L’urgence d’un véritable aménagement du territoire

mercredi 23 janvier 2019, par Karel Vereycken

Transport de type aérotrain : projet de boucle de désenclavement de la France de l’intérieur.
S&P.

Le diagnostic de Christophe Guilluy d’une « France coupée en deux » n’est pas nouveau. D’un côté, la France des grandes métropoles, riche, active, mondialisée. De l’autre, celle des campagnes et des villes moyennes, « abandonnée », fragile, en déshérence. Le mouvement des Gilets jaunes est avant tout le symbole de cette fracture territoriale devenue insupportable.

Un gilet jaune raconte :

Dans mon village de 200 personnes, il n’y a pas de magasins (…) Les magasins ont disparu parce qu’au cours des 30 dernières années, tout a été concentré dans les villes et les centres commerciaux. Les gens qui géraient des petits magasins dans les villages ont dû se déplacer vers les centres commerciaux. Et pour y aller, il faut une voiture.

L’abandon d’une vraie politique de crédit public (1983), la suppression du Commissariat général au Plan (2006) et la « folklorisation », en 2014, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), créée par De Gaulle en 1963, a livré l’aménagement de nos territoires à la volonté des « marchés ».

A partir de 1972, ces derniers imposent à la France leur choix d’une société « postindustrielle », qui ne vivra plus d’agriculture ni d’industrie, mais de finance, de tourisme et d’exportation de produits de luxe. Pour ceux « d’en haut », on garde les bons produits, mais pour ceux « d’en bas », dont les salaires et retraites sont gelés, on organise une société de consommation de produits bas de gamme, souvent fabriqués à l’étranger, qui leur restent accessibles.

La France s’est fait hara-kiri en se soumettant à une mondialisation financière ultralibérale, pour qui les mots de « croissance », « développement » et « rentabilité » ne signifient plus l’émancipation d’un peuple et la mise en valeur harmonieuse des potentialités d’un territoire national, régional ou urbain, mais l’extorsion d’un gain financier à court terme au profit d’une poignée d’actionnaires hors-sol, se servant d’une caste de hauts-fonctionnaires installée aux commandes de l’Etat français et de l’UE.

Pour cette oligarchie financière, l’ennemi à combattre, c’est tout ce qui s’oppose à leur gloutonnerie financière, en particulier toute idée d’aménagement du territoire, c’est-à-dire la vision de développer un territoire donné, dans le temps, permettant à un « Etat stratège » de préserver l’intérêt de la nation à longue terme.

Hypermarchés

Quelques-unes de marques et services qu’on trouve dans la galerie de l’hypermarché de Provins.

Toutes enseignes confondues, avec une hausse de 60 % depuis 2006, l’Hexagone compte environ 2500 hypermarchés. Leur secret est simple : « No Parking, No Sales » (sans parking gratuit, pas de ventes). Au lieu de les obliger à s’insérer au cœur des villes (y compris en y créant des parkings gratuits), tout en respectant les conditions urbanistiques, on les a orientés vers les zones périurbaines.

A la place des églises, les hypermarchés, temples de la religion consumériste, deviennent alors le centre, désormais privatisé, de villes fantômes.

Prenez la commune de Provins (Seine-et-Marne), où trois villes coexistent :

  • la cité médiévale, essentiellement prisée des touristes,
  • le centre-ville du XIXe siècle, quasi-désertique, et
  • une vaste zone d’activités avec son hypermarché à une certaine distance du cœur de la ville ancienne.

Aussi bien les services à la personne (banques, agences de voyage, coiffeurs, cordonniers, etc.) que les services quasi-publics (poste, pharmacie, etc.) ont déserté la ville pour s’installer dans les galeries du centre commercial et son parking géant où certains jours on peut acheter du tissu au mètre courent...

Et pour faire tourner le système : la voiture pour tous !

Mort de l’aérotrain
= mort de l’aménagement du territoire

A cela s’ajoute qu’au lieu de désenclaver les régions et les campagnes, le réseau à grande vitesse, conçu pour récupérer la clientèle du secteur aérien en ne reliant que les grandes agglomérations, a favorisé la concentration des activités en Ile-de-France (où travaille désormais un Français sur quatre) !

Il n’est plus rare que Vendômois et Tourangeaux se rendent quotidiennement à Paris pour leur travail.

Ainsi, l’annulation en 1974 du contrat signé entre l’Etat et la Société de l’aérotrain pour construire une ligne permettant de relier en 10 minutes le quartier d’affaires de La Défense avec la nouvelle ville de Cergy-Pontoise, qui devait accueillir le siège de l’Agence spatiale européenne, symbolisa la mort de toute politique sérieuse d’aménagement du territoire.

Contrairement au TGV, l’aérotrain, par ses principes techniques (son poids plume permettant une vitesse moyenne plus élevée que le TGV sur les distances courtes et moyennes), avait vocation à relier entre elles des villes petites et moyennes.

En 1965, parlant de son invention, l’aérotrain, Jean Bertin, bien conscient que la vitesse du transport modifiait le rayon d’action de chaque citoyen sur le territoire, confiait à Paris Match :

Il va de soi que, lorsque nous citons une ville, nous entendons départ et arrivée au cœur de celle-ci. Nous n’entendons pas concurrencer les lignes aériennes mais, bien au contraire, les compléter.

Au lieu de perdre une heure pour aller à Orly et souvent plus pour aller au Bourget, le voyageur y serait rendu dans le quart du temps.

De toute façon, il s’agirait d’un véritable desserrement des zones urbaines. Les travailleurs pouvant, en un temps donné, parcourir deux à cinq fois plus de trajet qu’avec les moyens conventionnels, il s’ensuivrait qu’ils pourraient utiliser des aires de résidence quatre à vingt-cinq fois plus étendues.

Notre carte ci-dessous, élaborée bien avant l’apparition du mouvement des Gilets jaunes, indique plusieurs pistes possibles pour des liaisons rapides de type aérotrain, permettant de désenclaver la France de l’intérieur en « irriguant » nos territoires, grâce à l’implantation des activités et du développement dont ils ont besoin.

Solutions ?

La carte de S&P, élaborée bien avant l’apparition du mouvement des Gilets jaunes, indique plusieurs pistes possibles pour des liaisons rapides de type aérotrain, permettant de désenclaver la France de l’intérieur en « irriguant » nos territoires, grâce à l’implantation des activités et du développement dont ils ont besoin.
S&P