Les Nouvelles Routes de la soie font exploser les vieux logiciels géopolitiques

mercredi 24 octobre 2018

Nous assistons ces dernières semaines à une dangereuse intensification de la propagande anti-chinoise, dans un esprit de paranoïa digne des pires moments de la Guerre froide, et avec la mauvaise foi de celui qui désigne la paille dans l’œil de l’autre tandis qu’il a une poutre dans le sien. Cependant, si cette propagande cherche à empêcher l’émergence de la Chine en s’appuyant sur les failles d’une Amérique en proie au doute, elle vise surtout les Nouvelles Routes de la soie, lancées en septembre 2013 par la Chine de Xi Jinping sous le nom d’ « Initiative une ceinture, une route » (ICR).

Car la dynamique de coopération autour de projets de développement mutuel – eau, transport, énergie, etc – qui embarque de par le monde des dizaines de pays à son bord, ébranle l’ensemble des réseaux dominants du pouvoir financier et de la technostructure de l’UE et de l’OTAN. De plus en plus nombreux sont ceux qui, alors que jusqu’à maintenant ils se soumettaient complaisamment à l’ordre impérial de Wall Street et de la City de Londres, osent désormais braver les décrets de leurs anciens maîtres.

Dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, en dépit des cris d’orfraies poussés par la classe politique de Washington, onze pays (Salvador, Honduras, Panama, Costa Rica, République dominicaine, etc) ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan, afin de rejoindre formellement les Nouvelles Routes de la soie. « Ce n’est pas un club chinois », a expliqué l’ambassadrice du Costa Rica à Beijing, Patricia Holkemeyer, dans une interview accordée le 17 octobre à l’agence chinoise Xinhua, précisant que l’ICR offre « une nouvelle plateforme, une nouvelle façon complètement différente de concevoir le développement du monde ». Ce qui implique que « le concept de [Samuel] Huntington du choc des civilisations ne pourra pas prévaloir, et que c’est au contraire la nécessité de connaître les différentes cultures qui l’emportera ».

Sur notre vieux continent, les murs de la forteresse de l’austérité budgétaire bruxelloise se fissurent à l’Est et au Sud. Car si le gouvernement italien est pour l’instant le seul à s’opposer ouvertement à la politique de casse sociale de l’UE, de nombreux pays en périphérie, comme le Portugal, l’Espagne, la Grèce, et le groupe de Visegrad, se tournent déjà vers la Chine.

Le Portugal, qui ne cache pas son ambition de devenir l’un des carrefours stratégiques du 21e siècle, en faisant la jonction entre le développement terrestre et les routes maritimes, est en passe de conclure son adhésion formelle à l’ICR. Augusto Santos Silva, le ministre portugais des Affaires étrangères, qui se trouvait le 20 octobre à Macao, en Chine, pour définir les termes de cette adhésion, a expliqué que cet accord se concentrera sur le développement des infrastructures, et en particulier du port en eaux profondes de Sines, sur la côte atlantique, qui jouera un rôle fondamental pour faire la connexion entre l’Afrique, l’Amérique et l’Eurasie. Le président chinois Xi Jinping se rendra au Portugal les 4 et 5 décembre prochains.

De leur côté, l’Espagne et l’Italie optent pour la mise en œuvre de partenariats avec la Chine pour des projets de développement en pays tiers, notamment en Afrique. C’est ainsi que le 16 octobre, la République démocratique du Congo a conclu un accord avec des consortiums d’entreprises espagnoles et chinoises, dont celle qui a construit le barrage des Trois gorges, afin de lancer la construction du barrage hydroélectrique Inga 3, qui produira 11 000 mégawatts d’électricité, pour un coût de 14 milliards de dollars. Le même jour à Rome, le gouvernement italien et la Commission du Bassin du lac Tchad ont signé un protocole d’accord pour financer avec la Chine l’étude de faisabilité pour le projet Transaqua, dont l’objectif est de remettre en eau le lac et de bâtir un ensemble d’infrastructures pour l’eau, les transports, l’électricité et l’agriculture, projet que Solidarité & progrès défend depuis une vingtaine d’années.

L’Italie est sur le point de formaliser avec la Chine son adhésion à l’ICR. « Les deux pays élaborent actuellement un protocole d’accord pour étendre en Italie le programme d’investissements massifs de la ceinture et la route, dans les secteurs ferroviaire, aéronautique, aérospatial et culturel », rapportait l’agence Bloomberg le 4 octobre. « Nous essayons de voir comment l’Italie pourrait devenir le principal partenaire européen dans l’initiative de la ceinture et la route », a déclaré Michele Geraci, le ministre du Développement économique, ajoutant que le document de deux pages sera sans doute conclu d’ici la fin de l’année.

L’un des cas les plus embarrassants pour les géopoliciens est sans doute le Japon, pays qui a toujours joué le jeu de Londres et de Washington depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale. Le Premier ministre Shinzo Abe doit effectuer du 25 au 27 octobre une visite d’État à Beijing, une première depuis 2011. Le South China Morning Post (SCMP) rapporte le 22 octobre que l’on s’attend à ce que les deux pays « accroîssent leur coopération économique, tout en préparant le terrain pour un réchauffement des relations politiques ». Un forum comprenant un millier de dirigeants d’entreprises et de responsables politiques se tiendra à cette occasion. « La coopération dans les projets s’intégrant dans [l’ICR] (…) représente la clé du réchauffement actuel entre la Chine et le Japon », explique le quotidien.

Sans surprise, ce changement stratégique provoque certains bugs dans les logiciels géopolitiques occidentaux, incapables de voir l’ICR autrement que comme une aventure coloniale et une stratégie d’agression de la Chine, dans un réflexe typiquement colonialiste consistant à projeter ses vices sur les autres. Au lendemain de l’article du SCMP, le Washington Post a publié un article expliquant que le Japon, notamment à travers ses initiatives en Afrique, cherche à « riposter au plan de la ceinture et la route de la Chine », dans un dénis presque attendrissant de la réalité du réchauffement des relations sino-japonaises.

Morale de l’histoire : comme l’avait fait Gargantua sur les Parisiens péteux et arrogants, du haut de Notre-Dame, compissons allègrement sur les vieux logiciels géopolitiques, faisons péter des durites dans les cervelles surchauffées des impérialistes occidentaux, restés bloqués au 20e siècle, et rejoignons les Nouvelles Routes de la soie !