En finir avec l’OTAN et la mentalité géopolitique du jeu à somme nulle

jeudi 25 mars 2021

Chronique stratégique du 25 mars 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La rhétorique occidentale contre la Russie et la Chine va crescendo, faisant approcher chaque jour le monde plus près du gouffre. Les relations entre la Russie, les États-Unis et l’Union européenne sont au plus bas ; le président américain qualifie son homologue russe de « tueur » ; les technocrates de Bruxelles bloquent la distribution du vaccin anti-Covid Spoutnik V, mettant en péril des milliers de vies ; et l’OTAN se sent gonfler les muscles et se retrouve une raison d’être, à travers la menace russe et chinoise.

Pour la première fois depuis 1989, l’Union européenne a imposé lundi 22 mars des sanctions contre quatre hauts responsables chinois, sur le prétexte du traitement des Ouïghours ; Bruxelles a immédiatement été suivie par Londres – preuve s’il en est que le Brexit n’a rien changé à la géopolitique impérialiste du Royaume-Uni. La Chine a pris des représailles dans la foulée, imposant également des sanctions contre plusieurs entités et contre dix élus et universitaires européens.

Le très faucon secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken, qui se trouvait à Bruxelles les 23 et 24 mars, prétendument pour relancer le dialogue Etats-Unis-UE-Chine, a réaffirmé l’intention de renforcer « l’alliance des démocraties » contre les « Etats autoritaires », affirmant qu’il fallait s’ « assurer que l’Otan se concentre sur la Chine et les défis qu’elle pose ». Blinken a également rencontré le secrétaire général de l’Organisation atlantique, Jens Stoltenberg, dans le cadre des efforts visant à créer une OTAN mondiale alignée contre la Russie et la Chine, comme le stipule le document « OTAN 2030 » présenté le 18 février dernier.

Cependant, les menaces ne concernent pas seulement la Chine et la Russie ; elles visent également les alliés européens récalcitrants. Au cours d’une conférence de presse, Blinken a également affirmé qu’il avait menacé les entreprises allemandes, lors d’une rencontre privée, le mardi 22 mars, avec le Ministre des affaires étrangères allemand Heiko Maas : « J’ai dit clairement que les entreprises engagées dans la construction du pipeline risquent les sanctions américaines. Le pipeline divise l’Europe, il expose l’Ukraine et l’Europe centrale à des manipulations russes et à la coercition, il va contre les objectifs énergétiques adoptées par l’Europe ».

Un « ordre mondial basé sur des règles » à géométrie variable

Dans le même esprit, le ministère britannique de la Défense a publié lundi sa stratégie pour la modernisation de ses forces armées – « La Défense dans une ère compétitive » —, annonçant que son pays a l’intention d’élargir sa présence, notamment dans la région de la mer Noire, dans le Grand Nord, dans les pays Baltes et dans les Balkans occidentaux. Le document affirme que la Russie est « capable de présenter une menace significative aux capacités du Royaume-Uni », de porter des frappes de haute précision à grande distance et de « priver le Royaume-Uni et ses alliés de liberté de manœuvre » à l’aide de son système antiaérien intégré, comme le rapporte Sputniknews.

La doctrine stratégique britannique, qui s’inscrit dans la logique du « Global Britain » élaborée outre-Manche depuis le Brexit, estime que les forces armées « ne seront plus considérées comme une force de dernier recours, mais deviendront plus présentes et plus actives dans le monde ». En d’autres termes, le Royaume-Uni, en tandem avec l’OTAN et son partenaire junior américain (« American muscles and british brains »), se place dans une perspective de confrontation permanente contre la Russie, la Chine et tout autre ennemi désigné refusant de se soumettre à « l’ordre international fondé sur des règles » dicté par l’empire anglo-américain.

Cette notion d’ « ordre international fondé sur des règles », que les atlantistes répètent ad nauseam ces derniers temps, est sans doute ce qui a justifié le largage d’un demi-million de bombes américaines en Irak en 30 ans, comme l’a rappelé le colonel (ret) Richard Black lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller, ainsi que la destruction de l’Afghanistan, de la Syrie, de la Libye et du Yémen, qui ont plongé des millions de vies dans la pauvreté et les famines ! Les bien-pensants atlantistes tels que l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, qui s’émeuvent à longueur de journée sur le prétendu « génocide » des Ouïghours, semblent ainsi être dotés d’une capacité d’indignation à géométrie variable

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Sortir du jeu géopolitique à somme nulle

Douchant une fois de plus les espoirs des néoconservateurs anglo-américains de diviser la Chine et la Russie, les ministres chinois et russe des Affaires étrangères Wang Yi et Sergueï Lavrov, ont réaffirmé les forts liens unissant les deux pays, et dénoncé en chœur les sanctions imposées par les Etats-Unis et l’UE. Des sanctions qui, comme le fait remarquer le South China Morning Post, n’ont fait que rapprocher davantage Moscou et Beijing.

« Nous refusons les jeux géopolitiques à somme nulle et rejetons les sanctions unilatérales illégitimes auxquelles nos collègues occidentaux ont de plus en plus souvent recours », a déclaré Lavrov lors de la conférence de presse commune. « Nous avons noté la nature destructrice des intentions des États-Unis de saper l’architecture juridique internationale centrée sur l’ONU et reposant sur les alliances militaro-politiques de l’époque de la guerre froide, et de créer de nouvelles alliances fermées dans la même veine ».

Lavrov a également déploré le fait que les relations entre la Russie et l’Union européenne sont désormais inexistantes : « Nous n’avons plus de relations avec l’Union européenne en tant qu’organisation. Toute l’infrastructure de ces relations a été détruite par des décisions unilatérales prises par Bruxelles ». Pour sa part, Wang Yi a déclaré que les sanctions imposées à la Chine en raison de violations présumées des droits de l’homme au Xinjiang sont une grave erreur, et qu’ « elles ne recevront pas le soutien de la communauté internationale, en particulier les prétendues sanctions imposées sur la base de mensonges », ajoutant que les puissances occidentales devraient savoir que « l’époque où elles pouvaient s’ingérer arbitrairement dans les affaires intérieures de la Chine en inventant des histoires et des mensonges est révolue depuis longtemps ».

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La question du Xinjiang et des Ouïghours

Dans un appel publié en plusieurs langues et signé par de nombreux experts du monde entier, l’Institut Schiller international encourage les Européens et les Américains à rejeter cette mentalité « ami-ennemi » et à saisir la main tendue par les Chinois pour une coopération Est-Ouest.

Le succès de la priorité donnée par la Chine au progrès scientifique et technologique et à l’innovation montre qu’elle a tiré le meilleur profit de ce que nous autres, en Occident, semblons avoir oublié », peut-on lire dans cet appel. « Aussi ferions-nous mieux de répondre à son offre de coopération plutôt que de rechercher l’affrontement, en nous plaçant du point de vue de Gottfried Leibniz, afin de trouver, dans le cadre d’un dialogue des cultures, la capacité de résoudre les crises qui défient l’humanité entière.

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