Les jeux vidéo ultra-violents, une arme de guerre contre l’esprit

mercredi 4 juillet 2018, par Bruno Abrial

Face aux ravages engendrés par le système de pillage et de prédation financière, à la façon intolérable dont l’être humain est traité dans le monde du travail, dans l’hôpital, dans la maison de retraite, etc., dégradé, humilié, utilisé jusqu’à la rupture puis jeté comme un vulgaire chiffon, … on peut se demander : pourquoi les gens ne se révoltent-ils pas ?

La réponse à cette question se trouve tout autour de nous ; elle est ancrée dans le quotidien, dans l’environnement immédiat visuel et auditif : une contre-culture réduisant l’homme à un animal prisonnier du présent, du zap, du flash et du clic, et dont la forme extrême – celle qui fait le plus gros chiffre d’affaires – est devenue de nos jours un véritable culte de la violence et de la mort. Comment se révolter contre un système lorsque les films, les séries et les publicités que vous regardez, les jeux vidéos auxquels vous jouez, la musique que vous écoutez, promeuvent l’association de l’homme à ce système en recourant à une fascination pour les images et les sons ?

La réalité est que sous l’effet de la loi de la jungle financière, qui s’est imposée progressivement au cours des 40 dernières années, la frontière entre la culture et le business a quasiment disparu. Les individus, au lieu de trouver dans la culture le moyen d’enrichir leur vie intérieure et de s’élever au rang de citoyens responsables engagés pour l’avenir de leur société, deviennent des proies faciles pour les prédateurs financiers et leurs serviteurs politiques. Il y a donc urgence à ouvrir un débat public sur la question.

Urgence sanitaire

Les tueries de masse qui ont eu lieu récemment aux États-Unis ont déclenché une vaste prise de conscience, qui dépasse largement la question très médiatisée de l’encadrement des armes à feu. De nombreux responsables publics, comme le gouverneur du Kentucky Matt Bevin, ont appelé à ouvrir d’urgence un débat national :

Nous ne devrions pas être choqués par ces meurtres, compte tenu de toute la violence qui nous entoure, nous et nos enfants, a-t-il déclaré dans une vidéo réalisée suite au drame du 23 janvier, et qui a suscité une forte polémique dans le pays. Regardez notre culture populaire. Regardez nos films. La violence, le mépris de la valeur de la vie humaine... Nous avons une culture de la mort en Amérique.

(...) On glorifie l’acte de tuer, on glorifie le meurtre, a déploré le gouverneur. C’est de plus en plus explicite ; et nous désensibilisons ainsi les jeunes à la réalité tragique de la permanence de la mort. Il est important pour nous de le reconnaître. Regardez les jeux vidéo auxquels on joue. (…) On gagne des points supplémentaires en tuant brutalement des gens, et où le sang, les mutilations et le carnage sont de plus en plus réalistes ; ces jeux désensibilisent les gens.

Le 8 mars, le président Trump réunissait à la Maison-Blanche, sous sa présidence, un groupe d’élus, d’experts et de représentants de l’industrie des jeux vidéo, afin d’étudier « l’exposition aux jeux vidéo violents et leur corrélation avec l’agressivité et la désensibilisation des enfants », comme le précise le communiqué officiel. Au même moment, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait qu’elle allait inclure l’addiction aux jeux vidéos dans la classification internationale des maladies, chose faite le 18 juin.

Les médias ont présenté cette réunion comme une lutte entre le lobby des armes (représenté aux États-Unis par la National Rifle Association ou NRA) et le lobby des jeux vidéos ; et, bien entendu, Donald Trump est décrit comme un agent de la NRA cherchant à faire de la brave industrie « vidéoludique » un « bouc émissaire », comme l’a écrit Le Figaro.

L’un des participants était Dave Grossman, un lieutenant-colonel américain à la retraite, auteur de l’essai Assassination Generation : Video Games, Agression, and the psychology of killing, qui pointe du doigt depuis des années l’impact des jeux vidéos de tir (FPS, ou « First Person Shooter ») sur les enfants.

Pour Grossman, ceux qui militent pour l’interdiction totale des armes à feu devrait y inclure ces jeux...

Lors d’une interview accordée en mai 2002 à notre amie Helga Zepp-LaRouche, la présidente du Mouvement des droits civiques-Solidarité en Allemagne, il avait expliqué :

On a besoin de trois facteurs pour tuer : l’arme, la compétence technique et la volonté. Sur les trois, les jeux vidéos en fournissent deux, les deux derniers.

On sait en effet que les tueurs de masse ayant pratiqué les FPS, comme ceux de Colombine en 1999 ou d’Erfurt en 2002, ont été aussi efficaces – voire plus – que des tireurs d’élite !

L’origine militaire des « killer games »

Les First Person Shooter (FPS), que l’on appelle platement « jeux de tir à la première personne » en France, sont issus de programmes de l’armée américaine destinés à désensibiliser les soldats (et également les policiers) de l’acte de tuer un autre être humain. Il s’agit de transformer cet acte en réflexe conditionné au moyen d’un mécanisme pavlovien de stimulus-réponse, afin de détacher complètement du caractère humain de la personne à tuer, pour en faire une cible.

Or ce système utilisé par l’armée et la police pour entraîner les nouvelles recrues, déjà tout à fait contestable bien qu’avec des garde-fous et des protocoles rigoureux, a été sciemment mis à la disposition des enfants, sans le moindre contrôle, sous la forme des FPS. L’armée américaine alloue officiellement chaque année entre 30 et 40 millions de dollars de son budget à des projets de simulateurs de tir. Elle a investi par exemple 32,8 millions de dollars dans son jeu vidéo, America’s Army, qui lui sert d’outil de recrutement.

Vertus de surface, vices en profondeur

Pour sa défense, le lobby des jeux vidéo fait tourner en boucle les mêmes arguments, malheureusement repris par les joueurs eux-mêmes, qui cherchent rarement à pousser plus loin leur propre réflexion sur les effets de ces jeux sur eux-mêmes – qu’ils soient négatifs ou positifs, d’ailleurs. Les deux principaux arguments sont :

  1. Les jeux vidéo amélioreraient les capacités d’attention visuelle, de concentration et faciliteraient, grâce à cela, la prise de décision rapide.
  2. De nombreuses études montreraient qu’il n’y a pas de lien direct entre les jeux vidéo violents et la violence ; au contraire, ils offriraient à nos jeunes une excellente catharsis leur permettant d’y exprimer leurs pulsions négatives, plutôt que d’extérioriser celles-ci dans la société réelle.

Quelle hypocrisie tout de même de la part des classes supérieures qui invoquent ce type d’arguments tout en prenant bien soin d’écarter leur progéniture des outils de divertissement numérique, en les faisant inscrire dans les écoles où ils n’auront pas accès à la « société des écrans » avant douze ans ! Les cadres de l’industrie numérique, comme Steve Jobs, l’ont parfois admis eux-mêmes.

De fait, l’utilisation de ces outils est inversement proportionnelle à l’aisance socio-économique des familles. Et notre école républicaine, devenue terriblement inégalitaire, ne peut qu’amplifier ce phénomène, parfois de façon explosive.

Les travaux académiques concluant aux multiples vertus des jeux vidéo omettent bien souvent des données scientifiques, comme le déplore Michel Desmurget, chercheur à l’Inserm spécialisé en neurosciences cognitives. Selon lui, ces jeux améliorent au mieux certaines compétences périphériques d’attention visuelle, tandis qu’ils ont un effet négatif marqué sur la capacité de concentration, que l’on peut mesurer à la réussite scolaire.

Évoquant une étude de l’Académie des sciences, Desmurget écrivait en 2015 dans les colonnes du Figaro :

[L’Académie] survend un bénéfice mineur et omet de mentionner une atteinte essentielle que même Microsoft a récemment dénoncé dans une étude marketing, suggérant aux publicitaires, pour optimiser leurs campagnes, de tenir compte de l’effondrement des compétences attentionnelles des ’digital natives’.

L’Académie ne précise pas non plus que ces jeux d’action largement diffusés dès le primaire sont souvent déconseillés aux moins de dix-huit ans, poursuit le chercheur, car farcis de violence extrême (jusqu’à la torture) et de pornographie explicite (fellation, coït). L’impact de ces contenus sur l’agressivité, l’anxiété, les préjugés sexistes ou les troubles de sommeil ne fait aujourd’hui aucun doute pour la communauté scientifique, même si l’on peut toujours trouver un poisson volant pour affirmer le contraire.

En effet, le lien entre les jeux vidéo violents et les pensées, émotions et comportements agressifs est avéré. Plusieurs dizaines de recherches ont été publiées depuis vingt ans à ce sujet dans le monde.

Les deux méta-analyses les plus récentes (Christopher Fergusson en 2007 et Craig A. Anderson en 2010), bien qu’elles tirent des conclusions différentes, ont présenté des résultats tellement convergents que l’Académie américaine de pédiatrie, l’Association américaine de psychiatrie et l’Association américaine de psychologie ont conclu de façon unanime qu’il existait bien une relation causale entre les jeux violents et les comportements agressifs.

Le professeur de psychologie sociale à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Laurent Bègue, a réalisé en 2011-2012 des expériences aboutissant aux mêmes conclusions.

Pour lui,

le problème principal des jeux vidéo violents tient à leur contenu et aux inculcations conscientes et inconscientes qu’ils induisent, expliquait-il lors d’un entretien. Un autre problème concerne l’indépendance des experts par rapport à une industrie juteuse qui pèserait 74 milliards de dollars [en 2012]. La posture démagogique consistant à nier les faits scientifiques est douteuse, surtout de la part de soi-disant ’psychologues du numérique’, et rappelle celle qui a conduit l’industrie du tabac à affirmer il n’y a pas longtemps que les effets nocifs imputés à leurs produits n’étaient que de la fumée.

Dégrader l’image de l’homme au profit de la guerre permanente

Bien entendu, le lien entre violence et jeux vidéo n’est pas mécanique ; toute personne y jouant ne va pas fatalement se transformer en tueur sanguinaire ou en individu hyper-violent. Cela ne concerne évidemment qu’une infime minorité de joueurs. Le problème est l’environnement social et culturel que cela participe à créer. C’est pourquoi il est essentiel de replacer cette question dans le contexte plus large de la désintégration économique et sociale dans laquelle la quasi totalité des sociétés occidentales continuent de sombrer.

Comme l’avait dit Jacques Cheminade lors de la campagne présidentielle de 2017,

si nous vivons une occupation financière qu’il faut combattre, nous sommes en même temps soumis par ces forces financières à une occupation culturelle. Le dénominateur commun est de propager une conception du monde fondée sur la perception immédiate, la possession, la cupidité et l’absence de respect de l’autre entretenant un sommeil de la raison qui engendre des monstres.

C’est à la suite de l’assassinat du président John F. Kennedy, de son frère Robert et de Martin Luther King, avec la contre-culture qui a envahi les États-Unis, que ce paradigme de pessimisme culturel s’est abattu sur l’ensemble du monde transatlantique.

Le Congrès pour la liberté de la culture (CLC), financé par les fonds de contrepartie du Plan Marshall et mené depuis Londres, avait auparavant promu et accompagné ce dévoiement. Dans le contexte de l’optimisme insufflé par le progrès économique, social et scientifique de l’après-guerre, et malgré une législation sur les armes aussi laxiste qu’aujourd’hui, le phénomène de tueries de masse existait, mais pas dans de telles proportions.

En 1999, au lendemain du « massacre de Columbine », l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche écrivait que ce qui avait frappé cette ville de Littleton, dans le Colorado, représentait un présage de notre époque.

Comment est-il possible de corrompre des enfants innocents en les transformant en tueurs psychotiques ? Voici une réponse simple : en déshumanisant l’image de l’homme. Et il n’est pas exagérément simpliste de dire qu’une fois que ce premier pas est franchi, la base axiomatique a été posée à partir de laquelle lancer des guerres et tuer deviennent un jeu d’enfant.

Et en effet, suite à Columbine, suite à la diffusion massive de cette culture par les jeux vidéos, 31 massacres ont eu lieu dans des écoles américaines, sur fond des guerres des administrations Bush et Obama en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie.

Dans un podcast publié le 21 février 2018 sur le site who.what.why, la lanceuse d’alerte Coleen Rowley, membre des Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS), pointait du doigt le rôle essentiel que jouent les médias et certaines institutions américaines pour répandre cette culture de la violence. « La CIA et le Pentagone ont apporté leur soutien, en contribuant à la réalisation d’environ 1 800 films », affirmait-t-elle, en désignant par exemple American Sniper (2014) et Zero Dark 30 (2012), ou même, il y a plus longtemps, le rôle d’Arnold Schwarzenegger dans Terminator (1984). « Le héros doit être un personnage ayant subi un préjudice, une injustice », expliquait Rowley ; « et puis à la fin, ce genre de personnage tire sur tout le monde... Une personne souffrant de troubles mentaux ou émotionnels s’identifie à ce type de héros. Il y a même des cas de suicide ».

Rebâtir une culture de la vie et de la découverte

Contrairement à ce que la majorité des gens pense, il est tout à fait possible d’en finir avec cette culture mortifère. Elle n’est pas une fatalité, une donnée à laquelle il faudrait s’adapter. La culture n’est pas un simple produit de forces aveugles, qu’il s’agisse des caprices de la nature ou de « l’esprit du temps », comme on le disait au XIXe siècle.

Dans son livre-projet publié pour la campagne présidentielle de 2017, Jacques Cheminade écrivait :

La culture, c’est l’esprit, l’intention qui anime une société. C’est tout ce qui concourt à la découverte de la vérité que la simple perception des sens ne nous permet pas d’appréhender. Mon but est de susciter l’environnement nécessaire pour que puisse apparaître une culture qui élève les êtres humains et non les rabaisse, une culture qui s’adresse en eux à ce qu’il y a de proprement humain et de grand, et donc de créateur, et non à ce qu’il y a de bestial et de petit. Je dis bien ‘créer l’environnement’ et non imposer un modèle ou un contenu par injonction. Il s’agit d’arroser pour que poussent de belles plantes, parfois inattendues, et non creuser des ornières.

Au cours de la campagne présidentielle, un dialogue s’est établi entre Jacques Cheminade et les jeunes « gamers », dont certains ne comprenaient pas pourquoi le candidat s’en prenait aux jeux vidéo violents.

À travers plusieurs échanges par vidéos interposées sur Internet, celui-ci a pu préciser qu’il n’était pas contre les jeux vidéo en soi, mais contre « l’ultra-violence » qui, en gagnant petit à petit la société, crée en réalité, sans qu’ils s’en aperçoivent, des complices de l’exploitation des milieux qui financent ce type de jeux vidéo.

Toutefois, la question reste : qu’est-il possible de faire contre les jeux vidéo ultra-violents ? Il serait nécessaire de les interdire mais il y a des serveurs dans le monde entier et cela s’avérerait très difficile, sinon impossible. Cela pose la question de l’accès « libre » à internet, ouvert de fait à toutes les manipulations. L’essentiel est de « créer un climat social meilleur », expliquait Jacques Cheminade dans une de ces vidéos, « où les gens s’intéressent moins à cette violence, et où, en plus, on donne des choses intéressantes aux jeunes, plus intéressantes que l’ultra-violence de ces jeux vidéo, y compris dans les autres jeux qui ne seront pas ultras-violents. Des jeux de terra-formation d’une planète, par exemple, des jeux d’aventure, ou même Heroic Fantasy, ou même Super Mario Odyssey, etc. »

En réalité, les jeux vidéo pourraient même devenir un formidable vecteur culturel, donnant aux joueurs le goût de la découverte et de la création. Ils pourraient devenir un outil pour appréhender la science physique, apprendre et maîtriser des techniques artistiques, découvrir l’histoire des civilisations, explorer l’espace, ou encore comprendre et appliquer les principes de l’économie dirigée, tel que les a développés par exemple Lyndon LaRouche.

Une politique fiscale devrait être mise en œuvre pour encourager ce type de jeux vidéo, tout en pénalisant fortement les jeux ultra-violents. Alors, cette culture de la mort s’estompera comme un mauvais rêve, au fur et à mesure que s’établira parmi les populations un environnement culturel où chacun peut s’élever à la dignité d’homme créateur, tout en prenant part à une œuvre civilisatrice.

Les Nouvelles Routes de la soie lancées par la Chine en 2013 nous offrent une formidable plate-forme pour le faire, car cela définit une base nouvelle pour les relations entre les nations, jetant à la poubelle la logique de pillage et de guerre qui a dominé la mondialisation financière jusqu’à nos jours, et nous donnant l’occasion, à nous Américains et Européens, de retrouver l’état d’esprit optimiste propre à notre histoire, et qui nous a fait soulever des montagnes, traverser des océans et partir à la découverte des étoiles.

Le jeu vidéo, un marché juteux et subventionné

L’industrie du jeu vidéo représente dans le monde 90 milliards de dollars, ce qui en fait la deuxième industrie du divertissement culturel derrière celle du livre, et ce sera la première en 2020.

En France, elle est la première industrie culturelle en terme de chiffre d’affaires : 3,5 milliards d’euros en 2016 (contre 2,7 milliards en 2011). L’industrie profite des aides des acteurs publics, multipliées sous diverses formes : crédits d’impôts (CIJV), aides à la création (Centre national du cinéma et fonds régionaux).