Conférence sur la sécurité de Munich : l’« Occident » a vécu

mercredi 19 février 2020

Chronique stratégique du 19 février 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Lors de la conférence sur la sécurité de Munich, qui s’est achevée dimanche dernier, les dirigeants occidentaux ont plus que jamais exposé leurs divisions. Et, alors que les uns et les autres rivalisent d’efforts pour ériger la Chine (après la Russie) en ennemi, il devient désormais évident que le pire ennemi de l’Occident est… lui-même.

Un jour qu’un journaliste lui demandait ce qu’il pensait de la civilisation occidentale, Gandhi avait répondu que « ce serait une bonne idée ». Face au spectacle tragi-comique délivré lors de la conférence sur la sécurité de Munich, il aurait fallu au Mahatma déployer le quadruple d’ironie.

40 chefs d’État et 200 ministres étaient présents dans la capitale bavaroise, pour participer à ce qui constitue le gotha de la diplomatie et de la sécurité du monde occidental. Le « mot d’ordre » choisi cette année était « Westlessness » ; ce terme, inventé les Allemands dans l’intention de tempérer la propagande anti-chinoise, a davantage résonné comme une prophétie auto-réalisatrice de l’effondrement de l’Occident.

Discorde entre alliés et accords entre ennemis

Jamais les divisions, entre Américains et Européens, ainsi qu’entre Américains eux-mêmes, n’auront été autant étalées sur la place publique. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a fait un discours ridicule, en réaction directe contre le thème choisi par les Allemands, soutenant qu’au contraire, « l’Occident gagne, et nous gagnons tous ensemble ». Il a affirmé que les « valeurs occidentales » devaient prévaloir sur les « désirs d’empire » de pays comme la Chine, la Russie et l’Iran. « Je suis heureux de vous rapporter que la mort de l’Alliance transatlantique est grandement exagérée », a-t-il pompeusement déclaré.

Pour le secrétaire d’État, qui oscille entre les délires des « chrétiens sionistes » croyant en l’Armageddon et des néoconservateurs restés bloqués dans la mentalité de la Guerre froide, la Russie et la Chine sont les deux principaux ennemis ; et les succès de Taïwan, du Japon et de la Corée du Sud sont des exemples démontrant que l’Occident est en train de gagner – ce qui n’a guère dû enchanter le Japon et la Corée du Sud, qui s’évertuent ces derniers temps à établir de bonnes relations avec la Russie et la Chine…

Chose étonnante (du moins, pour les âmes naïves), la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, qui se trouvait également à Munich, est apparue en parfaite harmonie avec les deux ministres de Trump dans l’attaque contre la Chine. « La Chine tente d’exporter son autocratie digitale à travers son géant des télécommunications Huawei », a-t-elle accusé, en demandant aux pays du monde entier (et en premier lieu l’Allemagne) de cesser d’utiliser la technologie Huawei. Laisser la Chine dominer dans la 5G reviendrait à « faire le choix de l’autocratie plutôt que la démocratie ».

Rappelons que Donald Trump, malgré une méthode qui ne serait pas la nôtre, n’a cessé depuis le début de son mandat d’affirmer vouloir rétablir de bonnes relations avec la Chine. Il l’a redit, à sa manière, lors du Forum économique de Davos, en janvier : « Nos relations avec la Chine, en ce moment, n’ont probablement jamais été aussi bonnes, en dépit de la période très difficile que nous avons traversé. Ma relation avec le président Xi est extraordinaire. Il est pour la Chine, je suis pour les États-Unis. Mais à part cela, nous nous apprécions l’un et l’autre ».

Voici donc le ministre des Affaires étrangères le plus puissant du monde exposant ouvertement son désaccord avec le président le plus puissant du monde ; tandis que le même ministre et la dirigeante de l’opposition démocrate, qui vient de conduire la procédure de destitution contre le même président, affichent un parfait accord contre la Chine. De quoi laisser songeur…

Wolfgang Ischinger, le président de la conférence sur la sécurité de Munich, pourtant connu pour son atlantisme, a pris ses distances avec la rhétorique guerrière des Américains, adressant même ses amitiés à Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères. Ischinger, avec 46 autres personnalités, a signé un plan en 12 points pour sortir du conflit dans le Donbass en Ukraine, incluant un allègement des sanctions contre la Russie. Immédiatement, le think tank néoconservateur Atlantic Council a publié une contre-analyse dans laquelle Ischinger et les autres signataires, dont Philip Breedlove, l’ancien commandant des troupes US en Europe, sont accusés de servir la campagne de désinformation du Kremlin. Paranoïa, mon amour !

Dans le même rayon du grotesque, l’ancien président ukrainien Porochenko, qui se trouvait à Munich, a dénoncé le plan de 12 points de « conspiration de Munich » contre l’Ukraine, en référence aux accords de Munich d’Hitler en 1938…

Contorsions européennes

La conférence de Munich a révélé l’ampleur des désaccords entre Américains et Européens, sans que les Européens soient pour autant capables d’esquisser une voie indépendante qui corresponde aux intérêts de tous ses États membres.

Les Allemands, dont le modèle économique dépend en grande partie des exportations vers la Chine, ont multiplié les déclarations en faveur du « multilatéralisme ». Le président Franz Steinmeier a déploré que les États-Unis rejettent désormais « jusqu’au concept même de communauté internationale ». Heiko Maas, le ministre des Affaires étrangères, a quant à lui reconnu que « l’avenir du Moyen-Orient ne se décide plus à Genève ou à New-York, mais à Sotchi ou à Astana ».

De son côté, Emmanuel Macron a prononcé le type de discours tortueux qu’on lui connaît, jouant de contorsions entre d’un côté des intentions de conciliation et d’ouverture vis-à-vis de la Russie, et de l’autre des déclarations accusatrices contre la prétendue « stratégie russe » visant à diviser l’Union européenne (comme si celle-ci n’était pas capable de se diviser toute seule). « L’attaque massive que ma campagne de 2017 a subie, je sais d’où elle vient, je ne suis pas fou », a-t-il déclaré.

Par ailleurs, le président français a de nouveau joué à l’apprenti « géopoliticien », exprimant l’idée qu’en ne parlant pas à la Russie, l’Europe finirait par jeter cette dernière dans les bras de la Chine. « L’hégémonie chinoise n’est pas compatible avec la fierté russe », a-t-il lâché perfidement, comme si l’Europe en pleine crise et plombée par ses divisions avait quoique ce soit à proposer à la Russie. Une vision tout à fait amateure qui plus est, car « le partenariat sino-russe remonte à plus de vingt ans et ne changera pas, même si l’Europe leur devient plus sympathique », comme le souligne dans le JDD François Heisbourg, conseiller spécial à la très atlantiste Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Les déclarations de Macron, l’automne dernier, sur l’état de « mort cérébrale » de l’OTAN, ou sur « la fin de l’hégémonie occidentale dans le monde », sont bien jolies. Elles ont sans doute mis en émoi la « secte » des néoconservateurs qui occupe les couloirs du Quai d’Orsay depuis le mandat de Sarkozy. Mais pour le président d’un pays dans lequel la DGSE a été aspirée par les services secrets anglo-américains (comme le révélait un article du Monde le 27 janvier), la DGSI confie ses données à l’Américain Palantir, et les systèmes d’exploitation informatique des ministères français de l’Éducation et des Armées sont gérés par Microsoft, la crédibilité est à peu près nulle.

L’effondrement du monde occidental est une réalité, comme l’était celui de l’Union soviétique il y a trente ans. Mais ne nous trompons pas : il ne s’agit pas de l’effondrement des nations occidentales, mais de l’empire militaro-financier anglo-américain, qui est par définition apatride, et qui s’est appuyé depuis la mort de Roosevelt et surtout depuis l’assassinat de John F. Kennedy sur plusieurs instruments de soft et de hard power – manœuvres des services secrets, extraterritorialité du dollar, l’OTAN et la cyberguerre, et enfin le trafic de drogue et d’armes — afin de soumettre les nations.

À nous de nous battre pour que nos pays reprennent leur destin économique et stratégique en main, et participent avec la Chine, la Russie et les autres à l’ouverture d’une nouvelle ère de coopération et de développement mutuel, comme les Nouvelles Routes de la soie nous en montrent la voie.

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