Appel allemand pour « une nouvelle détente maintenant »

vendredi 16 décembre 2016, par Christine Bierre

Sputnik

Alors qu’aux États-Unis, l’establishment de la « guerre froide », déboussolé par l’élection d’un Donald Trump pressé de rétablir des relations de coopération avec la Russie, voit la main du Kremlin partout, en Allemagne, des personnalités de premier plan viennent au contraire de lancer un appel pour « Stopper la spirale de la violence et pour une nouvelle politique de paix et de détente maintenant ! ».

Initié par une trentaine de personnalités, dont Daniel Ellsberg, qui avait révélé les célèbres Pentagon Papers de la guerre du Vietnam, des dirigeants des principaux syndicats (ver.di et DGB), d’anciens conseillers d’Egon Bahr et du Centre Willy Brandt, tous deux pro-détente, de nombreux politologues, écrivains, journalistes et dirigeants de mouvements pour la paix protestants et catholiques, ainsi que par l’ancien responsable de la Conférence de la sécurité de Munich, cet appel a été endossé depuis par des centaines d’autres.

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Dans la foulée, d’autres initiatives ont été lancées dans une Allemagne où la chancelière Merkel, qui reste la principale alliée en Europe de la politique agressive d’Obama contre la Russie, semble indéboulonnable. Parmi les signataires de cet appel pour une « nouvelle détente », Gilbert Doctorow, un observateur averti de la Russie et coordinateur européen du Comité américain pour un accord Est-Ouest, vient de signer un article sur le même thème dans The Nation, repris depuis sur le site Consortium News.

Quatre autres personnalités ont signé cet article dont le célèbre opposant américain, Noam Chomsky, et le suédois Rolf Ekeus, qui avait présidé à la rédaction des principes de la Charte de Paris en 1990 et du document fondateur de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), ainsi qu’un député du SPD membre de la Commission des affaires étrangères du Bundestag, et un ancien secrétaire d’État de l’Alliance 90/Les Verts.

Cet article est un véritable appel aux Américains qui veulent une politique de détente en Europe, à agir pour que les deux principaux pays du continent, la France et l’Allemagne, changent de politique. Si les auteurs veulent croire que la France, avec la possible élection de François Fillon à la présidence, rétablira sa politique gaulliste de dialogue avec la Russie, ils désespèrent de l’Allemagne où la CDU et la CSU viennent de réélire à plus de 90 % la chancelière Merkel.

Ci-dessous l’appel allemand traduit en français.

Appel pour « Stopper la spirale de la violence et pour une nouvelle politique de paix et de détente maintenant ! »

Au cours de ces dernières années, l’OTAN et la Russie se sont engagées de plus en plus dans une politique de dissuasion l’une envers l’autre, fondée sur le réarmement et la menace, au lieu de travailler à construire la sécurité commune dans toute l’Europe, par des mesures visant à établir la confiance et la sécurité, le contrôle des armements et le désarmement. Ce faisant, elles ont échoué à tenir leurs engagements, qui étaient de développer un ordre européen de paix, renforcer les Nations unies et résoudre pacifiquement les conflits, notamment en faisant appel à une tierce partie – obligation à laquelle tous les chefs d’État d’Europe et d’Amérique du Nord ont souscrit lors de la Charte de Paris il y a vingt-cinq ans.

Durant les années qui ont suivi la signature de la Charte de Paris, beaucoup d’erreurs ont contribué à éroder la confiance si laborieusement bâtie et à entraver la résolution pacifique des crises et des conflits. L’absence de coopération avec la Russie fera naître des risques d’affrontement, de nouvelle course aux armements, d’escalade du conflit ukrainien et d’un regain de terreur et de guerres au Moyen-Orient, aggravant l’afflux de réfugiés. La sécurité européenne, quelle que soit l’évaluation de l’ordre social de chacun, ne sera pas possible sans coopération entre la Russie et ses voisins.

C’est la principale leçon à tirer de la politique de détente suivie dans les années 1960 et 70, et des contributions particulières apportées à cette politique par le président des États-Unis John Kennedy et le gouvernement du chancelier Willy Brandt en Allemagne, qui a reçu le prix Nobel en 1971 en récompense de sa « main tendue pour la réconciliation entre deux vieux ennemis ». Personne n’aurait cru à cette époque que moins de vingt ans plus tard, cette politique de détente créerait les conditions d’une chute pacifique du mur de Berlin et du rideau de fer en Europe centrale.

Aujourd’hui comme hier, la solution à l’impasse de l’affrontement n’est possible qu’à travers la coopération, la compréhension et la réconciliation entre ennemis supposés.

Début 2009, « l’architecte de la détente » Egon Bahr lançait, avec Helmut Schmidt, Richard von Weizsäcker et Hans Dietrich Genscher, un appel pour « un monde sans armes nucléaires », rappelant au président Obama récemment élu aux États-Unis que :

Le mot clé de notre siècle est ‘coopération’. Aucun problème global ne peut être résolu par l’affrontement ou l’utilisation de la force militaire.

Des positions semblables ont été exprimées aux États-Unis par toute une série de personnalités appartenant à tous les courants politiques, telles que George Shultz, William Perry, Henry Kissinger et Sam Nunn. Au Bundestag, en Allemagne, la CDU/CSU, le SPD, le FDP et l’Alliance 90/Les Verts se sont mis d’accord en janvier 2010 sur une résolution conjointe 17/1159, appelant « au retrait des armes nucléaires américaines d’Allemagne ». Avec l’escalade de la crise ukrainienne, le soutien aux accords de Minsk II et pour une « nouvelle détente » s’est accru.

Egon Bahr et d’autres ont réitéré les propositions pour réduire ou résoudre les conflits actuels par la détente. De nombreux citoyens les ont soutenus. Dans une déclaration conjointe, des représentants religieux, du monde des affaires, des partis politiques et de la société civile ont appelé à « une nouvelle politique de paix et de détente MAINTENANT ! ». Ces appels sont cependant restés largement absents des grands débats publics sur la sécurité.

Aujourd’hui, un débat public étendu et non-partisan en faveur d’une « nouvelle politique de détente maintenant » est plus nécessaire que jamais. La politique d’affrontement en Europe doit cesser et une zone européenne de « sécurité commune », de coopération entre tous les États de Vancouver à Vladivostok, bénéfique à tous, doit être créée.

Initiateurs de cet appel : Julia Berghofer (coordinatrice PNND Allemagne) ; Wolfgang Biermann (politologue, ancien conseiller de politique étrangère d’Egon Bahr) ; Pr Peter Brandt (historien, écrivain) ; Frank Bsirske (président du syndicat ver.di) ; Daniel Ellsberg (écrivain, chercheur à la Nuclear Age Peace Foundation, ancien responsable au Département d’Etat et de la Défense des États-Unis, à l’origine des révélations des Pentagon Papers sur la guerre du Vietnam ; Ulrich Frey (pacifiste à l’Église évangélique de Rhénanie, longtemps militant dans la Plateforme pour la gestion des conflits civils ; Gregor Giersch (Organization pour un dialogue international et la gestion des conflits IDC, Vienne) ; Reiner Hoffmann (président de la Fédération allemande des syndicats DGB) ; Andreas Metz (président et chargé de presse et des communications au Comité pour les relations avec l’Europe de l’Est) ; Dr Hans Misselwitz (du Cercle Willy Brandt, membre de la Commission des valeurs de base du SPD) ; Jörg Pache (historien) ; Wiltrud Rösch-Metzler (politologue, journaliste freelance, présidente nationale du Mouvement catholique pour la paix Pax Christi) ; Pr Götz Neuneck (pacifiste, Conférences Pugwash sur la science et les affaires du monde) ; Pr Konrad Raiser (théologien, ancien secrétaire-général du Conseil mondial des églises ; Rebecca Sharkey (coordinatrice nationale d’ICAN, UK) ; Christine Schweitzer (pacifiste, co-directrice de la Fédération allemande pour la défense sociale) ; Pr Horst Teltschik (ancien directeur de la Conférence de la sécurité de Munich, ancien directeur et sous-directeur du bureau de la Chancellerie) ; Alyn Ware (coordinateur des Parlementaires pour la non-prolifération et le désarmement, cofondateur de UNFOLD ZERO) ; Christian Wipperfürth (écrivain, Conseil des relations étrangères) ; Gabriele Witt (co-initiatrice de l’appel de Berlin) ; Burkhard Zimmermann (co-initiateur de l’appel de Berlin, responsable du site www.neue-entspannungspolitik.berlin) ; Andreas Zumach (journaliste).

Conseillers de ce groupe : Dr Ute Finckh Krämer (membre du Bundestag, co-président de la Fédération pour une défense sociale), Xanthe Hall, (IPPNW Allemagne), Martin Hinrichs (politologue, membre du conseil d’administration d’ICAN Allemagne), Pr Götz Neuneck (Fédération des scientifiques allemands, VDW, Conférences Pugwash sur la science et les affaires du monde), Hermann Vinke (journaliste et écrivain, ancien correspondant d’ARD internationale).

Lien de la page de l’appel : http://neue-entspannungspolitik.berlin/en/appeal/