Confinement : la santé publique doit tenir compte du terrain

Il nous faut un Etat-citoyen, pas un monstre froid !

lundi 30 mars 2020

Les campements de migrants : l’une des réalités de terrain où il est difficile d’appliquer le confinement. Ici, à Calais.

Confinement, J14. Plus de 2 600 décès officiels dus au COVID-19 ; des hôpitaux ultra-saturés, des EHPAD débordées ; des soignants épuisés, certains décédés ; des personnels contraints de « trier » les malades, faute de respirateurs ; un débat sur la chloroquine qui n’en finit pas ; des masques, enfin, qui tardent, encore et toujours, à arriver... Les sarcasmes sur le « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement » d’Edouard Philippe font déjà le tour des réseaux sociaux – tandis que les plaintes accusant le ministère de la Santé de mise en danger de la vie d’autrui se multiplient.

Plus que jamais nous hantent cette impréparation et ces injonctions contradictoires des débuts (incapacité à fournir les tests à la population et le matériel de protection aux soignants et professions mobilisées ; maintien du premier tour des municipales ; latitude laissée aux habitants des grandes métropoles de fuir vers les campagnes, etc.). Un gouvernement qui n’a pas hésité – comble du scandale – à accuser les Français de l’imprévoyance dont il a lui-même donné l’exemple !

Chez certains, la rage contre l’amateurisme criminel des élites commence à se retourner contre la population elle-même, en particulier contre ceux qui ne respectent pas suffisamment le confinement. Si la solidarité des Français ne s’est jamais montrée aussi palpable, un climat de défiance envers son prochain menace dans le même temps de s’installer, et de diviser une fois de plus notre pays.

Adapter le confinement au terrain

Alors qu’en est-il de ce confinement sur le terrain ? S’il est absolument légitime d’envoyer les forces de l’ordre faire respecter les règles, il devient difficile pour les autorités d’être crédibles quand il apparaît qu’elles n’ont pas, au préalable, prévu les difficultés à les faire appliquer au quotidien. Or un Etat stratège devrait avoir pris en compte, au sein de son dispositif sanitaire d’urgence, des besoins propres à certains territoires – et de la nécessité de mobiliser, le cas échéant, les acteurs de terrain.

Voici quelques exemples de zones nécessitant des dispositifs spécifiques :

  • les régions plus froides, plus propices au maintien et à la propagation du virus ;
  • les régions plus ensoleillées, qui sont, surtout à l’arrivée du printemps, plus propices au relâchement des règles de confinement et de distanciation sociale ;
  • les zones plus densément peuplées, comme les centres urbains ou les banlieues dotées de nombreuses barres d’immeubles, plus susceptibles de voir le virus se propager. Sachant qu’il est, de fait, plus difficile de rester confiné dans un espace réduit, sans jardin voire sans balcon, et d’autant plus si y résident des familles avec enfants ;
  • les campagnes, les îles ou les zones plus éloignées des « clusters », où il est, de fait, plus difficile de se « se sentir concerné » par un virus qui ne se voit pas ;
  • les zones où vivent les sans-abris, les migrants, les bidonvilles, les gens du voyage, qui sont à surveiller de très près. Ceux qui s’y trouvent doivent être l’objet d’une prise en charge et de mesures d’assistance au cas par cas.

Le cas des Outre-Mer

Les Outre-Mer, en particulier, doivent être soumis à une vigilance et pourvus de moyens d’autant plus accrus qu’ils sont encore moins dotés que l’hexagone au niveau économique, social, matériel et sanitaire [1]. Précisons que parfois, la pauvreté y est si répandue que de nombreuses habitations en tôle (imposant une température avoisinant parfois les 40°C) rendent l’injonction du « restez chez soi » littéralement absurde !

De par leur éloignement géographique, les Ultra-marins sont par ailleurs dépendants de l’extérieur pour s’approvisionner en denrées alimentaires de base – à une période où, du fait des réflexes de stocks et du ralentissement de l’économie, les pénuries dans les magasins commencent à devenir une réalité.

Enfin, à la longue liste des erreurs criminelles du gouvernement, doivent malheureusement être ajoutées celles-ci : alors que l’éloignement des DROM-COM (et leur nature insulaire, pour la plupart) aurait pu les préserver du virus, l’État, non seulement n’a pas interrompu en amont les liaisons aériennes de passagers depuis la métropole et l’étranger, mais s’est avéré incapable de faire pratiquer des tests de dépistage, qui auraient été très efficaces en milieu insulaire. Au point que nous commençons, notamment dans les Antilles françaises, à enregistrer les premiers décès liés au COVID-19.

Les DROM-COM nécessitent donc un véritable plan sanitaire d’urgence qui tienne compte des difficultés propres à chacun (comme en Guyane ou à Mayotte par exemple, confrontées à des problématiques migratoires particulièrement difficiles à gérer). Face à la tragédie que ces territoires commencent tout juste à connaître, seule une mobilisation immédiate et d’ampleur – bien plus importante que celle annoncée lors de la deuxième semaine de confinement – pourra empêcher le pire.

Conclusion

Après 20 ans d’austérité, d’abandon des services publics et des pouvoirs régaliens, après des décennies de rupture du pacte de confiance envers les populations et les acteurs de terrain, le gouvernement Macron-Philippe, qui n’a rien fait pour changer la donne, se voit aujourd’hui dans l’obligation de se tourner vers eux (et en comptant, là encore, sur leur dévouement).

Compte tenu du déficit en ressources humaines dans les domaines social, de la police et de l’armée – rendant, de fait, très limités les leviers d’action et les réservoirs de personnels – ; compte tenu de la difficulté, dans certains contextes, à rendre acceptable par les populations une présence renforcée des forces de l’ordre, les pouvoirs publics vont devoir solliciter, plus que jamais, les élus locaux, volontaires, associatifs, travailleurs sociaux, etc.

Notons que beaucoup d’entre eux ont déjà développé des qualités exceptionnelles en matière de médiation et de sensibilisation des populations. Des expériences ont par ailleurs déjà été tentées avec succès ces deux dernières semaines, par exemple dans des quartiers où certains jeunes se sont mobilisés pour porter assistance au personnel hospitalier ou désinfecter les parties communes. Evidemment, ces exemples ne doivent pas être, pour l’État, un prétexte pour se défausser, tout en se gargarisant de belles paroles.

Dans l’idéal, cela nécessiterait un dispositif de coordination du haut vers le bas et du bas vers le haut, permettant aux acteurs de remonter aux élus nationaux et à l’administration leurs difficultés éventuelles à faire appliquer les règles de confinement, ainsi que les idées nouvelles développées sur le terrain. Ajoutons que si certaines villes ont déjà débloqué des moyens pour désinfecter les rues, cela ne devrait pas être laissé à la discrétion de chaque maire, mais coordonné au niveau national, afin (et ce dans la même logique que celle de la « péréquation ») de prioriser les agglomérations les plus à risque, en leur donnant les moyens de le faire.

Plus que jamais, nous autres citoyens, devons faire preuve de compréhension, d’empathie, de solidarité et non de stigmatisation. Tout manquement aux règles de confinement par quiconque, et quelles qu’en soient les raisons, s’il doit être vu comme un acte d’irresponsabilité, doit également être l’occasion pour chacun de se demander, chaque fois : « que puis-je faire de plus pour que cela n’arrive plus ? » Si pour les personnels, bénévoles et salariés, déjà déployés sur le terrain – parfois au péril de leur vie – , la question ne se pose évidemment pas, pour nous, à Solidarité et progrès, la réponse est : « l’engagement politique et citoyen ».

Depuis une semaine, nous militons pour faire pression sur les pouvoirs publics, en leur envoyant ces deux feuilles de route dignes d’un Etat stratège :
 pour le court-terme : « Pistes essentielles pour vaincre la pandémie de COVID-19 »
 pour le long terme : notre manifeste à faire signer aux élus locaux pour faire pression sur les élus nationaux : « Pour un vrai aménagement du territoire, la République doit gouverner la finance »

Pour nous aider : 01 76 69 14 50 / https://solidariteetprogres.fr/militer.html

Une crise comme celle à laquelle nous faisons face suscite des dévouements sans précédent, porteurs d’une possibilité de changement de direction de notre société vers plus de souci de l’autre et d’engagement pour le bien commun. Pourvu que nous manifestions la volonté politique permettant de mettre en place un projet basé sur l’humain, libéré de la logique technocratique, des flux tendus et du profit financier destructeur.