Brexit, innovation et éolien au menu des Assises de l’économie de la mer à Brest

mercredi 12 décembre 2018, par Karel Vereycken

Après Le Havre en 2017, la XIVe édition des Assises de l’économie de la mer (AEM), organisée par l’hebdomadaire Le Marin avec le soutien du Cluster maritime français (CMF), a réuni les 27 et 28 novembre plus de 1500 personnes à Brest pour y discuter de l’avenir du maritime et de l’innovation.

Marine nationale, Campus mondial de la Mer, Ifremer, Institut universitaire européen de la Mer, Station biologique de Roscoff, grandes écoles, établissements publics nationaux… Avec 30 000 emplois liés à la mer et près de 730 chercheurs et enseignants-chercheurs, la pointe bretonne se hisse à la première place européenne et concentre la moitié du potentiel français de chercheurs et d’ingénieurs dans le domaine océanique.

Contrairement à 2017 au Havre, où le Premier ministre Edouard Philippe et Nicolas Hulot avaient tous deux fait le déplacement, cette année, vu la contestation des Gilets jaunes, seul le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, est venu y défendre les politiques du gouvernement.

Faisant écho aux affirmations du CMF, mais sans proposer les moyens pour y arriver, ce dernier a réaffirmé que la France devait doubler le nombre d’emplois dans la filière maritime d’ici 2030, un secteur de pointe où notre pays figure souvent au premier rang.

Il a également tenté de préciser les contours « du nouveau modèle économique et de la nouvelle stratégie nationale portuaire », un des sujets qui fut au centre de la réunion du Comité interministériel de la mer (CIMER) qui s’était réuni à Dunkerque deux semaines auparavant (le 15 novembre) sous la présidence du Premier ministre et en présence d’une dizaine de membres du gouvernement.

Le Brexit menace la pêche française

Reconnaissons d’emblée que le Brexit actuel est radicalement aux antipodes de la « sortie concertée » que nous souhaitons pour refonder d’urgence, non pas l’UE actuel, mais une Europe qui doit redevenir au service des Etats, des patries et des projets.

En attendant, faute de clarté sur l’avenir, le monde maritime se prépare à un Brexit « dur ». Or, cette perspective pose un défi sans précédent pour la pêche française et européenne.

Car, comme le précise Le Monde :

A cinq mois de la date butoir, Londres affirme fermement sa volonté de reprendre, à cette date, le contrôle de ses eaux, les plus vastes de l’Union et parmi les plus poissonneuses. Ce divorce annoncé inquiète la filière de pêche maritime européenne, et notamment la filière française, l’une des plus exposées, avec celle du Danemark. Certaines régions – les Hauts-de-France, la Bretagne et la Normandie – sont particulièrement tributaires de l’accès aux eaux britanniques. Au total, 30 % des captures des pêcheurs français en dépendent, un taux qui monte à 50 % pour la Bretagne, première région de pêche française, à 75 % pour les Hauts-de-France, selon le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM).

A cela s’ajoute qu’au Royaume-Uni, 92 % des pêcheurs ont voté pour le Brexit en 2016. La raison en est leur paupérisation scandaleuse. Rappelons que face à une Islande qui a repoussé sa zone de pêche exclusive de 3 milles à 200 milles de ses côtes, l’Angleterre a perdu en 1976, après des années d’escarmouches, « la guerre de la morue ».

Aujourd’hui, en sortant leur pays de l’UE, les pêcheurs britanniques espèrent récupérer leurs eaux de pêche. Débarrassés du système de quotas qu’impose l’UE et qu’ils considèrent à tort être à l’origine de leur misère, ils espèrent se refaire une santé en puisant dans la mer qu’ils prennent pour une corne d’abondance.

Or, sans un accord de coopération équitable —que Bruxelles prend soin de leur refuser— toute sortie brutale de l’Union douanière européenne obligera non seulement les pêcheurs, mais tous les producteurs anglais, à payer des taxes d’importation pour vendre leurs productions sur le marché européen, ce qui risque de les rendre du jour au lendemain non-concurrentiels. A cela s’ajoute que l’Irlande, qui reste dans l’UE, ne fera plus transiter ses exportations vers l’UE par le Royaume-Uni mais les fera transiter par des ports bretons parfois inadaptés pour traiter les volumes. Pour les marchandises anglaises, Bruxelles compte les faire passer par Anvers et Rotterdam, deux ports européens disposant de grandes capacités et de services douaniers à la hauteur du défi.

A Brest, De Rugy a affirmé que le gouvernement allait livrer bataille « pour que nos ports soient inclus en cas de Brexit dur ».

Moderniser nos ports

La bonne nouvelle apportée par le CIMER, c’est qu’une forte volonté se manifeste pour coordonner davantage les différents systèmes de communication portuaires et fluviaux, dans la perspective d’une « automatisation » et d’une interopérabilité entre l’ensemble des ports français. Le gouvernement a également prévu une harmonisation plus grande des régimes fiscaux et comptables des ports.

En ce qui concerne la flotte de commerce, le gouvernement a annoncé un plan d’action pour favoriser l’utilisation du GNL (gaz naturel liquéfié). « Les mesures mises en place prévoient notamment l’encadrement des opérations d’avitaillement en GNL dans la réglementation au niveau national et au besoin dans les différents règlements locaux portuaires ». Il est clair qu’étant donné que le GNL est en passe de devenir la norme (ce qui est une bonne nouvelle étant donné la pollution bien moindre engendrée par ce carburant), tout port ne pouvant pas fournir ce carburant aux navires risque le déclassement.

Au sujet du statut des ports, pénalisés par un Etat sans vision mais qui, jusqu’ici, gardait l’essentiel de leur gestion, la position du Premier ministre est de garder quelques grands ports maritimes (GPM) et inciter à la décentralisation des autres. L’État n’impose rien, il veut juste inciter les ports à mieux travailler ensemble, de manière cohérente, sans modifier le statut et sans imposer quoi que ce soit.

François de Rugy a précisé aux AEM de Brest que les ports du Nord seraient gérés à l’avenir par un « conseil de coordination inter-portuaire », ceux de l’axe Seine intégrés dans le cadre d’une fusion et qu’on réunirait ceux de Méditerranée (Marseille, Toulon, Nice, Sète, Port-Vendres, Port-la-Nouvelle) avec ceux de la Saône et du Rhône au sein d’un Groupement d’intérêt économique (GIE).

Les milieux économiques qui attendent avec impatience la fusion des infrastructures portuaires du Havre, Rouen et Paris (HAROPA) ont été douchés par l’exécutif, qui a reporté l’échéance à 2021. Pour les ports de l’Atlantique (Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle ou Bordeaux), le ministre a demandé aux régions de « se positionner clairement ».

Conscience maritime

Pour Frédéric Moncany de Saint-Aignan, le président du Cluster maritime français (CMF), « les ambitions maritimes de la France sont réelles ». Ce groupement, sans faire partie d’un quelconque ministère, opère en quelque sorte comme un Commissariat au Plan. Sur 27 de ses propositions, 16 ont été retenues par le gouvernement.

D’autres événements permettront à la France de prendre encore plus conscience de son rôle de puissance maritime. D’abord, « la semaine de l’emploi maritime » qui se tiendra du 11 au 16 mars prochain et ensuite « La mer XXL », une grande exposition réunissant tout ce qui compte dans ce domaine, qui se déroulera à Nantes, ville de Jules Verne, du 29 juin au 10 juillet 2019.

Eolien, gare aux sirènes !

En panne de grands projets, nombreux sont ceux dans le secteur maritime qui ont avalé la couleuvre des « énergies marines renouvelables » généralement présentées, à tort, comme « la » grande innovation qui permettra, notamment à la Bretagne, de disposer d’une énergie propre et bon marché. A Brest, le ministre a souligné que la France poursuivrait sa politique de l’éolien offshore pour laquelle de nombreuses régions ont déjà investit de coquettes sommes.

Or, personne n’ignore que sans un subventionnement massif (par ces fameux contribuables qui se transforment désormais en Gilets jaunes) l’éolien terrestre et encore plus l’éolien en mer, sont une vaste escroquerie.

Rappelons qu’en gros, avec notre nucléaire, EDF produit de l’électricité à un coût allant de 30 à 60 euro le mégawatt heure (MWh), selon les facteurs pris en compte. Pour l’éolien terrestre, ce coût montait en 2017 à 90 euros le MWh, et pour l’éolien en mer (fixe et flottants) les tarifs des premiers projets français oscillaient entre 180 et 200 euros par MWh ! L’électricité produite étant achetée d’office par l’Etat et revendue aux distributeurs à un prix agréé de 82 euros le MWh, le subventionnement massif de cette filière permet aux producteurs d’énergies renouvelables, qui pleurent toute l’année sur la survie de la planète, de se faire des profits scandaleux sur le dos du contribuable.

C’est pourquoi l’Etat français, regardant là où l’on pouvait diminuer la dépense publique, avait, suivant l’exemple de la Belgique, sommé en mars 2018 les opérateurs de réduire leur prix, faute de quoi il annulerait tous les projets.

Ainsi, en juin, lors de sa visite au Cap Fréhel, Macron avait pu annoncer :

Je suis en mesure de vous confirmer la finalisation et l’accord qui a été obtenu pour ce projet, pour les six projets d’éolien offshore. La bonne nouvelle c’est tout d’abord qu’ils sont confirmés (...) puis ce que nous avons obtenu, parce que ces projets avaient été négociés il y a plusieurs années avec des conditions tarifaires et de subventions qui étaient totalement déconnectées des réalités actuelles du marché, et c’est normal et ce n’est la faute de personne. La négociation a permis de diminuer de 40 % la subvention publique et d’avoir un ajustement des tarifs (de rachat de l’électricité produite sur ces parcs, NDLR) de 30 %. Ce qui veut dire que l’on va économiser sur la période 15 milliards d’euros d’argent public pour les mêmes projets et la même ambition.

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L’utopie suicidaire du mix énergétique 100 % renouvelable