Les Gilets jaunes, une jacquerie ? Non, Sire, c’est une grève de masse !

mercredi 21 novembre 2018

Tel un essaim de lucioles illuminant la nuit noire, le peuple de l’ombre, oublié par des décennies de désindustrialisation sauvage et de mondialisation financière, se lève sur l’ensemble du territoire, revêtu de son gilet jaune. « C’est un cri de colère contre le mépris du travail humain », souligne Jacques Cheminade dans son éditorial « Servir le peuple, guérir la France ».

En dépit des montagnes de railleries et de dénigrements érigées par les bien (mal) pensants, qui font preuve d’une ingéniosité sans limite pour réduire ce mouvement à une jacquerie irrationnelle contre les taxes et les impôts, il s’agit de ce que Rosa Luxemburg appelait « un ferment de grève de masse ». Et ce ferment n’est bien entendu pas propre à la France, comme l’ont démontré les soulèvements spontanés de gilets jaunes en Belgique, en Bulgarie et même en Allemagne ; de plus, il s’inscrit dans la continuité des votes pour le Brexit en Grande-Bretagne, contre Hilary Clinton aux États-Unis, ou encore contre la tutelle de l’UE en Italie.

Depuis samedi, tandis que les médias font tourner en boucle le refrain de l’essoufflement du mouvement et du refus des syndicats d’y participer, sa base s’est élargie aux pêcheurs et aux routiers, suite à l’appel de FO Transports. Et si la jonction n’est pas formellement faite, le soulèvement coïncide avec la mobilisation des infirmières, ainsi qu’avec la colère exprimée par les maires à l’occasion du Congrès annuel qui se tient actuellement Porte de Versailles, face à un Macron qui, après avoir joué son mea culpa sur son échec à avoir réconcilié le peuple et ses dirigeants, refuse de venir à la rencontre des élus, et se contente d’en inviter un millier trié sur le volet à venir le rencontrer à l’Élysée, autour de petits fours. L’une d’entre eux ne s’est cependant pas gênée pour dire que ce n’est pas en leur remplissant la bouche aux frais du contribuable qu’on les empêchera de parler...

Retour de la France libre

Dans son intervention sur France 2 dimanche soir, le Premier ministre Édouard Philippe n’a pas dérogé à la règle en susurrant avec malice que le droit de manifester est bien entendu garanti en France, mais pas celui de l’anarchie. Deux jours plus tard, c’était au tour du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, qui dénonçait la « dérive totale » et la « radicalisation » des gilets jaunes, regrettant hypocritement la perte de l’esprit bon enfant des premiers jours du mouvement.

Ce thème et ces éléments de langage, ainsi que la condescendance qui les accompagne, sont repris en cœur par une presse et des grands médias le doigt sur la couture du pantalon : « Agression homophobe, insultes racistes, menace… le mouvement des ‘gilets jaunes’ a (aussi) dérapé », titre Franceinfo ; « ‘Gilets jaunes’ : indignation après des agressions homophobes, islamophobes et racistes », serine Libération. Les nuages d’encre projetés ainsi grossièrement sur de tels cas particuliers cachent mal la peur bleue d’une caste réactionnaire qui sent le vent du boulet se rapprocher d’elle. Mais quelle meilleure formation politique, pour ces dizaines de milliers de néophytes qui n’ont jamais mis les pieds dans des manifestations, syndicats ou partis politiques, qu’un déploiement aussi caricatural de mensonge et de mauvaise foi ?

Toutefois, réduire le problème à un conflit insoluble entre nantis et exploités serait trop facile, et nous condamnerait surtout à l’impuissance et au chaos. Il y a urgence à provoquer une remise en cause au sein de cette « France d’en haut », qui vit recluse dans ces citadelles du XXIe siècle qu’on appelle métropoles. La question se pose en particulier pour la jeunesse bourgeoise et/ou arriviste, qui s’est laissé écolo-boboïser au fur et à mesure qu’elle évoluait dans ce milieu.

Pour exemple, les jeunes « youtubeurs » qui viennent de lancer, à rebours du mouvement des Gilets jaunes, une campagne écologique baptisée « On est prêts », visant à encourager les millions de jeunes qui les suivent à préserver l’environnement par des petits gestes quotidiens, comme couper le chauffage l’hiver et mettre des pulls. Cette initiative, largement adoubée par des poids lourds du gouvernement et par des personnalités en vue de LREM, n’est pas sans rappeler les campagnes de réclames sous l’occupation, baptisée les « Jours sans », qui encourageaient les Français – dans la bonne humeur – à se fabriquer des galoches à semelles de bois ou en caoutchouc récupéré sur de vieux pneus, les conditionnant ainsi à une logique de rationnement.

Fierté et responsabilité

À travers le mouvement des Gilets jaunes, ce sont des milliers de citoyens qui ressentent, parfois pour la première fois, la fierté de se voir comme un peuple se levant pour réclamer ses droits et sa dignité. Ce sentiment leur donne la force de faire ce qu’ils n’auraient jamais imaginé pouvoir faire un jour, à l’image de Raphaël, ce jeune ajusteur-monteur en aéronautique de Roanne, qui s’est exprimé devant 2500 personnes pour la première fois, le cœur battant à tout rompre, après s’être battu pendant des jours, dormant trois à quatre heures par nuit, pour assurer que la mobilisation du 17 novembre se déroule bien, déposant les plans des barrages filtrant aux forces de l’ordre, enchaînant les réunions et tractant dans toute l’agglomération.

La « grève de masse » est, par principe, un phénomène qui prend au dépourvu tous les gouvernements, partis politiques et syndicats établis, et d’une certaine manière ceux qui y prennent part eux-mêmes. Cela peut-être la meilleure ou la pire des choses. Sans perspective d’avenir, cela peut devenir terriblement destructeur. Mais une grève de masse peut devenir la meilleure des choses si cette révolte face à une situation insupportable est alimentée par des solutions, des idées et des projets.

Comme l’écrivait il y a deux siècles le poète Percy Shelley, dans son essai En défense de la poésie, nous nous trouvons dans une époque où « l’on voit s’accumuler le pouvoir de communiquer et de recevoir des conceptions intenses et passionnées concernant l’homme et la nature ». Ce sont toujours de telles époques qui forment des hommes et femmes meilleures et produisent les dirigeants de demain. À nous – à vous lecteurs – de prendre la responsabilité d’inspirer et d’orienter ce mouvement en saisissant toutes les occasions possibles pour susciter une réflexion de fond sur les véritables causes de la crise économique, sur la nature de notre ennemi – l’empire financier de la City de Londres et de Wall Street —, et sur les solutions pour nous en libérer et rebâtir une vraie économie.

Allez moussaillons ! Le vent de la France libre souffle vigoureusement, alors souquez ferme !