis », ce sont les mafias du crime organisé et de la géopolitique de la guerre.

Les États et leurs dirigeants disposent ainsi, bien au-delà des Pandora ou des Panama Papers, de tous les éléments des crimes commis. Sous la tutelle de l’oligarchie mondialisée, ils ont accepté un état de servitude volontaire. Là se trouve la vérité sur le « désordre régulé » de notre temps.

Au sein de mon projet présidentiel de 2017, j’écrivais que la France doit proposer aux Nations unies et au G20 « que soit déniée toute existence juridique aux coquilles offshore ouvertes dans les paradis fiscaux, en particulier celles placées sous la protection de Sa très gracieuse Majesté la reine d’Angleterre… Privées d’existence juridique, ces sociétés sans réelle activité économique là où elles se trouvent localisées, ne pourraient plus ouvrir de comptes bancaires dans les banques officielles, qui devraient donc les radier de leurs livres. » Bien entendu, si la mesure est relativement simple, c’est l’accord politique pour la mettre en place qui est le vrai défi. Il est cependant nécessaire, si l’on veut réellement mettre fin au crime organisé et aux détournements de fonds qui sont la règle non écrite qui domine le monde. Est-ce facile ? Non. Cela demande du courage et de la volonté politique. Aujourd’hui, une occasion est à saisir : la crise de l’économie mondiale, l’affaissement organisé du pouvoir d’achat du plus grand nombre par l’hyperinflation qui vient et, dans ce contexte, le risque de guerre, créent les conditions d’un sursaut. La question redevient simple : sommes-nous capables d’échapper à notre servitude volontaire et de ne plus nous adapter à ce que nous savons être inadmissible ?

STOP à la mafia financière, soutenez notre lobby citoyen !