Xinjiang

Ouïghours : Adrian Zenz au service du China-bashing

mardi 6 avril 2021, par Benjamin Bak

Adrian Zenz
wikipedia (creative common)

Par Benjamin Bak, militant S&P en Ile-de-France

Adrian Zenz. Si vous lisez la presse, ce nom doit vous dire quelque chose. Il s’agit de la source principale de la presse occidentale sur les accusations contre la politique de la Chine au Xinjiang, et le principal pilier de la thèse selon laquelle un génocide visant l’ethnie ouïghoure serait en cours au Xinjiang. C’est là que le bât blesse, car, comme nous allons le voir, Adrian Zenz est une source pour le moins douteuse et orientée.

Un astre fanatique de la galaxie néoconservatrice

Adrian Zenz est un Allemand qui a émigré aux Etats-Unis, et qui coopère à la « Fondation pour les Victimes du Communisme ». C’est une organisation conservatrice anti-communiste fondée en 1994 par Lee Edwards de la Heritage Foundation, Lev Dobriansky, diplomate américain membre du Parti républicain, et Zbigniew Brzezinski, politologue américain, néoconservateur avant l’heure, et continuateur de la géopolitique impérialiste de Halford MacKinder.

Si l’entourage d’Adrian Zenz ne l’encourage pas à avoir une vision objective des événements, ses convictions personnelles posent également question, quand elles ne font pas carrément peur. Adrian Zenz est effectivement le co-auteur, avec une certaine Marion Silas, d’un livre fondamentaliste évangéliste, Worthy to Escape, Why All Believers Not Be Raptured Before The Tribulation(« Digne de s’échapper : pourquoi tous les croyants ne seront pas enlevés avant la tribulation »). Le titre lui-même en dit beaucoup, car il évoque les croyances born again américaines selon lesquelles les croyants seront enlevés de la Terre vers le Ciel par Dieu lui-même avant la venue sur Terre de l’Antéchrist et l’avènement d’un gouvernement mondial.

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Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), interviewé par Marianne le 22 juillet 2020 admet, bien qu’il accuse la Chine d’utiliser honteusement le fanatisme religieux de Zenz pour s’innocenter, que les données de Zenz sont spéculatives. Et, hautement spéculatives, elles le sont.

Un génocide invisible… même démographiquement.

Localisation de la région autonome du Xinjiang (en rouge) en Chine
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Adrian Zenz tente depuis plusieurs années de faire passer l’idée que les centres de rééducation créés par la Chine au Xinjiang pour orienter des Ouïghours coupables de délits mineurs de terrorisme vers un emploi productif, sont en réalité des camps de concentration. Il accuse les Chinois d’y avoir interné pas moins d’un million de Ouïghours, nombre hautement contestable comme nous le verrons par la suite. Enfin, il accuse également la Chine de se livrer à des stérilisations de masse de la population ouïghoure. L’accusation de génocide brandie par les Etats-Unis est fondée sur ce dernier mensonge.

En 1949, les Han représentaient 6 % de la population totale du Xinjiang, ils sont aujourd’hui 42 %. Pour certains, cette augmentation, en soi, ferait partie d’un génocide subi, selon Zenz, par les Ouïghours mais aussi – dans des proportions moindres – par les autres minorités ethniques du Xinjiang, comme les Huis et les Kazakhs. Or, nous le verrons par la suite, pour prouver un génocide, il ne suffit pas de montrer qu’une population « exogène » augmente. Il faut également démontrer une élimination physique imposée de force des autres populations.

Le professeur Asatar Bair

Pour cela, nous nous baserons sur les analyses du professeur Asatar Bair, qui enseigne l’économie à l’université de Riverside City (Canada). Ce socialiste revendiqué, auteur d’un ouvrage intitulé Travail des prisonniers aux Etats-Unis : une analyse économique, a fourni, aux yeux de tous, sur son compte Twitter, une analyse chirurgicale des allégations d’Adrian Zenz.

Asatar Bair liste plusieurs problèmes, le premier d’entre eux étant d’ordre logique : aucun génocide dans l’histoire n’a jamais eu lieu en pleine croissance démographique, de l’espérance de vie et des revenus de ceux qui sont censés en être les victimes, ni avec le financement officiel et le soutien de la culture, de la religion et de la langue des victimes supposées. Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, la population ouïghoure a doublé au cours des quatre dernières décennies, de 1978 à 2015.

Evolution de la population ouïghoure (source : Xinjiang Statistical Yearbook 2016)
Remarque - l’unité utilisée est de 10 000 personnes : lorsque la population ouïghoure atteint 1 000 en 2009, il faut comprendre que la population ouïghoure totale était de 10 millions de personnes en 2009

La croissance démographique annuelle est de 1,94 %, ce qui est considéré comme extrêmement rapide, proche du pic de croissance démographique à l’échelle mondiale observée dans les années 60.

Zenz se sert des documents officiels qui analysent l’impact économique, social et sécuritaire de la croissance démographique, pour conclure sans la moindre preuve que les Chinois – qui ont toujours favorisé l’augmentation des populations minoritaires – auraient décidé à partir de 2015, année où elle lance sa lutte contre le terrorisme ouïghour, de réduire fortement la population ouïghoure.

Le Professeur Asatar Bair dénonce le procédé utilisé par Zenz : il construit son argumentation en gonflant et en manipulant à dessein des mesures ordinaires relevant du planning familial qui sont appliquées depuis longtemps par la Chine tant aux populations d’origine Han qu’à ses minorités – bien que de façon plus contraignante envers les Hans ! D’ailleurs, ces « génocidaires » de Chinois ont récemment levé l’interdiction d’avoir plus de 1 enfant par famille en ville, et 2 dans le monde rural, restrictions qui ne s’appliquaient qu’aux Han car les minorités avaient le droit à 2 enfants en ville et à 3 dans le monde rural. Asatar Baïr montre comment des statistiques qui ne sont par ailleurs guère étonnantes, sont décrites par Zenz en des termes dramatiques tels que « déclin drastique » et « mesures draconiennes de contrôle des naissances », afin de conclure que « les perspectives futures semblent sombres. »

Lorsque tel ou tel document évoque l’impact de la croissance démographique vertigineuse de telle ou telle minorité comme susceptible d’affaiblir l’identité nationale, lui parle d’un affaiblissement de « son identification avec la Nation-Race chinoise ». Selon Asatar Bair :

En y incluant le mot race de telle sorte, Zenz implique, sans le dire directement, qu’il s’agit de mesures racistes, alors qu’il s’agit clairement d’une question d’unité nationale, et non d’une idéologie de pureté raciale comme on la trouve dans les groupes d’extrémistes blancs aux Etats-Unis.
S’agit-il de renoncer à tout recours au planning familial, demande Asatar Bair ? Au fur et à mesure que les pays augmentent leur richesse, ils traversent inévitablement une "transition démographique" où les taux de natalité baissent, et peuvent même devenir négatifs. Parfois, la situation est vue comme alarmante, mais c’est uniquement par ceux qui ont des visions très traditionalistes, qui veulent maintenir les femmes confinées à la maison, ou ceux qui ont une vision de suprémaciste blanc et qui dénoncent le fait que les populations "non-blanches" ont des taux de reproduction plus rapides (…) Nous devons garder en tête ici que le ralentissement du taux d’augmentation de la population ne représente pas un très gros problème s’il a lieu dans le contexte d’une croissance continue, bien que plus basse.

Les « camps de concentration » au Xinjiang

En ce qui concerne les millions de Ouïghours qui seraient internés dans les camps de concentration au Xinjiang, l’ancien haut fonctionnaire Bruno Guigue a déjà remis en cause ce récit dans un article publié le 22 mars 2019 sur RT France, en revenant sur les affirmations aberrantes de l’époque :

La population ouïghoure, estimée à 10 millions de personnes, aurait subi un monstrueux coup de filet ! Pour interner 1 million de personnes, il faudrait capturer la moitié de la population masculine adulte de cette ethnie.

Bruno Guigue précise d’ailleurs le contexte dans lequel se fait la répression. En effet, les terroristes d’origine ouïghoure considèrent que « la nation du Turkestan », nom qu’ils donnent au Xinjiang, subit une oppression insupportable sur son versant oriental (Chine), comme sur son versant occidental (Russie). Or le Xinjiang est chinois depuis 1760, bien avant le rattachement de la Savoie à la France.

On ne peut pas parler de génocide, ni démographique, ni culturel, comme le démontrent Bruno Guigue, Asatar Bair, mais aussi des journalistes qui ont pu se rendre sur place comme Christine Bierre, rédactrice en chef de notre journal Nouvelle Solidarité (lors d’une mission d’information internationale au Xinjiang en juillet 2019) ou encore Maxime Vivas. Mais alors, comment juger cette campagne de propagande systématique qui se déroule dans un climat de confrontation envers la Chine totalement assumée par les cercles néo-conservateurs et bellicistes tels que l’Atlantic Council ? Pour le comprendre, il faut revenir à la conception de la géopolitique de Zbigniew Brzezinski.

Halford MacKinder, Zbigniew Brzezinski, et la géopolitique impérialiste

La géopolitique étudie les défis que pose la géographie au politique. En regardant l’Eurasie sous cet angle, on se rend compte qu’elle concentre 70 % de la population mondiale et les trois-quart des ressources naturelles. Pour le géographe britannique Halford MacKinder (1861-1947), l’Eurasie est le pivot du monde, le Heartland, et quiconque contrôle sa périphérie, le Rimland, dont l’Europe occidentale fait partie, contrôle le monde.

Pour maintenir leur hégémonie, l’Empire financier de la City de Londres et le complexe militaro-industriel américain ont adopté une stratégie de déstabilisation et de contrôle permanents du Rimland eurasiatique pour empêcher l’émergence et l’alliance de grandes puissances continentales eurasiatiques. Cette politique, initiée par Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter écouté jusqu’à sa mort par les différents présidents américains, vise à empêcher toute alliance durable entre la Russie et la Chine avec l’Asie, d’un côté, et avec l’Europe de l’autre, en maintenant ces derniers sous le contrôle stratégique anglo-américain.

Les interventions militaires permanentes sous le prétexte hypocrite de « la responsabilité de protéger » ne visent en réalité qu’à conserver cet état de conflit permanent. Dans cette optique, l’Administration Trump a retiré le Parti islamique du Turkestan oriental (PITO) de la liste des organisations terroristes en novembre 2020, signe très négatif envoyé à la Chine. En effet, cette organisation d’idéologie salafiste djihadiste, proche d’Al Qaïda, a pour objectif d’instaurer un califat islamique indépendant de la Chine et régi par la charia, dans le Xinjiang. Imaginez que du jour au lendemain, des attentats terroristes en France se trouvent revendiqués par un mouvement salafiste réclamant l’instauration d’un califat indépendant régi par la charia en Seine Saint-Denis !

Cela vous paraît aberrant ? Ça l’est. Mais c’est à cela que la Chine fait face au Xinjiang. C’est pour cela qu’elle a mis en place des centres de rééducation, en vue de combattre, sur le terrain de la formation et de l’éducation, l’idéologie du PITO. On parle donc du soutien au dépeçage en règle d’une grande puissance menaçante envers l’hégémonie anglo-américaine, et non d’une prétendue défense des Droits de l’Homme ou de la lutte contre un génocide.

C’est également cette peur qui régit la méfiance des élites occidentales pour les Nouvelles Routes de la soie, historiquement inspirées par les politiques proposées par nos amis de l’Institut Schiller sous le nom de Pont terrestre eurasiatique et mondial. Une peur fondée sur l’ignorance totale de la philosophie politique chinoise, toute mandarinale, qui vise à garantir la stabilité intérieure du pays, mais aussi la stabilité de ses relations avec les autres nations du monde, ce que la Chine appelle Tian Xia.