À Davos, l’étoile chinoise éclipse la lune du monétarisme occidental

mardi 30 janvier 2018

Au milieu des discours convenus sur la lutte contre le réchauffement climatique, le protectionnisme et les inégalités, l’initiative des Nouvelles Routes de la soie de la Chine, et la vision d’un nouveau monde gagnant-gagnant qu’elle porte avec elle, a fait une entrée très remarquée au Forum économique mondial. Et l’ironie est que seule la Chine était en mesure d’apporter une réelle réponse au thème du Forum « Construire un avenir commun dans un monde fracturé ».

Le New York Times a dû l’admettre, en grinçant des dents : « À Davos, la vraie star était sans doute la Chine, pas Trump », titre son édition du 28 janvier. Sous la photo d’un Liu He souriant, le principal conseiller économique de Xi Jinping et représentant de la Chine au Forum, le journaliste Keith Bradsher reconnaît que la présentation de Liu He était « l’un des discours les plus suivis » et que tout au long du Forum, l’initiative de la ceinture et la route [« Belt and road initiative », BRI] a été le sujet principal de discussion.

« À un bout de la ville, le président brésilien Michel Temer a accueilli favorablement une offre inattendue de Beijing aux nations latino-américaines, visant à établir une étroite collaboration avec l’initiative chinoise », écrit Bradsher. « À l’autre bout de la ville, le Premier ministre pakistanais Shahid Khaqan Abbasi a profité de son allocution pour saluer l’expansion rapide des investissements chinois dans son pays, y compris la construction de centrales électriques et d’un grand port. (…) C’était comme si les dirigeants des différents pays rivalisaient entre eux pour se rapprocher de la Chine ».

Et le NY Times de citer Joe Kaeser, directeur général de Siemens : « La [BRI] sera la nouvelle OMC… que vous le vouliez ou non ».

De son côté, Bloomberg News écrit le 29 janvier : « En s’élargissant à l’Arctique et à l’Amérique latine la semaine dernière, [la BRI] du président chinois Xi Jinping a pris une dimension véritablement mondiale. Seuls les États-Unis, leur voisin le Canada et le Japon n’ont pas encore été inclus dans le plan, qui vise à construire ou à moderniser un réseau d’autoroutes, de chemins de fer, de ports et de pipelines ». Le journaliste reconnaît plus loin qu’en réalité le Japon participe bien à l’initiative chinoise, et que Xi Jinping a proposé à plusieurs reprises aux États-Unis de s’y joindre.

Fin de paradigme

L’Europe et les États-Unis n’ont rien de mieux à offrir qu’un monétarisme à bout de souffle, une sorte de Milton Friedman en fin de vie, cloué au fond de son lit, et qui aimerait qu’on cesse l’acharnement thérapeutique et qu’on le laisse mourir dans la dignité. On continue à vendre l’illusion du retour de la croissance, alors que tout le monde sait que les résultats des grandes entreprises sont dopés par les programmes d’ « assouplissement quantitatif » (« quantitative easing », QE) et, disons-le franchement, par le programme de casse sociale pratiquée entre autres par le gouvernement Macron-Philippe. L’exemple récent, tragique et révoltant, en est l’envolée de l’action de Carrefour au CAC40, au lendemain de l’annonce du plan de suppression de 2400 postes en France (c’est-à-dire le quart des effectifs !), grâce à la Rupture conventionnelle collective (RCC) mise en place par les ordonnances travail.

Heureusement, le principe de réalité a eu voix au chapitre à Davos. Dans le rôle de Daniel venant traduire l’inscription sur le mur du palais de Babylone (« l’empire a été mis dans la balance et son règne touche à sa fin »), l’économiste William White, ancien chef économiste de la Banque des règlements internationaux de Bâle, a mis en garde : « Tous les indicateurs des marchés sont actuellement très similaires à ce que nous avons connu avant la crise de Lehman [brothers], mais c’est comme si la leçon n’avait pas été retenue ». Avec les programmes d’assouplissement quantitatif, « les banques centrales ont jeté de l’huile sur le feu », a-t-il souligné dans son entretien avec le Telegraph.

On sait en effet que, bénéficiant des conditions d’accès au crédit facilitées par les banques centrales, les sociétés américaines ont racheté pour 2700 milliards de dollars de leurs propres actions, tout en augmentant leur dette nette de 4500 milliards, pour atteindre environ 14 000 milliards de dollars. Et pour ceux qui moqueraient les habituels excès des « amerloques », sur fond de chant du coq, il faut savoir que le même phénomène sévit en Europe, et que les entreprises françaises sont parmi les plus touchées. Comme l’affirme Le Monde du 29 janvier, « elles ont profité des taux bas pour accroître considérablement leur endettement, passé de 141,5 % à 168,5 % du produit intérieur brut (PIB) entre 2007 et 2016. Sur la même période, celui des entreprises allemandes, insensibles au QE, a reculé de 90,3 % à 86 % du PIB. Celui des italiennes est tombé de 109 % à 107,7 % du PIB… »

Donald Trump a bien été élu sur un programme visant à mettre fin aux ravages de la mondialisation financière (il a même évoqué le rétablissement du Glass-Steagall Act, c’est-à-dire la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires), à reconstruire les infrastructures et à réindustrialiser le pays ; bref, à relancer une politique au service de l’économie réelle et des « populations oubliées ». Mais non seulement il n’a pas pris le taureau de la finance par les cornes – ce qui lui interdit de rétablir un système de crédit public sans lequel il ne trouvera jamais les moyens de réaliser son plan –, pire, il pavane partout en bombant le torse, se vantant de la « réussite » de Wall Street.

Oui, on peut railler Trump l’excentrique — c’est de bon ton aujourd’hui —, mais nous avons le même problème avec notre président Macron : en effet, comme l’a dit un jour Jacques Cheminade, « on ne peut pas changer de chaussettes sans se laver les pieds ».