Le laboratoire P4 de Wuhan : bête noire des Anglo-Américains

lundi 24 mai 2021, par Christine Bierre

Dès la signature, en 2004, de l’accord entre la France et la Chine pour la doter d’un laboratoire P4 [1]
afin de lutter contre les épidémies les plus virulentes, cette unité de haute sécurité a fait l’objet de fortes pressions de la part des Etats-Unis, ainsi que des milieux sécuritaires français, ministère de la Défense, Secrétariat général à la Défense nationale (SGDN) et DGSE.

Non pour des raisons sécuritaires, mais avant tout pour des raisons idéologiques : le système chinois, si différent du nôtre, ne pouvait ne pas utiliser ces connaissances à des fins militaires contre nous.

C’est ainsi que fut sabordé un projet d’une grande utilité pour ce pays qui venait de subir le SRAS, tout en donnant à la France la possibilité d’offrir le meilleur de son savoir-faire pasteurien à un pays ami et de consolider ainsi leurs relations. Ce qui n’a pas empêché les Américains de reprendre aussitôt notre place ! Ce laboratoire, comme nous le montrons dans cet article, continue à alimenter les pires fantasmes des services anglo-américains.

Aujourd’hui, alors que s’estompe l’effet des vagues successives de diabolisation, lancées contre la Chine par ces mêmes services au sujet du Xinjiang, personne n’étant dupe quant à l’origine ni aux objectifs de ces mensonges, les mêmes tentent de nous servir un autre plat déjà bien réchauffé : la piste d’une fuite accidentelle du SarsCov2 du laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan, comme étant à l’origine de la pandémie qui a déjà tué plus de 3 millions de personnes rien qu’en 2020, selon les dernières statistiques de l’OMS.

A l’origine de cette nouvelle offensive, une lettre adressée au magazine britannique Science, signée par 18 virologues travaillant pour les grands laboratoires américains, qui demandent que jusqu’à preuve du contraire,

les théories d’une fuite accidentelle à partir d’un laboratoire et celle du saut zoonotique [de l’animal à l’homme] soient toutes deux considérées comme viables. [2]

Plusieurs de ces chercheurs ont d’ailleurs travaillé avec l’Institut de virologie de Wuhan, avant l’émergence de la maladie, dans le contexte de contrats de coopération financés par l’Institut national de la santé (NIH) et l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) des Etats-Unis.

Leur lettre constate que la première phase d’une étude engagée par l’OMS en Chine, dont les résultats ont été rendus publics en novembre 2020, avait conclu que la possibilité que la maladie vienne d’un saut zoonotique était de « probable à très probable », alors que celle de la fuite accidentelle était « extrêmement improbable », faisant, selon eux, la part trop belle à la première thèse.

Notant que le directeur général de l’OMS, Tédros Ghebreyesus, a lui-même reconnu que les résultats concernant la thèse d’un accident de laboratoire étaient insuffisants et que d’autres recherches devaient être entreprises dans cette direction, les chercheurs demandent qu’avec les Etats-Unis, l’UE et d’autres pays, de nouvelles recherches soient entreprises par l’OMS dans ce sens et qu’en Chine et ailleurs, les

agences de santé et laboratoires de recherche publics ouvrent leur documentation au public.

Si on ne peut exclure totalement la thèse d’une fuite accidentelle d’un laboratoire, rien ne prouve que ce laboratoire soit celui de Wuhan. Ce qui est certain, par contre, c’est que dans le climat de Guerre froide, voire de guerre chaude des Etats-Unis contre la Chine, créé d’abord par l’administration Trump et poursuivi par l’actuelle administration, Beijing n’acceptera jamais d’entrer dans un processus où les enquêtes sur son territoire pourraient devenir le prélude à une invasion militaire, comme ce fut le cas en Irak.

Les apprentis sorciers de la guerre

Le journaliste Nicholas Wade.

Dans ce contexte de guerre de tous contre tous, voyons ce qui a suscité la lettre des 18 chercheurs à la revue Science. Il s’agit d’un article publié par un « journaliste » britannique bien connu, Nicholas Wade, chargé des dossiers scientifiques dans Science et dans Nature, avant de rejoindre le New York Times entre 1982-2012. Journaliste pendant de longues années, son profil est aussi celui d’un brillant sujet de sa majesté, élève d’Eton puis diplômé du Kings Collège de Cambridge. Dans son action contre la Chine, mais aussi contre les Américains qui travaillent avec elle, il illustre bien ce don du « diviser pour régner » unique à l’empire britannique !

Pour juger de ses aptitudes intellectuelles et morales, il faut savoir que Nicholas Wade s’est fait connaître par un article publié en 2014 dans le New York Times, intitulé Héritage troublant : les gènes, la race et l’histoire humaine, où il défend des thèses racistes, l’idée que l’évolution récente de différents groupes de l’espèce humaine, du point de vue intellectuel, économique et social, a été déterminée par leurs gènes particuliers !

Cet article lui valut une lettre de protestation publiée dans le New York Times du 8 août 2014, signée par plus d’une centaine de généticiens et biologistes, qui, unanimes, l’accusent

de juxtaposer à un récit incomplet et erroné de [leurs] recherches sur les différences génétiques humaines, une spéculation selon laquelle la sélection naturelle récente aurait conduit à des différences dans les résultats de QI, les institutions politiques et le développement économique. Nous rejetons l’idée que nos découvertes justifient ses approximations.

Le P4 à l’origine de la COVID ?

Dans son article sur le P4 de Wuhan, intitulé Origine du Covid – en suivant les traces, paru le 5 mai 2021 sur la plateforme publique MEDIUM, Wade appelle les virologues à agir pour que les deux thèses (celle du passage du virus à l’homme par zoonose et celle de l’accident de laboratoire) soient examinées jusqu’à trouver la réponse.

Dans cet article très long, qui se veut scientifiquement fondé, Wade présente un tableau accablant contre la Chine et son laboratoire de Wuhan. Selon lui, le rejet de la thèse de la fuite aurait été organisé sciemment par la Chine pour se protéger, mais aussi par un certain nombre de laboratoires américains qui ont travaillé avec l’Institut de virologie de Wuhan, sous contrat avec le NIH (lnstitut national de la santé et le NIAID, l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses américain), dans le domaine d’expérimentations génétiques des virus appelées « gains de fonction », dans les années précédant l’apparition de la pandémie à Wuhan. Ces expérimentations sont menées aujourd’hui dans différents laboratoires de haute sécurité dans le monde – P4 pour les virus les plus mortels, P3 et P2, dans l’ordre pour les moins dangereux -, et ont pour but de fabriquer et de tester, in-vitro et in-vivo, des virus rendus plus puissants par manipulation génétique en laboratoire, afin de contaminer le corps humain. Leur objectif est d’élaborer des vaccins avant qu’une telle menace ne se présente.

Shi Zhengli, chercheuse à l’Institut de virologie de Wuhan (WIV) et à l’Académie chinoise des sciences (CAS).

Au cœur de l’accusation, le fait qu’en 2014, Shi Zhengli, cheffe de l’Institut de virologie de Wuhan et celle qui a découvert en 2005 le rôle d’intermédiaire joué par la chauve-souris responsable du SarsCov1, avait signé un engagement de coopération entre son Institut et une équipe de l’Université de Caroline du Nord, conduite par Ralph S. Baric, portant sur des expériences de « gain de fonction » impliquant à la fois le SRAS et les coronavirus de chauve-souris. Preuve que le laboratoire serait coupable de l’erreur ayant conduit à la dissémination du virus, Wade note que, de son propre aveu, Shi Zhengli n’a pas utilisé le laboratoire P4 pour conduire ces manipulations, mais les laboratoires P3 et P2 annexes, de moindre sécurité.

Documents du NIH à l’appui, Wade montre ensuite comment certains de ceux ayant contribué à disqualifier l’hypothèse d’une fuite accidentelle, tels Peter Daszak, président de l’EcoHealth Alliance de New York, ou Kristian G. Andersen, de l’Institut de recherche Scripps, ont financé des projets de ce type avec l’Institut de virologie de Wuhan.

L’histoire ne tient pas

Pour ce qui est d’éventuelles erreurs de manipulation du virus par Shi Zhengli, notons d’abord que nulle part dans le monde, les expérimentations du coronavirus ne sont pratiquées dans les laboratoires P4, exclusivement réservés aux virus les plus mortels (dont Ebola).

Deuxièmement, quand bien même le virus se serait échappé suite à une erreur de manipulation, il est faux de prétendre que cela n’ait pu se produire qu’à Wuhan. Rappelons que depuis le début de la pandémie, grâce aux enquêtes dans les hôpitaux et les archives d’examen des eaux usées à travers le monde, on a pu découvrir des traces du virus précédant l’apparition des premiers cas à Wuhan, ainsi qu’en Italie, en Espagne, en France et même aux Etats-Unis. Surtout, comme le souligne l’épidémiologiste américain Daniel R. Lucey, de l’Université de Georgetown, avant qu’une pandémie ne se déclare avec l’apparition de nombreux cas, comme à Wuhan, il faut des mois, voire un an, pour que le virus mute et se transmette à un grand nombre.

Cui bono ?

Le but de ce genre d’article est de faire peur à ceux qui, en Occident, seraient tentés par une coopération avec la Chine, et de lui coller une image d’ennemi, notamment parmi la population et les pays où l’attachement à l’alliance avec les Etats-Unis faiblit.

Aux Etats-Unis, cet article est tombé à point nommé chez des trumpistes en quête de boucs émissaires leur permettant d’exister, en cette période où ils sont écartés du pouvoir.

Lorsque le Dr Fauci, leur cible préférée, reconduit par Biden à la direction de la lutte contre la pandémie, est venu témoigner au Congrès, le 21 mai, c’est cet article que les élus républicains ont brandi, lui demandant des comptes sur la collaboration du NIH et du NIAID, l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, avec l’Institut de virologie de Wuhan pour les expérimentations de « gain de fonction ». Le Dr Fauci répondit qu’il n’y avait eu aucune collaboration de ce type à Wuhan, et quand il y en a eu, ajouta-t-il, ce fut à l’Université de Caroline du Nord, au laboratoire de Ralph S. Baric, et non à Wuhan.

Quant à la France, le fait que cette coopération n’ait pas abouti n’empêche pas certains journaux de s’en prendre à l’initiative amicale lancée en 2004 par Jacques Chirac envers la Chine, allant même jusqu’à menacer de poursuivre les enquêtes contre ceux qui avaient participé, à l’époque, à cet effort et sont toujours actifs sur la scène politique française !

En 2015, Alain Mérieux, de l’Institut Mérieux de Lyon et illustre représentant de la tradition pasteurienne en France, démissionnait de ses fonctions à la tête du projet de P4 à Wuhan. La dernière tentative de relancer le projet, sous Hollande en 2017, prévoyait d’y envoyer 50 chercheurs français. Cela n’a jamais eu lieu. Par contre, typique des pratiques de l’Empire américain, après avoir saboté notre coopération avec la Chine, c’est lui qui a pris la place de la France à Wuhan, comme le confirment les rapports cités.

A l’heure où l’on évoque ouvertement l’usage d’armes nucléaires par l’OTAN contre ses rivaux, dont la Chine, la priorité est de rétablir la confiance. Dès le début de l’épidémie, la Chine s’est montrée prête à coopérer dans la lutte contre le virus et ses effets désastreux au niveau économique. Saisissons donc l’occasion pour le faire et enterrons cette quête stérile de boucs émissaires, par laquelle certaines puissances tentent de nous entraîner vers la guerre.


[1La classification P4 d’un laboratoire signifie « pathogène de classe 4 » et le rend susceptible d’abriter des micro-organismes très pathogènes.

[2Les zoonoses sont des maladies ou infections qui se transmettent des animaux vertébrés à l’homme, et vice versa. Les pathogènes en cause peuvent être des bactéries, des virus ou des parasites.