Hanoi : les leçons du sommet Kim-Trump

mardi 5 mars 2019

On ne peut certainement pas résumer le second sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un, qui s’est tenu dans la capitale vietnamienne les 27 et 28 février, par des constats simplistes, comme sont coutumiers du fait la plupart des grands médias occidentaux ; Telle une nuée de vautours se jetant sur une proie facile, ceux-ci se sont en effet précipités pour décréter l’échec du sommet et accabler le président américain.

Car la question des relations internationales est complexe par nature, d’autant plus dans le cas de la Corée du Nord, qui hérite d’une guerre restée en suspens depuis plus de 70 ans, et qui implique les États-Unis, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et le Japon, dans le contexte actuel de fortes tensions géopolitiques.

Quand les faucons tournent autour...

Les observateurs scrupuleux du sommet de Hanoï se sont étonnés de la présence aux côtés de Donald Trump de Mike Pompeo, le secrétaire du département d’État, et surtout de John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale – présence non prévue au programme et qui, semble-t-il, a été décidée à la dernière minute.

On sait que Bolton (parfois surnommé John « bomb-’em » Bolton), un faucon de la pire espèce passé maître dans l’art de saboter des accords internationaux, exerce activement une influence néfaste dans les négociations avec la Corée du Nord, et ce depuis son arrivée dans l’administration américaine, en mars 2018 – ce que les responsables nord-coréens n’ont pas manqué de dénoncer publiquement. Avant d’être appelé aux responsabilités par Trump, Bolton avait ouvertement plaidé la « légalité » de frappes préventives américaines contre la Corée du Nord ; de plus, il ne cache pas que son modèle, en matière de désarmement nucléaire, c’est la Libye…

A Hanoï, Stephen Biegun, l’envoyé spécial américain en République populaire démocratique de Corée (RDPC), qui effectue un travail considérable depuis le sommet de Singapour de juin 2018, s’est littéralement retrouvé relégué au second plan : « Quand nous avons vu John Bolton assis à table et Stephen Biegun assis derrière, alors qu’il avait fait tout ce travail de préparation, nous avons eu l’impression que quelque chose de louche se passait ici », dit Christine Ahn, fondatrice et coordinatrice internationale du groupe militant Women Cross DMZ, citée par Newsweek.

De plus, les auditions explosives au Sénat américain de l’ancien avocat de Trump, Daniel Cohen, n’ont certainement pas facilité les choses. Le président américain, visiblement irrité, a lui-même admis que le fait qu’elles surviennent « au milieu de cet important sommet est vraiment terrible ».

Il n’est donc pas étonnant qu’aux dépens d’un Président américain affaibli, la ligne dure américaine l’ait emportée. Ainsi, tandis que Kim proposait de démanteler la plus importante installation nucléaire militaire du pays, qui se situe à Yongbyon, en échange de la levée des sanctions de l’ONU affectant les citoyens ordinaires, Bolton a exigé qu’il y rajoute les sites de production des armes biologiques, ce qui a amené Kim à réclamer la levée de toutes les sanctions, chose inacceptable pour la partie américaine qui s’accroche à l’idée que c’est elle qui fixe l’ordre du jour.

Trump s’est retrouvé du coup pris au piège de Bolton, contraint de pratiquer la mauvaise foi en affirmant que les Nord-coréens demandaient dès le début la levée de l’intégralité des sanctions américaines. Ce qui fut rapidement contredit par le ministre nord-coréen des Affaires étrangères, Ri Yong-ho, qui a affirmé lors de sa conférence de presse que la Corée du Nord demande non pas la suppression totale, mais seulement l’allègement de cinq des sanctions des Nations unies. Comme le fait remarquer à Newsweek Catherine Killough, une spécialiste de la Corée du Nord au Ploughshares Fund, on serait plus enclin à croire la version nord-coréenne, car il paraît difficile de croire que Kim ferait l’effort de parcourir plus de 3000 kilomètres en train sans proposition réaliste.

Le rôle primordial de la Chine

Les pays directement concernés par le problème coréen ont tempéré le pessimisme zélé des médias occidentaux. Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, a déclaré par exemple : « À chaque avancée, il est nécessaire de montrer une certaine flexibilité, de faire des concessions et d’accorder des progrès, même modestes. Il est impossible de résoudre d’un coup un problème aussi difficile ».

En Corée du Sud, après que le président Moon Jae-in et Trump se sont entretenus au téléphone, le porte-parole de Moon, Cheong Wa Dae, a rapporté que « malgré la déception du fait qu’aucun accord n’ait abouti, le président Trump a réaffirmé sa détermination à résoudre cette question par le dialogue, (…) et demandé au président Moon de jouer activement le rôle de médiateur ». De son côté, tout en soutenant la décision de Trump d’abréger le sommet sans conclure d’accord, le Premier ministre japonais Shinzo Abe s’est déterminé à rencontrer prochainement le président Kim.

En Chine, le Global Times, journal proche du pouvoir, estime que « tout n’est pas perdu suite au second sommet Kim-Trump » et souligne que le sommet était « mal préparé ». Le gouvernement chinois rappelle que cela ne pouvait pas être résolu en un ou deux sommets, et réaffirme sa volonté de jouer un rôle constructif. Peu après le sommet de Hanoï, le vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères, Ri Kil Song, a rencontré le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à Beijing.

La surmédiatisation du bras de fer entre Donald Trump et Kim Jong-un depuis deux ans a largement fait passer à la trappe la dimension régionale du problème, et surtout le rôle le Chine. Car c’est bien elle qui a contribué à ramener Kim à la table des négociations, non pas Trump.

Les échanges avec la Chine représentent en effet 57 % des importations et 42 % des exportations de la Corée du Nord. À l’automne 2017, lorsque le leader nord-coréen a lancé des essais nucléaires provocateurs, le gouvernement de Beijing, peu enthousiaste à l’idée de voir des petits États bouleverser l’équilibre régional des pouvoirs en se dotant de l’arme nucléaire, a ordonné la mise en œuvre d’une série de sanctions sur les importations et exportations nord-coréennes. Il a ainsi stoppé les exportations de charbon, fermé les entreprises de la RPDC opérant en Chine, coupé l’accès aux banques étrangères et donc à l’investissement étranger, et cessé de lui apporter son soutien financier. La coopération de Kim ne peut donc être comprise qu’à l’aune de ce rôle de bouée de sauvetage que la Chine représente pour son pays.

Levée des sanctions et nouveau paradigme

Cependant, la Russie et la Chine soutiennent de plus en plus les efforts du leader nord-coréen et font pression pour que la question des sanctions soit réexaminée aux Nations unies.

Dans un récent entretien, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, faisait remarquer que le Conseil de sécurité pourrait au moins assouplir voire lever les sanctions, en particulier celles qui entravent la mise en œuvre de projets conjoints sud-coréens et nord-coréens : « Lors de leur récente réunion, le président sud-coréen, Moon Jae-in, et le président du Conseil d’État de la RPDC, Kim Jong-un, ont convenu de rétablir les liaisons ferroviaires entre les deux pays. Pourquoi le Conseil de sécurité ne pourrait-il pas envisager un moyen de modifier le régime de sanctions de manière à favoriser la réunification des deux Corées par les chemins de fer ? » a demandé Lavrov.

C’est bien là le défi. John Bolton ne constitue que la partie visible de l’ensemble du vieux paradigme géopolitique, qui est aujourd’hui entièrement arque-bouté pour faire échouer l’accord de dénucléarisation de la Corée du Nord. La question de la réunification de la Corée, et de son intégration dans une politique de développement économique régionale et internationale, représente en effet une pierre de touche – tout comme le Venezuela, Cuba, l’Iran, ou encore le Cachemire – pour réussir à faire basculer le monde dans un nouveau paradigme de coopération et de paix par le développement. Ce qui n’échappe sans doute pas aux néocons, ainsi qu’à leurs acolytes de Wall Street et de la City de Londres…