Les Chinois vous espionnent avec Huawei ? Et que font les autres ?

vendredi 24 mai 2019

Chronique stratégique du 24 mai 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis sont au point mort, en particulier suite aux nouvelles mesures punitives contre le géant des communications Huawei. Les Chinois, qui y voient à raison un cas typique de celui qui désigne la paille dans l’œil du voisin et ne veut pas voir la poutre dans son propre œil, n’hésitent pas à faire part de leur indignation, et en même temps de leurs inquiétudes quant au danger d’effondrement de l’ordre économique mondial.

Les élites chinoises sont parfaitement conscientes du fait que les États-Unis – et le monde transatlantique en général – souffrent d’une paranoïa aiguë face à l’émergence de la Chine. Ceux qui poussent le président Trump à adopter une ligne dure dans les négociations cherchent à étrangler le développement des entreprises technologiques chinoises et à bloquer les progrès scientifiques et technologiques de la Chine.

Perdant-perdant

« Ces mesures égoïstes déshonorent la crédibilité de Washington en tant que grand pays responsable, et elles altèrent considérablement les fondements de la coopération internationale », écrit Xinhua, l’agence de presse officielle, le 20 mai. « L’ordre mondial dominé par les États-Unis pourrait s’effondrer en même temps que la crédibilité de Washington. (…) Cette dangereuse perspective n’est dans l’intérêt de personne ».

De son côté, l’éditorial du Global Times, quotidien proche de la direction chinoise, affirme que les grands perdants des sanctions contre Huawei seront davantage les États-Unis et les entreprises américaines que la Chine. Il y aura « un soutien de la société chinoise à Huawei pour surmonter les difficultés », alors que « la rupture du dialogue a ruiné la réputation commerciale des entreprises américaines. (…) L’arrêt de l’approvisionnement de Huawei signifie que le marché chinois va irrémédiablement échapper aux États-Unis. La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis a causé des pertes des deux côtés ».

Dans un second article du Global Times, Hu Weijia met en garde contre l’escalade de la guerre financière et économique entre les États-Unis et la Chine. « La Chine devrait être prête à faire face au pire des scénarios », c’est-à-dire que les États-Unis en viennent à « utiliser des moyens financiers pour régler leurs différends avec notre pays, tout comme ils l’ont fait avec l’Iran ». De telles sanctions financières « porteraient un coup dur au secteur de la haute technologie en Chine. (…) Des plans de secours sont nécessaires pour assurer non seulement la continuité de l’approvisionnement en composants essentiels aux produits Huawei, mais aussi la sécurité financière stratégique des entreprises chinoises ».

En Chine, de nombreuses voix ont suggéré que le gouvernement limite ses exportations de terres rares vers les États-Unis afin de contrecarrer la décision américaine d’imposer une hausse des droits de douane sur les produits chinois et de réduire l’offre de semi-conducteurs pour les entreprises chinoises. La visite du Président Xi Jinping dans une usine de traitement de terres rares, produit incontournable pour la fabrication des smartphones, et dont la Chine possède plus de 80 % des réserves mondiales, est donc toute un symbole.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Dans un entretien le 22 mai sur Fox News, l’ambassadeur de Chine aux États-Unis, Cui Tiankai, a regretté que les accusations portées contre la Chine et Huawei — prétendant que l’entreprise serait financée par l’Agence de sécurité nationale chinoise, l’Armée populaire de libération et les services de renseignement — soient « politiquement motivés ».

Pour l’ambassadeur, ces attaques sont inquiétantes, car elles pourraient « interférer avec le fonctionnement normal du marché (…) et perturber les flux normaux du commerce et des investissements ». En réponse aux multiples avertissements de Christopher Wray, le directeur du FBI, désignant la Chine comme la plus grande menace à laquelle les États-Unis aient jamais été confrontés, Cui a lancé : « Comment peut-on avoir la mémoire si courte ? Ils ne se souviennent pas des révélations de l’ancien analyste de la NSA Edward Snowden ? » Le problème, « c’est qu’ils ne montrent jamais aucune preuve », a-t-il ajouté.

En février dernier, Guo Ping, le vice-président du conseil d’administration et président tournant de Huawei, avait également joué sur cette corde sensible. Lors de son discours d’ouverture pour la Conférence mondiale sur les communications mobiles à Barcelone, il avait ironisé : « PRISM, PRISM, sur le mur, dis-moi qui est le plus digne de confiance ? Si tu ne comprends pas, tu peux aller demander à Edward Snowden ».

Par le terme « PRISM », Guo Ping faisait référence à un programme du Patriot Act permettant à la NSA de recueillir des données auprès d’entreprises Internet aux États-Unis (et probablement au-delà, au travers de leurs relations avec le GCHQ et autres), dont Google, Microsoft, Apple, etc. William Binney, l’ancien directeur technique de la NSA, qui a conçu de nombreux programmes destinés à être utilisés pour trouver des terroristes, a dénoncé l’utilisation qui a été faite de ce système pour la surveillance de masse de pratiquement le monde entier.

Dans un article publié sur le site Web de Huawei, Guo Ping écrit :

Les fuites de Snowden ont mis en lumière la façon dont les dirigeants de la NSA cherchaient à tout collecter — chaque communication électronique envoyée, ou chaque appel téléphonique, de partout dans le monde et à chaque instant. Ces documents ont également montré que la NSA entretient des ’partenariats commerciaux’ avec certaines entreprises américaines de technologie et de télécommunications qui permettent à l’agence d’avoir accès à des câbles de fibre optique, des commutateurs et/ou des routeurs à travers le monde.

Huawei opère dans plus de 170 pays et réalise la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger, mais son siège se trouve en Chine, poursuit Guo Ping, ce qui réduit considérablement les possibilités d’un ’partenariat commercial’. Si la NSA veut modifier des routeurs ou des commutateurs afin d’écouter, il est peu probable qu’une société chinoise coopère. C’est l’une des raisons pour lesquelles la NSA a piraté les serveurs de Huawei. Comme le stipule un document de 2010 de la NSA, ’beaucoup de nos cibles communiquent sur les produits fabriqués par Huawei. Nous voulons être sûrs de savoir comment exploiter ces produits’.

De toute évidence, plus le nombre d’appareils Huawei connectés aux réseaux de télécommunications du monde augmente, plus il devient difficile pour la NSA de collecter tout cela. Autrement dit, Huawei entrave les efforts des États-Unis pour espionner qui ils veulent. Voilà la raison principale de la campagne actuellement menée contre nous.

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