Bolivie : cachez-moi ce coup d’État que je ne saurais voir !

mercredi 20 novembre 2019

Chronique stratégique du 20 novembre 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

La Bolivie vient d’être victime d’un coup d’État, perpétré par l’extrême-droite, l’armée et la police, avec le soutien des Évangélistes « chrétiens » et du Département d’État américain ; le président Evo Morales, menacé pour sa vie et celle de ses proches et cherchant à éviter un bain de sang, a dû trouver l’asile au Mexique, et le pays se trouve désormais au bord de la guerre civile. En France, le silence du gouvernement et des médias a de quoi inquiéter.

Alors qu’un vent nouveau de résistance contre l’ultralibéralisme souffle en Amérique latine, avec les manifestations au Chili, la réélection des Péronistes en Argentine et la libération de Lula au Brésil, un coup d’État militaire vient de frapper la Bolivie, renvoyant le continent aux heures sombres des années 1970, à l’époque où la CIA fomentaient la chute des dirigeants de gauche et les remplaçaient par des régimes d’extrême-droite, plus dociles vis-à-vis des intérêts financiers de Londres et de Wall Street.

Le scénario rappelle également le coup d’État de 2014 en Ukraine, où le Département d’État américain et les services secrets britanniques et américains avaient utilisé les forces néo-nazies pour faire tomber le président Viktor Ianoukovytch, qui s’opposait au traité de libre-échange exclusif entre l’UE et l’Ukraine.

Coup d’État

Le 12 novembre, en entrant dans le Palais présidentiel, suite à la démission de Morales, la présidente par intérim auto-proclamée Jeanine Áñez a brandi une énorme Bible au-dessus de la tête et proclamé : « La Bible est de retour dans le palais. (…) La Bolivie appartient au Christ ».

Comme l’explique Cathy Dos Santos dans L’Humanité, Evo Morales a été forcé de démissionner sous la menace du commandement militaire et policier, et tandis que les milices fascistes du « Comité civique » de Santa Cruz, menées par l’évangéliste « chrétien » Luis Fernando Camacho commettaient des attentats et humiliations contre les membres du MAS, le parti de Morales. La maison de Victor Borda, le président de la Chambre des députés, a été brûlée et son frère a été pris en otage. Le logement de la sœur de Morales a également été saccagé. La maire de la ville de Vinto, Particia Arce, a été humiliée par une horde d’extrémistes, qui lui ont coupé les cheveux, l’ont aspergée de peinture et traînée pieds nus dans les rues.

Le coup d’État a immédiatement été dénoncé par le Mexique, qui a accordé l’asile politique à Evo Morales, puis par Cuba, le Venezuela, l’Uruguay, ainsi que par le président argentin élu Alberto Fernandez et les anciens présidents brésilien Lula da Silva et équatorien Rafael Correa. Le 12 novembre, lors de la session de l’Organisation des États américains (OEA), l’ambassadrice du Mexique Luz Elena Baños a déclaré : « Nous considérons que les pressions mises sur Evo Morales par les forces armées et policières sont des éléments constituant un coup d’État ».

Les États-Unis, par la voix de Donald Trump et d’un autre évangéliste « chrétien », le secrétaire d’État Mike Pompeo, ont immédiatement apporté leur soutien aux putschistes, de même que le Premier ministre britannique Boris Johnson. L’Espagne, au contraire, a dénoncé le coup d’État. La France s’est quant à elle murée dans le silence, prenant le risque de s’aliéner le Mexique, comme le fait remarquer Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

La fabrique à « démocratie »

Ainsi, le coup d’État a été fomenté par les forces combinées des évangélico-fascistes du Comité civique de Santa Cruz et du Département d’État américain, avec en amont la machine à « changement de régime » et « révolution de couleur » du National Endowment for Democracy (NED), qui reçoit les financements autant du Parti démocrate que du Parti républicain.

Le Comité civique de Santa Cruz prône l’indépendance des régions de l’Est de la Bolivie, plus riches, et voue une haine raciste envers les natifs indiens, la partie la plus pauvre de la population, dont est issue Morales. Ses leaders sont Luis Fernand Camacho, un évangéliste « chrétien » millionnaire mis en cause dans les Panama papers, et Ruben Costas, le gouverneur de Santa Cruz et fondateur du Parti de l’unité démocratique de Jeanine Áñez.

Camacho a été formé par l’Union des jeunes de Santa Cruz (UJC), un groupe paramilitaire fasciste impliqué dans plusieurs tentatives d’assassinats contre Morales. L’UJC est « l’équivalent de la Falange en Espagne, du RSS suprémaciste hindou en Inde, ou encore du Batallion Azov néo-nazi ukrainien », écrivent les journalistes Max Blumenthal et Ben Northon sur le site d’information Grayzone. Leur symbole est une croix verte, similaire aux logos des mouvements fascistes occidentaux, et leurs membres sont connus pour faire le salut nazi « Sieg Heil ».

Dans un article publié également sur Grayzone le 29 août, au moment où les projecteurs étaient braqués sur la Bolivie et le Brésil pour les incendies en Amazonie, Wyatt Reed mettait en lumière le rôle du CANVAS – le Centre pour l’action et les stratégies non-violentes appliquées. Le CANVAS, qui est financé par le NED, a recruté et entraîné plusieurs agents de « changement de régime » comme Juan Guaido (le président auto-proclamé du Venezuela), son mentor Leopoldo Lopez, ainsi que la fanatique bolivienne anti-Morales Jhanisse Vaca Daza, qui s’est servie de son image d’activiste climatique pour nourrir l’hystérie anti-Morales depuis l’extérieur du pays – c’est ainsi que les activistes d’Extinction Rebellion ont organisé des manifestations devant les ambassades boliviennes en Europe pour dénoncer les incendies en Amazonie (!!!).

Reed evoque également le rôle de la Human Rights Foundation (HRF), dirigée par l’oligarque vénézuélien Thor Halvorssen, qui organise la formation et l’entraînement des jeunes activistes en vue des opérations de changement de régime. Il cite notamment la correspondante de la BBC Laura Kuenssberg, qui en 2014 avait assisté à une cession d’entraînement du HRF au Forum de la liberté à Oslo. Dans ce qu’elle décrivait comme « une école de la révolution », des leaders du Congrès mondial Ouïghour, ou des activistes de Hong-Kong, financés par les États-Unis, apprenaient « comment faire tomber des gouvernements pour de bon ». Le fondateur de l’antenne bolivienne du HRF, Hugo Acha Melgar, a été impliqué dans un complot visant à assassiner Morales.

Morales, une épine dans le pied de l’oligarchie financière

« Ce que les mondialistes anglo-américains n’ont pas pardonné à Evo Morales, c’est d’avoir voulu doter la Bolivie des fondements de son indépendance (droit du travail, justice sociale, nucléaire civil...) », a écrit Jacques Cheminade le 15 novembre, sur son compte Twitter.

En effet, depuis son arrivée au pouvoir en 2006, Morales a représenté une véritable épine dans le pied du système néolibéral. Car sa politique dirigiste a ouvert dans le pays une ère de prospérité économique, avec une croissance positive sans discontinuité, une baisse du chômage et une forte diminution de la pauvreté, qui est passée de 60 % à 35 % en 14 ans.

Dès 2006, il engage la nationalisation des hydrocarbures – terrible blasphème vis-à-vis du dieu libre-échange. Mais son pire crime est sans doute d’avoir promu la recherche scientifique et les technologies de pointe, dans l’esprit des BRICS, afin de développer une « économie de la connaissance » , pour reprendre ses propres mots. En 2014, la décision fut prise de lancer un programme pour l’énergie nucléaire civile, afin de « comprendre et utiliser ce feu du XXIe siècle : l’énergie atomique », comme l’avait déclaré le vice-président Alvaro Linera, qui avait alors souligné l’importance pour les Boliviens de se libérer des « chaînes mentales et coloniales ».

Enfin, cerise sur le gâteau, contrairement au Chili et à l’Argentine, Morales refusait aux capitaux étrangers le droit d’exploiter « l’or blanc » – le lithium –, composant essentiel des batteries électroniques et électriques, et dont la Bolivie détient la plus grande réserve mondiale. « Pas question de se laisser encore spolier », avait-il déclaré. Dans un article publié le 10 juin dernier, Paris Match notait que si les offres du français Bolloré et du japonais Mitsubishi ont été rejetées, le gouvernement a tout de même fini par signer des accords de coopération en décembre 2018 avec une société allemande, puis en janvier 2019 avec une société chinoise. Il ne s’agissait plus d’exporter le lithium en tant que matière première, mais de produire de batteries sur place, « 100 % Made in Bolivia ». Un affront insupportable pour l’empire anglo-américain !

Il est temps pour tous les patriotes et citoyens du monde de s’associer pour dénoncer ce coup d’État et mettre fin à cette machine infernale des changements de régime, qui n’est autre que l’arsenal d’un empire en faillite.

Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...