Gilets jaunes : cet espoir des peuples qui provoque la grande trouille des bien-pensants

jeudi 10 janvier 2019

Le mouvement des Gilets jaunes a brusquement fait jaillir dans notre pays la réalité qui s’était déjà manifestée par les urnes en avril-mai 2017, mais qui avait été temporairement dissimulée sous le cache-sexe rudimentaire du « nouveau monde » de la Macronie.

L’affaire Benalla et le soulèvement populaire de ces dernières semaines ont laissé apparaître le fossé béant séparant la classe dominante, un « monde d’en haut » visiblement en pleine panique, et « ceux d’en bas », c’est-à-dire le reste de la population, qui se lève désormais pour réclamer ses droits et sa dignité.

Les masques tombent

Dans ce contexte de l’effondrement des illusions sur le maintien de l’ « ordre des gens de biens », comme on disait à la fin du XIXe siècle, il est presque comique de voir certains éminents représentants de la pensée cartésienne bien ordonnée se mettre dans un état de pétage de plomb en bonne et due forme. On peut rappeler les cas de Bernard-Henri Levi, l’ancien VRP du désastre libyen, qui voit « la chemise brune » sous le gilet jaune ; du journaliste de Libération Jean Quatremer, qui décrit un mouvement « beauf largement d’extrême-droite » ; ou encore de l’inénarrable Jean-Michel Apathie d’Europe 1 qui frise le conspirationnisme en dénonçant « une véritable arme de destruction massive » derrière laquelle se trouve forcément « une organisation séditieuse cachée ».

Pour ceux là-haut, du gouvernement aux salles de rédaction, qui pensaient enfin avoir réussi à se débarrasser de ces affreux gueux en gilets jaunes, après avoir lâché 10,5 milliards puis annoncé le fameux grand débat défouloir, le nouveau souffle retrouvé par le mouvement au lendemain des fêtes de fin d’année est véritablement insupportable.

La livraison du Figaro du 8 janvier nous offre deux spécimens de bien-pensants en pleine surchauffe, avec le mérite de nous présenter les faces de droite et de gauche de la pièce. Dans son éditorial « Autorité bafouée », Vincent Trémolet de Villers, représentant les milieux catholiques conservateurs, déplore la propagation d’ « une violence mortifère et vénéneuse ». On l’imagine tremblant d’une peur mêlée de rage en écrivant les mots suivants : « Incontrôlable, insaisissable, ‘comme si nous vivions’, écrit (…) Hannah Arendt, ’et luttions avec un univers où n’importe quoi peut à tout moment se transformer en quasiment n’importe quoi’, l’interminable mouvement des ‘gilets jaunes’ n’a que trop duré ». La peur séculaire des possédants vis-à-vis du peuple, dans toute sa splendeur !

De son côté, l’éditorialiste du magazine Marianne Jacques Juilliard, sorte de dinosaure de la « social-démocratie », déballe soudainement toute une rancœur qu’il ne pouvait sans doute plus contenir davantage : « Ce grand mouvement social suit inexorablement une pente antisociale », écrit-il dans sa longue tribune, avant de filer tout droit vers le fameux point « Godwin » de la menace « rouge-brun » : « La ligne de pente fatale à la révolution ouvrière se nomme le stalinisme ; celle de l’insurrection petit-bourgeois, c’est le fascisme. (…) Oui, il y a dans ce mouvement quelque chose de ‘la France seule’ de Charles Maurras qui ne laisse pas de m’inquiéter ».

Là aussi, c’est la peur du peuple qu’on a cessé de fréquenter qui finit par se manifester : « Il n’y a rien de plus inconstant, de plus aléatoire que la démocratie directe. (…) Dans un pays où le taux d’abstention aux élections ne cesse de croître, notamment dans les milieux populaires, est-on certain que des référendums à répétition n’aboutiraient pas à la lassitude, et par conséquent à la tyrannie des minorités agissantes ? » Drôle tout de même de voir ce démocrate, grand défenseur du « modèle républicain », admettre ouvertement son aversion pour la consultation référendaire, puis tomber dans un éloge désespérée de la politique de Macron : « la crise des ‘gilets jaunes’ a cassé net ce qu’il y avait de plus prometteur dans la démarche d’Emmanuel Macron : la volonté, devant la dérobade, de prendre la tête d’une Europe indépendante ».

Dérive autoritaire

Mardi matin sur Radio Classique, Luc Ferry est également sorti de ses gonds, face aux violences contre les policiers, suggérant brutalement : « qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois ! (…) On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies ». Et si, face à la polémique, l’ancien ministre de l’Éducation a ensuite pris soin de tempérer ses propos, il est évident qu’il n’a fait que dire tout haut ce qui se dit tout bas parmi une bonne partie des élites. Le Canard Enchaîné rapporte d’ailleurs les paroles prononcées par le président français devant ses troupes au lendemain de l’acte VIII : « Le mouvement des gilets jaunes a trahi son origine : il n’est plus social. Il n’est plus politique non plus. Il est insurrectionnel, factieux. C’est pourquoi nous ne devons rien tolérer. (…) Le désordre ne peut plus durer. Il faut changer de braquet, durcir nos réactions sur le plan opérationnel, se doter, le plus vite possible, de dispositifs préventifs et répressifs plus performants ».

N’ayant pas réussi à gagner les cœurs des Français, qui continuent de soutenir les Gilets jaunes à 70 %, le gouvernement s’engouffre dans la seule voie qui lui soit possible d’envisager : jouer un jeu visant à enrager et radicaliser les plus fragiles des GJ, afin de justifier la répression et démoraliser des citoyens mobilisés qui jouent leurs vies et qui parfois, sans savoir ce qui s’est vraiment joué en Ukraine, évoquent le Maïdan.

Ces braves citoyens seraient alors encouragés à rentrer dans le rang, voire à présenter une ou plusieurs listes aux élections européennes, ce qui permettrait au passage de siphonner des voix à Le Pen, Dupont-Aignan et Mélenchon. C’est ainsi qu’Édouard Philippe, après avoir calmé les ardeurs d’un ministère de l’Intérieur demandant le rétablissement de l’état d’urgence, a immédiatement annoncé qu’un arsenal de mesures sécuritaires sera mis en place d’ici le mois de février, dont la création d’un fichier d’interdits de manifester, sur le modèle des interdits de stade réservés aux hooligans (!), ainsi que des mesures visant à punir les organisateurs de manifs non déclarées.

Derrière les bien-pensants tétanisés, les pouvoirs financiers

Comme l’écrit Laurent Joffrin dans Libération avec raison, sans pour autant se risquer à aller trop loin, les critiques des Gilets jaunes se concentrent sur « des élus pris comme boucs émissaires alors qu’on épargne la vraie classe dirigeante, celle qui domine l’économie ».

En effet, la seule arme qui nous permettra d’éviter le piège tendu par le gouvernement et ses acolytes, c’est d’élever le niveau de conscience et de revendication politique de ce mouvement (tout en restant hors du cadre des partis ou syndicats établis), en s’attaquant au point névralgique qui sollicite la grande trouille des bien-pensants : leur soumission depuis au moins quarante ans à un système financier où la création monétaire a été accaparée par les milieux d’affaire privés, orbitant autour de Wall Street et de la City de Londres, et détournée du travail humain, des services publics et de l’ensemble de l’économie réelle.

Solidarité & progrès, qui soutient le bien-fondé de la démarche des GJ depuis le début, est pleinement mobilisé pour faire circuler l’idée de rétablir une banque nationale capable d’émettre du « crédit productif public », comme on l’appelait pendant les Trente Glorieuses, qui nous permettrait de ne plus être dépendants des marchés financiers. Le samedi 5 janvier, l’une de nos militantes, qui portait avec d’autres gilets jaunes une banderole proclamant « Macron a peur d’un référendum sur la banque nationale », a été interviewée par Le Média à ce sujet : « La création monétaire doit être dans les mains des représentants du peuple. Si on ne peut pas investir, si on ne peut pas avoir ce levier de la création monétaire, on fait la manche sur les marchés. C’est ce que la France fait tous les jours, toutes les semaines ; et les taux d’intérêts cumulés depuis 30 ans, c’est 1400 milliards ! »

N’hésitez pas à nous rejoindre dans cet effort !