Afrique : la « Grande Muraille Verte » menacée par l’impérialisme vert

mercredi 10 février 2021, par Karel Vereycken

Carte publié par la FAO. 8000 km, ce n’est qu’un début ! En réalité il faudrait prolonger la muraille verte jusqu’à Beijing ! Dakar-Beijing, cela fait 16000 km par la route.

La grande muraille verte (GMV), initiative lancée en 2007 par onze pays africains, vise à mettre en place une immense ceinture de reforestation afin de lutter contre la désertification.

Aujourd’hui, le projet risque de rester dans l’impasse à cause d’un écologisme dévoyé qualifié parfois, non sans raison, d’« impérialisme vert ».

Le sommet One Planet par visioconférence du 11 janvier 2021.

Le 11 janvier, sous l’égide du président français Emmanuel Macron, avec le soutien de l’ONU et de la Banque mondiale, s’est tenue la dernière édition, en visioconférence, du One Planet Summit sur la biodiversité.

Parmi les participants, le Prince de Galles, comme toujours en croisade pour réduire la population mondiale sous prétexte de lutte contre le dérèglement climatique.

Il a été rejoint par la « finance verte » la plus cupide de Wall Street et de la City, qui espère pour sa part sauver le système financier en faillite, en déménageant les profits vers la nouvelle bulle financière, thème réel de l’agenda de la « grande réinitialisation » (Great Reset) promu aussi bien par le Forum économique mondial de Davos que par le Conseil pour le capitalisme inclusif du Pape François.

Lors du sommet du 11 janvier 2021, à la demande de la France, du Royaume-Uni et du Costa Rica, plus de 50 pays (dont la Chine) ont fini par endosser un plan mondial visant à créer des zones protégées couvrant 30 % des terres et des océans de la planète. Macron annonça fièrement que cet objectif serait atteint d’ici 2022 en France. Pas trop lourd comme effort, puisque près de 29,5 % des terres et 23,5 % des zones maritimes françaises sont déjà protégées.

Cette mesure de protection renforcée des écosystèmes sera « la clé des négociations du futur cadre mondial de la Convention sur la biodiversité biologique qui sera adopté lors de la XVe réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15) », qui aura lieu le 17 mai 2021 à Kunming, en Chine, assure l’Elysée.

« Jusqu’à présent, nous avons détruit notre planète, en en abusant comme si nous en avions une de rechange », a déploré le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors d’une intervention en duplex depuis New York. « Nous avons empoisonné l’air, la terre et l’eau, et rempli nos océans de plastique. Et maintenant, la nature revient à la charge », a-t-il prophétisé en écho aux élucubrations proférées dans le manifeste du Great Reset, défendu à Davos lors du Forum économique mondial (WEF), selon lequel la pandémie ne serait qu’un exemple de réponse de Dame Nature.

Grande Muraille verte

Actes des conférences de l’Institut Schiller consacrées à l’Afrique dans les années 1990.

Autre annonce phare de ce sommet, la promesse d’investir près de 12 milliards d’euros pour le projet de Grande Muraille verte (GMV).

L’idée n’est pas nouvelle. Dès les années 1950, l’explorateur et forestier anglais Richard St. Barbe Baker promeut l’idée d’un mur d’arbres pour reverdir le Sahara.

Le principe sera défendu dans les années 1980 par le président du Burkina Faso, Thomas Sankara, et fera ensuite partie, dans le cadre d’un « Plan Marshall pour l’Afrique », des propositions défendues dès la fin des années 1970 par le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche (1922-2019) et l’Institut Schiller, en particulier lors de la conférence Afrique de l’Institut Schiller à Paris en 1990.

L’idée a refait surface en 2002, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse. Elle fut ensuite approuvée par la Conférence des dirigeants et chefs d’État membres de la Communauté des États sahélo-sahariens et entérinée en 2007 par l’Organisation des États africains.

Pour résumer, l’objectif est de verdir 100 millions d’hectares le long de la bande sahélienne, qui traverse le continent d’ouest en est, du Sénégal à Djibouti, et implique la participation de 11 pays.

Le défi initial était de dresser une barrière verte pour contrer l’avancée du désert dans ces zones agricoles grâce au reboisement. Depuis son adoption, la GMV a pris la forme d’un ensemble d’actions de restauration menées à l’échelle du paysage et qui s’enchaînent géographiquement en vue d’assurer le bien-être environnemental et socio-économique des populations sahéliennes.

Alors qu’à l’origine, on envisageait un ruban de près de 8000 km de long sur 50 km de large, le projet actuel ne retient qu’une largeur de 15 km. Lancé il y a 15 ans, principalement au Sénégal, le projet GMV s’est enlisé depuis. Aujourd’hui, cette grande barrière n’a été réalisée qu’à hauteur de 4 % et sur 100 millions d’hectares, seulement 4 ont été restaurés. L’on se heurte à des problèmes de gouvernance, de moyens, de priorité aussi, dans des régions qui sont des zones de conflit présentant de gros problèmes de sécurité.

La mise en garde de Lyndon LaRouche

A gauche, le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche. A droite, le premier secrétaire américain au Trésor Alexander Hamilton (peinture d’époque).

Comme LaRouche le soulignait dès 1979, et cela reste vrai, le succès du projet dépend avant tout de ce qui l’accompagnera. Si la GMV n’est pas étayée par des infrastructures en eau, en énergie et de transports permettant de maintenir l’ensemble fonctionnel, le projet se condamne à l’échec.

Comme l’avait précisé avant lui Alexander Hamilton (1755-1804) dans son Rapport sur les Manufactures, ce n’est que dans le cadre d’un vrai aménagement du territoire, et en symbiose avec une vraie politique d’industrialisation, que l’agriculture pourra prospérer.

Pour l’Institut Schiller, l’une des priorités, en termes d’énergie, est de doter le continent africain de centrales nucléaires d’une taille appropriée pour des pays émergents, et aptes à dessaler l’eau de mer.

Au niveau du transport, l’interconnexion des réseaux ferroviaires, à laquelle la Chine a contribué en rénovant entièrement la ligne de chemin de fer reliant Djibouti à Addis Abeba, doit se concrétiser par l’achèvement d’une ligne transcontinentale reliant Djibouti à Dakar.

Pour l’eau, le grand chantier dont il faut parler ici et sans lequel la GMV risque d’échouer, c’est le Transaqua XXL . Il s’agit de la remise en eau du lac Tchad, menacé de disparition. En réalité, le transfert d’une quantité dérisoire de l’eau du bassin du Congo suffirait pour aménager en polders productifs une partie de cette région du lac Tchad.

Le projet Transaqua.

Plus qu’une série de projets, c’est une vision d’ensemble qui garantira le succès de chacun d’eux.

Malheureusement, tout indique que les recommandations de LaRouche ne sont pas suivies. Aucun grand programme ne prévoit d’installer des centrales nucléaires en Afrique. L’UE s’oppose à la remise en eau du lac Tchad, qu’elle veut maintenir comme une simple zone humide. Quant à la Chine, qui construit des lignes ferroviaires en Afrique, on l’accuse de vouloir ruiner les pays africains en les poussant dans le « piège » de la dette !

Piège de la finance verte

Dans ce contexte, la GMV est promue comme une action avant tout climatique. Piégés par leurs engagements en faveur de la neutralité carbone, qu’ils doivent atteindre d’ici 2050, beaucoup d’investisseurs privés et institutionnels cherchent des occasions pour investir dans des « actifs verts », dont ils estiment que la valeur, à terme, va exploser.

Pour la « finance verte », la GMV est donc avant tout un « puits à carbone », capable de séquestrer 250 millions de tonnes de carbone !

Certes, le projet a d’autres atouts : en y incluant l’agroforesterie, on pourrait créer 10 millions d’emplois, un plus pour réduire les migrations vers l’Europe, contrer l’influence de Boko Haram et, le cas échéant, produire quelques nutriments de base.

Or, le One Planet Summit annonce vouloir donner un coup d’accélérateur et surmonter les obstacles bloquant l’avancement du projet. Entre autres, et non des moindres, le problème des ressources énergétiques dans cette zone. Etant donné que plusieurs pays sur le trajet ne disposent ni de pétrole, ni de charbon, ni d’énergie nucléaire, la moindre présence d’arbres suscite l’intérêt des populations locales, que se ruent dans les plantations pour y prélever du bois qu’elles pourront transformer en charbon de bois pour se chauffer et cuire leurs aliments.

Les panneaux solaires en Afrique. Pour recharger les tablettes et smartphones, c’est génial. Pour démarrer l’industrialisation du continent, le nucléaire reste incontournable.

L’un des participants au sommet, le Dr Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), a mis les pieds dans le plat en disant :

« En construisant la Grande Muraille verte, nous sécuriserons le Sahel, réduirons le changement climatique, diminuerons les migrations et améliorerons la vie des gens. La Banque africaine de développement a lancé un programme ‘Desert-to-Power’ de 20 milliards de dollars afin de construire la plus grande centrale solaire du monde au Sahel. Cela permettra de fournir de l’électricité à 250 millions de personnes et de contribuer à préserver la Grande Muraille verte. Car s’il n’y a pas d’accès à l’énergie, la Grande Muraille verte ne sera plus que des arbres attendant d’être transformés en charbon de bois. »

Et il poursuivit :

« J’applaudis aux efforts du président Macron et de S.A.R. le prince Charles, prince de Galles, ainsi que des chefs d’État africains, concernant la Grande Muraille verte (…) Je suis donc heureux d’annoncer que la Banque africaine de développement va mobiliser 6,5 milliards de dollars pour soutenir la GMV au cours des cinq prochaines années. »

Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’Agence française de développement (AfD) ont également promis respectivement 1,2 milliard et 729,6 millions de dollars.

Or, l’énergie photovoltaïque, dont la nature intermittente et la faible densité sont des handicaps structurels insurmontables, est un leurre. Jamais elle ne sera en mesure de fournir l’électricité dont les populations auront besoin. Tout en enrichissant la « finance verte », cela conduira aussi bien à un désastre humain qu’à une catastrophe environnementale.

Il est évidemment hors de question d’imposer aux Africains notre modèle européen d’une agriculture productive et intensive ! Aussi, pour les empêcher d’y avoir accès, en marge du sommet, plus de 100 participants européens et africains ont, en présence du président Emmanuel Macron, de son homologue mauritanien Mohamed Ould Ghazaouani et du prince Charles, signé une charte d’engagement pour le développement des secteurs agropastoraux. Ceux qui ont lancé la coalition, baptisée « Mouvement agro-écologique international », ne se concentrent que surl’agroforesterie, un système de gestion de l’utilisation des terres, prévoyant de planter des arbres et des arbustes et autour et au milieu des cultures et des pâturages.

Si, en soi, cette approche n’est pas inintéressante dans certaines circonstances, la généralisation de ce type d’agriculture « verte », à faible rendement et à forte intensité de main-d’œuvre, laisse dubitatif. On pourrait peut-être demander d’abord aux Africains ce qu’ils envisagent comme la meilleure stratégie agricole pour nourrir les millions de personnes qui risquent de mourir de faim cette année ?