Réforme de l’assurance-chômage de Macron : le darwinisme au beau sourire

lundi 26 mars 2018

Le président Macron est pris dans le piège qu’il s’est lui-même dressé en parvenant au pouvoir grâce aux milieux d’argent. Ainsi, il s’en prend aux chômeurs, faute de s’attaquer à un système qui détourne l’argent du travail humain et de l’économie réelle et le pompe dans la sphère financière – ne serait-ce que par l’évasion et la fraude fiscales, qui représentent chaque année une perte de 80 milliards d’euros pour la France.

La carotte

L’emballage du produit était parfait. Le futur président du nouveau monde avait promis que l’assurance-chômage allait devenir universelle et qu’elle allait couvrir « tous les actifs » – salariés, artisans, commerçants indépendants, entrepreneurs, professions libérales, agriculteurs. Emmanuel Macron avait également annoncé en grande pompe qu’il ouvrirait les droits aux démissionnaires.

Au final, l’ « universalité » a été passée au rabot : le chômage ne sera étendu qu’aux indépendants en situation de liquidation judiciaire, et seuls 20 000 à 30 000 démissionnaires pourront bénéficier chaque année du dispositif, c’est-à-dire 3 % d’entre eux.

Le bâton

Présenté comme la « contrepartie » (sic !) de l’extension des droits aux démissionnaires et indépendants, un arsenal de sanctions a été prévu contre les chômeurs ne remplissant pas leurs obligations, avec en partie un renforcement des sanctions existantes. Les contrôles vont être intensifiés, avec un « journal de bord » numérique où les demandeurs d’emploi renseigneront tous les mois leurs actes de recherche d’emploi. Les équipes chargées de vérifier si les recherches sont bien actives seront portées de 200 à 600 agents d’ici à la fin de l’année. [1]

Le demandeur d’emploi ne pourra plus refuser plus d’une fois une « offre raisonnable d’emploi », sous peine de radiation. De plus, la définition de cette offre raisonnable ne sera plus basée sur le Code du travail — emploi dont la nature, le salaire et la zone géographique correspondent en tous points aux attentes du demandeur d’emploi —, mais elle sera déterminée en « concertation » entre le demandeur d’emploi et son conseiller.

Les insuffisances de recherche d’emploi seront passibles de sanctions graduelles : allocations suspendues pendant un mois la première fois, pendant deux mois la seconde et pendant quatre mois la troisième. Ces suppressions de droits seront décidées directement par Pôle-emploi, alors que l’aval du préfet était jusque là nécessaire.

L’enfer « Daniel Blake » d’Emmanuel Macron

L’argument est toujours le même, tournant en boucle depuis des années : la France est en retard ; tous les autres pays ont fait des réformes allant dans le sens de la « carotte-bâton » – pardon, de la « flexisécurité » ; nous sommes un pays de conservateurs et de fainéants s’accrochant à leurs privilèges, etc. Et d’invoquer les modèles danois, anglais ou allemands…

Qu’en est-il en réalité ? Certes, les chiffres du chômage ont bien baissé dans les 28 pays de l’Union européenne, de 7,3 % en janvier 2018 contre 8 % un an auparavant, faisant sonner à cœur joie les trompettes de la « reprise ». Mais, en « contrepartie », la part des travailleurs et des chômeurs pauvres ne cesse d’augmenter depuis plus de dix ans. En zone euro, les travailleurs pauvres représentaient 9,5% en 2016, contre 7,3% en 2006. Dans l’ensemble de l’UE, ce taux est passé de 8,3% en 2010 (première année disponible) à 9,6% en 2016. Un salarié européen sur dix est un travailleur pauvre !

Selon Eurostat, le bureau des statistiques basé au Luxembourg, les 18 millions de chômeurs européens sont de plus en plus en situation de pauvreté et d’exclusion, avec un risque de pauvreté pour les chômeurs de l’UE passé de 40 % en 2005 à 48,7 % fin 2016. Le fameux « modèle allemand », l’un des premiers à avoir adopté la « flexisécurité » avec les réformes « Hartz » du chancelier Schroeder au début des années 2000, est le pire pays avec plus de 70 % de chômeurs en situation de pauvreté. [2]

La situation française, tout en étant mauvaise (en 2017, on compte 6,5 millions de demandeurs d’emplois et de travailleurs précaires, c’est-à-dire plus de 20 % de la population active), reste relativement moins pire : 38,4% des chômeurs étaient en 2016 en risque de pauvreté, donc près de deux fois moins qu’en Allemagne.

Au Royaume-Uni, le système de contrôle des chômeurs établi en 2012 par le gouvernement Cameron a des conséquences désastreuses, comme l’a dénoncé le film de Ken Loach Moi, Daniel Blake (2016). Les conditions d’accès aux allocations de chômage et d’invalidité de travail sont devenues beaucoup plus strictes. Des sanctions sont également infligées, parfois sans avertissement, aux personnes ne respectant pas les critères. Un véritable système de cruauté consciente à l’égard des personnes vulnérables s’est mis en place, avec toute la froideur bureaucratique – tout en marginalisant ou écartant les agents du « job center » qui feraient des cas de conscience.

D’après le chercheur Paul Laverty, dont une étude sur les centres de recherche d’emploi a servi de base à Ken Loach pour son film, « une décision administrative peut condamner une personne et sa famille à la faim. Certaines personnes doivent du coup choisir entre se nourrir et se chauffer. Les sanctions n’aident pas les personnes à trouver un travail, elles augmentent juste le chaos dans leur vie ». En effet, le nombre de personnes ayant recours aux banques alimentaires a presque triplé en 2014. Selon des statistiques du service de santé britannique, le nombre de personnes hospitalisées souffrant de malnutrition a plus que doublé entre 2011 et 2015. [3]

Sortir de l’engrenage

Comme l’ancien Premier ministre anglais David Cameron, ou encore le maire droitier d’Anvers Bart de Wever, Macron et ses conseillers semblent s’inspirer des théories de l’ancien psychiatre de prison, l’écrivain britannique Théodore Dalrymple, surnommé le père du « conservatisme compatissant ». L’idée de départ est que depuis les années soixante, le « relativisme moral » a amené les progressistes à penser qu’il est bon d’aider la population. Selon Dalrymple, au contraire, couper les subventions de l’État pour les chômeurs et l’alimentation des plus pauvres est l’attitude qui exprime le plus « l’amour de son prochain », car elle pousse les plus démunis à mobiliser leurs propres ressources pour subvenir à leurs besoins.

Dans les faits, il s’agit d’un véritable système de darwinisme social avec tout qu’il y a de plus cynique : le chômeur est désigné comme le responsable de sa situation, tandis qu’on déresponsabilise les patrons qui licencient, précarisent et délocalisent pour augmenter les profits de leurs actionnaires, et qu’on détourne l’attention de la véritable pompe à fric qu’est devenu le système financier transatlantique.

Disons-le franchement : cette logique de « rationalisation » de l’exclusion des plus vulnérables n’est rien d’autre qu’une étape menant au fascisme financier. Nous devons combattre cela de toutes nos forces. Jamais aucune « reprise » n’a pu se faire à la carotte et au bâton. Le travail est la dignité de l’homme. Les punitions ou sanctions ne sont que les instruments de barbares qui considèrent le travail et les travailleurs comme des marchandises et qui, bien souvent, appliquent aux autres ce qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes.