Trump et Poutine se sont parlé

vendredi 23 mars 2018

Dans le monde « so british » de sa Majesté où, comme les Lords se délectent à le dire : « les muscles américains doivent servir les cerveaux britanniques pour la Gloire de l’Empire », la Maison-Blanche aurait dû suivre docilement Miss Theresa May dans sa tentative de recréer artificiellement une division entre l’Est et l’Ouest, et de prendre le sentier de la guerre contre la Russie et la Chine.

C’est pourquoi la consternation fut totale lorsque le président Trump annonça brusquement, lors d’une discussion avec des journalistes au cours de sa rencontre avec le Prince héritier saoudien Mohammed Bin Salman dans le Bureau oval, qu’il avait téléphoné au président Poutine plus tôt dans la journée pour le féliciter de sa victoire électorale et lui proposer que tous deux se rencontrent prochainement. « Nous avons eu une très bonne conversation, et je pense que nous allons probablement nous rencontrer dans un avenir assez proche pour discuter de la course aux armements, qui devient hors de contrôle (…). Et aussi pour parler de l’Ukraine, de la Syrie, de la Corée du Nord et d’autres choses ». La Serbie vient de proposer Belgrade pour cette rencontre.

Le communiqué du Kremlin rapporte que « Donald Trump a félicité Vladimir Poutine pour sa victoire dans l’élection présidentielle. Les deux dirigeants se sont dit favorables à une coopération concrète dans divers domaines, y compris pour assurer la stabilité stratégique et combattre le terrorisme international, en soulignant en particulier l’importance des efforts coordonnés pour freiner la course aux armements ». Et de conclure que « dans l’ensemble, la discussion fut constructive et professionnelle, en mettant l’accent sur la résolution des problèmes accumulés dans les relations russo-américaines ».

La machine médiatique américaine s’est immédiatement emballée, autant du côté des anti-Trump comme CNN que des pro-Trump comme Fox News. Comment ça ? Le président Trump a osé parler avec le dictateur Poutine ? Il a osé le féliciter, faisant fi des recommandations de son propre entourage ?…

« Les fake-médias sont affolés, car ils voulaient que je le critique », a écrit Donald Trump sur son compte Twitter. « Ils ont tort ! Bien s’entendre avec la Russie (et d’autres) est une bonne chose, pas une mauvaise ».

Suite à l’annonce de Trump, la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, a été assaillie de questions par des journalistes au bord de la crise de nerfs : « Le Président a-t-il confronté Poutine sur l’agression russe ? » « Pourrait-il croire que les élections russes ont été justes, contrairement à ce que disent le Royaume-Uni et le sénateur McCain ? » « Vous êtes en train de nous dire qu’il n’a pas affronté Poutine sur l’ingérence électorale ? Sur l’empoisonnement au Royaume-Uni ? », etc. Par six fois, Mme Sanders a répété que le Président pense que le dialogue avec la Russie est dans l’intérêt américain.

« Nous souhaitons poursuivre le dialogue avec la Russie et continuer à parler de nos intérêts communs, qu’il s’agisse de la Corée du Nord, de l’Iran et, comme le Président l’a fait remarquer aujourd’hui, de ralentir les tensions suscitées par la course aux armements, ce qui est clairement important pour les deux dirigeants », a déclaré Mme Sanders à maintes reprises.

Aux questions insistantes pour savoir si la Maison-Blanche jugeait les élections en Russie libres et équitables, Sarah Sanders a répondu en rejetant l’axiome sous-entendu du « changement de régime » : « Nous nous concentrons sur nos élections. Nous n’avons pas à dicter la façon dont les autres pays fonctionnent. Ce que nous savons, c’est que Poutine a été élu dans leur pays (...). Nous ne pouvons que nous concentrer sur la liberté et l’équité de nos propres élections ».

Tout le drame de ce jour sombre pour les bien-pensants se trouve résumé dans le tweet d’un journaliste britannique présent à la conférence de presse, visiblement dans tous ses états : « La porte-parole de la Maison-Blanche confirme que l’attaque par un agent neurotoxique au Royaume-Uni n’a pas été mentionnée au cours de l’appel téléphonique entre Trump et Poutine. Profondément frustrant pour Downing Street ».