La Chine s’érige en alternative au choc des civilisations

mercredi 15 mai 2019

Chronique stratégique du 15 mai 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

En réponse aux mesures « protectionnistes » prises par l’administration Trump contre la Chine, cette dernière a annoncé le 13 mai la mise en place de tarifs douaniers sur environ 60 milliards de dollars de biens d’importation américains à partir du 1er juin. Échelonnés de 10 % à 25 %, ils visent 5 140 produits, a averti lundi le ministère des Finances chinois.

De son côté, le bureau du représentant du Commerce américain a donné les détails des taxes annoncées le 10 mai par Trump, au moment même où les négociateurs chinois étaient à Washington, portant sur 200 milliards d’importations chinoises. Le lendemain, le président américain, après avoir accusé à tort les Chinois d’avoir « renié » leurs engagements, a demandé à son administration de préparer une augmentation des taxes sur les 325 milliards de dollars d’importations chinoises restantes.

Donald Trump semble croire que lorsque les États-Unis importent des produits chinois, la Chine vole son pays. Cela n’a évidemment aucun sens. On ne perd pas, ou on ne se fait pas voler de l’argent, quand on va faire ses courses.

Persuadé d’être en position de force vis-à-vis des Chinois, Trump affirme que les coûts seront acquittés par la Chine, bien que les consommateurs américains devront en supporter le poids. « Les taxes apporteront à notre pays BIEN PLUS de richesses qu’un accord traditionnel, même phénoménal », a-t-il écrit vendredi dernier sur son compte Twitter.

Alors que les négociateurs chinois avaient claqué la porte après seulement deux heures de « discussions », Larry Kudlow, le principal conseiller commercial de Trump, a prétendu sur Fox News qu’il ne s’agissait pas d’une « guerre commerciale » mais d’un « processus de négociations » en vue d’un accord acceptable pour les deux parties. Au présentateur qui lui montrait les chiffres de 767 dollars que devront payer chaque année les ménages américains du fait des taxes sur les produits chinois que répercuteront en grande partie les entreprises américaines qui les importent, Kudlow a répondu que « l’économie [américaine] est actuellement en plein boom de croissance, d’emplois, de salaire et de productivité ».

Le principal danger de la situation actuelle vient en effet d’une élite qui raisonne à partir de l’illusion mortelle d’une reprise économique sur le papier et de ses croyances envers la toute puissance du marché, et qui ne voit pas que dans son ensemble l’économie physique américaine est en pleine désintégration (lire notre chronique du 10 mai, États-Unis : vers un accord bi-partisan sur les infrastructures ?)

Les élites américaines en surchauffe

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, néocon zélé de l’administration Trump, a livré la semaine dernière un discours devant l’Arctic Forum, rompant ainsi le protocole et appelant l’Institut à devenir une force d’affrontement géopolitique, alors que celui-ci a historiquement fonctionné comme un forum diplomatique pour la coopération dans des domaines de développement économique mutuels.

Le discours ultra-belliqueux de Pompeo envers la Chine et la Russie a même forcé la présidente de l’Institut, Dr Victoria Herrmann, à publier un communiqué remettant à leur place des États-Unis dont la présence et l’investissement dans la région arctique sont quasi nulles.

Notons que la logique de confrontation anti-chinoise vient autant des milieux « libéraux » que des milieux « nationalistes ». L’ancien conseiller de Trump, Steve Bannon, la mascotte de l’extrême droite au niveau international et animateur d’un puissant lobby anti-chinois, a publié le 6 mai une tribune incendiaire dans le Washington Post où il invitait le président américain à refuser un quelconque accord avec Beijing. « L’objectif aujourd’hui des cadres radicaux qui dirigent la Chine est de devenir le pouvoir hégémonique mondial », écrit-il. Faire un accord ne peut être qu’une trêve, car « nous sommes en guerre » contre la Chine. Pour combattre cette dernière, Bannon suggère à Trump de s’allier à la Russie qui, prétend-il, commence à s’inquiéter du rôle que commence à jouer la Chine au niveau mondial.

Le même jour, comme le rapporte Le Monde du 11 mai, la directrice de la planification politique du département d’État, Kiron Skinner, fraîchement nommée par Pompeo, s’est payée d’un discours dont Samuel Huntington, le chantre du « choc des civilisations », n’aurait pas rougi : « C’est un combat avec une civilisation vraiment différente et une idéologie différente auxquelles les États-Unis n’ont pas encore été confrontés. (…) C’est la première fois que nous allons avoir un rival majeur qui n’est pas caucasien [autrement dit blanc] », a ajouté la responsable (noire) américaine. Par ailleurs, tout comme Steve Bannon, Kiron Skinner appelle à une alliance des États-Unis avec la Russie contre la Chine.

Déjouer le choc des civilisations

De leur côté, les Chinois continuent à chercher une résolution au conflit. Au cours du week-end, le vice-Premier ministre Liu He, qui est en charge des pourparlers avec les États-Unis mais qui s’est vu retirer son titre « d’envoyé spécial du Président Xi », a déclaré très diplomatiquement, sans pour autant donner la moindre date pour les prochaines rencontres : « les négociations ne sont pas rompues. Au contraire. Je pense que les petits reculs sont normaux et inévitables dans les négociations entre nos deux pays. Nous restons confiants sur l’avenir ».

Toutefois, c’est indirectement et par le haut que la Chine tente de court-circuiter la logique de « choc des civilisations », la fameuse thèse éthnico-géopolitique de Bernard Lewis, popularisée par le néocon Samuel Huntington, qui hélas a fini par infecter une grande partie des élites occidentales.

Les 15 et 16 mai se tiendra à Beijing la conférence sur le développement des civilisations asiatiques, qui réunira 47 pays de la région, ainsi que des invités internationaux. Cette initiative est le fruit de l’engagement personnel du président Xi Jinping en faveur du dialogue entre les civilisations, comme le rappelle l’agence de presse chinoise Xinhua, qui ajoute que cet engagement, pris par Xi il y a 40 ans, lui a été inspiré entre autres par ses lectures du Faust de Goethe et du théâtre de Shakespeare.

Pour Xi Laiwang, le rapporteur principal et observateur sur les questions internationales, la conférence sur le dialogue des civilisations asiatiques représente « une tentative de la Chine de promouvoir l’entente entre les pays issus de différentes civilisations, le développement inclusif, et de répondre à la théorie du choc des civilisations par la philosophie de la construction d’une communauté avec un avenir partagé pour l’humanité », écrit-il dans le Global Times du 9 mai.

Il existe des différences entre la Chine et les États-Unis — les deux puissances les plus influentes du monde — en termes de civilisation. Certains aux États-Unis ont même des préjugés à l’égard de la culture chinoise et sont en désaccord avec son mode de développement et son système de valeurs. La Chine a toujours prôné l’enseignement mutuel entre les civilisations (…). Le dialogue entre les civilisations chinoise et américaine, part essentielle du dialogue des civilisations mondiales, est fondamentale pour construire une communauté humaine partageant un avenir commun.

Étonnamment, de récentes publications du Washington Examiner et de Voice of America indiquent que le département d’État américain élabore des stratégies visant à répondre au ‘choc’ avec la civilisation chinoise. Le choc des civilisations est une théorie proposée en 1993 par Samuel Huntington, un éminent politologue américain qui enseigne à l’Université Harvard. (....) La théorie du choc des civilisations visant la Chine semble gagner du terrain au sein des milieux anti-chinois aux États-Unis.

(…) Cependant, de telles tentatives de la part des forces adverses américaines finiront par s’effondrer. Leur argument du Choc des civilisations, contradictoire avec les valeurs américaines fondées sur le pluralisme et l’inclusivité, a déjà suscité un vif débat aux États-Unis. (…) Un dialogue de civilisations est nécessaire plutôt qu’une guerre froide.

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