Fausses alertes nucléaires à Hawaï et au Japon : le retour de la « Guerre des mondes » ?

jeudi 18 janvier 2018

Les fausses alertes aux missiles nucléaires, que viennent de connaître les Hawaïens et les Japonais, rappellent fortement le début d’une « guerre psychologique », semblable à l’émission radio animée par Orson Welles sur CBS en 1938, sur la base de La guerre des mondes, un « roman » de politique-fiction du géopoliticien britannique H.G. Wells. L’émission avait causé un vent de panique à travers les États-Unis, des dizaines de milliers d’auditeurs croyant qu’il s’agissait d’un bulletin d’informations et qu’une attaque extraterrestre était en cours.

Samedi matin, les 1,3 millions d’habitants de l’île américaine d’Hawaï ont été plongés dans un état de terreur absolue, lorsqu’ils ont reçu de la part de l’Agence de gestion des urgences d’Hawaï un « message d’alerte » disant : « MENACE DE MISSILE BALISTIQUE SUR HAWAÏ. METTEZ-VOUS IMMÉDIATEMENT A L’ABRI. CE N’EST PAS UN EXERCICE ». Trois minutes après l’annonce, les officiels militaires étaient informés qu’il s’agissait d’une fausse alerte, mais pendant 38 minutes, la grande majorité des résidents et des touristes étaient persuadés qu’ils vivaient leurs derniers instants. 38 minutes pendant lesquelles le monde s’est retrouvé au bord de l’apocalypse. Car il aurait suffi que Kim Jong-un panique, sur la base d’une mauvaise interprétation de la situation, et qu’il appuie sur le bouton…

La cause de cette fausse vraie alerte aurait été imputée à un employé de l’Agence de gestion des urgences, qui aurait appuyé sur le mauvais bouton, « en raison d’une interface peu ergonomique » de son système informatique. On pourrait y croire, si quatre jours plus tard le même scénario ne s’était pas répété au Japon, la fausse alerte aux missiles étant cette fois-ci diffusée par la chaîne publique japonaise NHK, suite à « une erreur de manipulation ».

Le dialogue inter-coréen n’arrange pas tout le monde

Il faut dire que les médias américains ont très peu couvert la percée fondamentale dans les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, survenue quelques jours plus tôt avec la réunion entre les deux Corée à la « Maison de la paix », dans le village de Panmunjon. Ils ont également très peu couvert le fait que le Président Sud-coréen Moon Jae-in a publiquement remercié le Président Trump pour son rôle dans les négociations. Ignorant cette réalité, les médias et la plupart des dirigeants politiques ont continué à nourrir les peurs, nourrissant le fantasme qu’une guerre préventive finirait par devenir inévitable.

Bizarrerie supplémentaire, le fait que vendredi, la veille de la fausse alerte à Hawaï, plusieurs centaines de commandants militaires, politiciens et responsables locaux participaient à une conférence de haut niveau, organisée par le Conseil des affaires militaires de la Chambre de commerce d’Hawaï. Dans une atmosphère surchargée en testostérones néoconservatrices, le lieutenant-général Leaf a souligné la « menace réelle » pesant sur Hawaï. « Nous sommes plus proches [de la Corée que les États-Unis]. Nous représentons une cible facile », a-t-il dit, ajoutant que les missiles nucléaires nord-coréens ne visent ni la Corée du Sud ni le Japon. « Les États-Unis sont la cible désignée, ceci parce que nous sommes l’ennemi public n°1 de la Corée du Nord ». De son côté, l’amiral Harris est allé droit au but en disant à des participants nerveux : « Bien que la possibilité d’une frappe nucléaire soit infime, nous vivons maintenant dans un monde où nous devons être prêts à faire face à toute éventualité ».

Mardi, les présidents Xi Jinping et Donald Trump se sont parlés par téléphone, évoquant la situation de la péninsule coréenne. D’après le China Daily, Trump aurait manifesté sa reconnaissance envers le rôle joué par la Chine dans cette crise, et aurait exprimé sa volonté de renforcer la coordination entre leurs deux pays.

Pourtant, dans le même temps, se déroulait au Canada la conférence du « Groupe de Vancouver » sur la crise coréenne. Cette réunion, animée par le secrétaire d’État américain Rex Tillerson et la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland, excluait manifestement la Russie et la Chine, alors que s’y trouvaient invités des pays relativement peu concernés comme la Grèce, la Belgique, la Colombie et le Luxembourg. Tillerson y a réaffirmé l’opposition des États-Unis à la solution de « double gel » promue par la Russie et la Chine, qui consiste à suspendre simultanément les programmes nucléaires militaires des deux Corées.

« Tenir ce genre de réunion n’incluant pas les parties directement concernées par la question nucléaire sur la péninsule coréenne n’aidera pas à une résolution appropriée de la crise », a déclaré Lu Kang, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, en conférence de presse. De son côté, Sergeï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a démenti les affirmations du Département d’État américain comme quoi les Russes et les Chinois soutenaient l’initiative de Vancouver, et a qualifié cette conférence de « destructrice ».

Tulsi Gabbart : il faut en finir avec la doctrine de changement de régime

Dans une série de tweets, la députée démocrate d’Hawaï a fustigée la mentalité de guerre froide qui domine actuellement la classe politique américaine : « nous avons connu ce type de menace nucléaire pendant la Guerre froide, lorsque les États-Unis et l’Union soviétique étaient à deux doigts d’une attaque. La paix avec la Corée du Nord exige des pourparlers directs et immédiats sans conditions préalables », a-t-elle écrit.

Selon Tulsi Gabbart, la Corée du Nord a vu comment les États-Unis ont agi en Irak et en Libye, et elle considère que les armes nucléaires représentent la seule dissuasion possible pour ne pas subir le même sort. « C’était une erreur pour les États-Unis de s’en prendre de cette façon à Kadhafi et à [Saddam] Hussein », affirme-t-elle. « La Libye et l’Irak sont encore sous le choc de nos attaques. Nous devons tirer les leçons de nos erreurs, mettre fin à notre politique de changement de régime et mettre en œuvre une politique de désescalade et de paix ».