France-Allemagne : adoptons le principe de la Nouvelle Route de la soie

samedi 19 novembre 2016, par Jacques Cheminade

Jacques Cheminade prenant la parole aux côtés de Helga Zepp-LaRouche lors du séminaire de Essen sur les perspectives ouvertes à l’Europe par le projet de Nouvelles Routes de la soie de la Chine.

Allocution de Jacques Cheminade, candidat à l’élection présidentielle de 2017, lors du séminaire de l’Institut Schiller organisé le 21 octobre à Essen (Allemagne) sur les perspectives ouvertes à l’Europe par le projet de Nouvelles Routes de la soie défendu par la Chine. Ce séminaire est le pendant de l’initiative franco-allemande de l’Institut Schiller, dont le premier volet était le séminaire qui s’est tenu à Lyon le 19 octobre.

En marge du séminaire à Essen, Helga Zepp-LaRouche, présidente du parti Büso (Burgerrechtsbewegung Solidarität) et Jacques Cheminade, ont fait une déclaration conjointe appelant à construire « Un train eurasiatique pour la paix » pour écarter la menace d’une nouvelle guerre mondiale.

France-Allemagne : notre mission commune, adopter le principe de la Nouvelle Route de la soie

Merci, Helga Zepp-LaRouche, et merci à tous ceux qui m’ont invité à prononcer des paroles fortes pour relever le défi de la situation mondiale actuelle.

Qui aurait pensé, il y a quarante ou même trente ans, que la Chine deviendrait un tel facteur déterminant dans le monde ? Qui aurait pu croire qu’on allait sortir de la pauvreté plus de 800 millions d’êtres humains ? Qui aurait imaginé voir un jour se réaliser le concept gagnant/gagnant défendu par la Chine au service des buts communs et d’une « communauté de destin » de l’humanité, alternative potentielle au désastre financier d’un système atlantique prédateur ? Qui aurait pu prévoir que le centre de gravité du monde allait se déplacer de l’Europe et des Amériques vers l’Asie ?

Qui ? Certainement pas les médias de masse ni les technocrates occidentaux, qui, perdus dans la contemplation de leur nombril, n’ont toujours pas compris cette dynamique de changement, à part lorsqu’ils sont réveillés par la peur que quelque chose d’étranger ne vienne perturber leur cupidité.

Ce que nous avons devant nos yeux, et que ces médias et technocrates refusent de voir, c’est le plus vaste projet d’industrialisation et de développement jamais conçu, de loin plus étendu que le Plan Marshall, par exemple, et de loin plus avancé en intention et direction. En effet, la Nouvelle Route de la soie, étendue au concept mondial « Une ceinture, une route », représente, qu’on le veuille ou non, l’alternative à un affrontement nucléaire entre les États-Unis et la Russie, et l’alternative à un Tchernobyl financier de notre côté de l’Atlantique. Le proverbial « Mid-Atlantic Man » du siècle dernier est devenu un pirate narcissique, opérant au sein d’une société criminogène et se comportant comme le fils d’Obama ou de Dick Cheney.

Vue d’en haut, la dérégulation du « moment Thatcher », marquée par le début d’une époque de pillage insensé, la pensée « court-termiste » et l’obsession du gain immédiat, a été précédée et suivie d’une dérégulation des comportements moraux enfantée par Woodstock et la contre-culture de Mai 68.

Cela a touché aussi bien les États-Unis que l’Europe, mais le pire est que, dans les cercles « respectables » du pouvoir, personne ne s’y oppose, et pire encore, que le thatchérisme, source du mal actuel, est présenté comme une solution. La couverture du 6 octobre dernier de l’hebdomadaire Le Point le dit ouvertement en répandant le message de l’Empire britannique en faveur d’une austérité brutale.

La Nouvelle Route de la soie, étendue à « Une ceinture, une route mondiale », ouvre au contraire la voie à une pensée à long terme et à un progrès économique partagé, porte de sortie d’un système de pillage financier et d’affrontement géopolitique. La Nouvelle Route de la soie, soutenue par les nouvelles institutions bancaires des BRICS, est une ceinture longeant une route, irradiant le développement sur son passage. Un réseau de transport ferroviaire rapide fait rayonner un développement néguentropique et jette un pont entre la Chine et le monde. Par définition, ceci est antagoniste avec le capital fictif produit par notre système financier et pose les bases d’une plateforme pour des investissements infrastructurels mondiaux.

Très concrètement, lors du sommet du G-20 à Hangzhou, le président chinois Xi Jinping a proposé de transformer le G-20, « d’un mécanisme de réponse de crise en mécanisme de gouvernance à long terme », appelé à « jouer un rôle majeur pour répondre à toute crise économique éventuelle ». Il ne s’agit pas d’une simple option réactive, mais d’une initiative définissant l’environnement pour de nouvelles options de développement mutuel.

De Gaulle-Adenauer : une communauté de principe

Le chancelier Konrad Adenauer reçoit le Général de Gaulle à Bon en 1962.

Dans ce contexte, il existe un point particulièrement intéressant pour nous, citoyens allemands et français. Nous avons perdu l’esprit de la communauté de destin. Voici exactement l’occasion de le retrouver en nous engageant ensemble sur cette route vers le futur que nous ouvre la Chine. Pour nous, cette participation mutuelle doit être l’occasion de nous libérer de l’emprise mortelle de la finance, et de recouvrer, à travers une participation commune à ce projet, le meilleur de notre culture et notre véritable identité européenne, en tant que patriotes et citoyens du monde, parlant chacun notre propre langue avec un sens d’être ensemble. Par la nécessité d’un travail commun avec la Chine en tant qu’Européens, nous, Français, devrons réapprendre à parler l’allemand, de même que vous, les Allemands, le français, en particulier ceux qui travaillent en Afrique francophone. Ainsi, adopter le principe de la Route de la soie ne signifie nullement aliéner nos identités mais les renforcer mutuellement.

Est-ce paradoxal de dire que l’initiative chinoise va revigorer notre alliance ? Pas du tout, car cela s’est déjà passé jadis et avait un nom : Leibniz et la science leibnizienne de l’économie physique. Au XVIIe et XVIIIe siècle, le grand philosophe allemand, qui était également français par sa participation à l’Académie des sciences de Colbert, avait compris que l’avenir du monde dépendait d’une coopération scientifique, culturelle et économique entre ce qu’il appelait « les deux extrémités les plus développées de l’Eurasie », entourant la Russie et l’Asie centrale. Leibniz travaillait avec un groupe de scientifiques jésuites, tel que le père Gerbillon, organisateur du traité de Nerchinsk (le premier traité de paix sino-russe) et le père flamand Verbiest, qui enseignait à l’Empereur Kangxi. Leibniz concevait que les sources de l’évangélisme chrétien étaient non seulement compatibles, mais en accord avec la vraie tradition confucéenne dans la réalisation de ce qui unit la nature morale de l’homme avec l’univers, la véritable identité créatrice de l’homme.

C’est alors que les forces impériales britanniques et les agents de la Compagnie des Indes orientales sont intervenus pour saboter ces efforts. En 1794, Lord Macartney, après avoir été ambassadeur en Chine, mentionne dans son journal la menace de la « force chinoise » et le « poids des riches et des génies » de la Grande-Bretagne. Il anticipait cependant des « rivalités et du désordre » au sein de l’Empire chinois, qui, habilement utilisés, seraient « bénéfiques à notre royaume ». Le compte-rendu officiel de sa mission, écrit par Sir George Staunton, est du même ton. Tous deux mettent en garde contre une population chinoise d’environ 350 millions à l’époque, impliquée dans des domaines avancés de la science et de la mécanique, une réalité dangereusement antagoniste avec le système britannique monarchique et monétariste.

L’Empire britannique, fidèle à sa tradition de « diviser pour régner », commença à promouvoir des conflits en Asie, jusqu’à imposer le commerce de l’opium pour détruire non seulement la Chine, mais le lien unissant la culture chinoise à la vraie culture européenne de Leibniz et de ses disciples.

Aujourd’hui nous avons affaire au même ennemi, devenu anglo-américain – ce « cerveau britannique avec les muscles américains ». Aussi, notre communauté d’intérêts avec la Chine actuelle consiste à faire revivre l’approche de Leibniz et à libérer notre monde occidental de sa soumission à la City de Londres et à Wall Street.

Ce n’est ni un rêve ni un schéma ; c’est une réalité dont la réalisation dépend de notre volonté commune en tant qu’Allemands et Français, avec l’ensemble des peuples et cultures européennes. Je ne prétends pas que ce sera facile ; cela demande du courage, de dire la vérité et de lutter pour elle jusqu’au bout.

Ce n’est que lorsqu’on regarde l’histoire d’en bas que cette voie semble une impasse. Étant donné les circonstances de notre faiblesse mortelle occidentale, le gouvernement chinois réclame le statut d’économie de marché pour pouvoir exporter davantage en Europe, tandis que les États-Unis tentent de nous imposer le TTIP/TAFTA pour écraser notre indépendance. La seule solution est donc de regarder le problème d’en haut.

Ce n’est pas par une compétition dérégulée entre produits européens et chinois que le dilemme peut être tranché. C’est au niveau d’accords intergouvernementaux qu’une solution pourra être trouvée, dans le cadre du projet de Nouvelle Route de la soie, devenant une Route mondiale pour le développement mutuel de tous. C’est au niveau de ce qu’on pourra et de ce qu’on fera ensemble qu’un avenir commun se dessine : ni dans une compétition à mort, ni dans une géopolitique suicidaire, mais dans un développement partagé de projets à réaliser d’un commun accord, tel que le programme spatial Lune-Mars, la transformation en zones d’aquaculture des océans et des mers actuellement livrés au pillage financier et le développement de l’Afrique. Nous, Européens, devons rejoindre les BRICS pour atteindre des buts communs, unissant nos forces pour entraîner les États-Unis dans cette entreprise mutuellement bénéfique, hors de portée de la perversion impériale et géopolitique.

Résoudre la crise des migrants

Nouvelle Solidarité N° 9/2015 - s’abonner

Parlons maintenant des choses qui fâchent. Vous savez tous que des milliers de migrants se noient en Méditerranée et qu’ils sont plus nombreux encore à mourir en traversant les déserts d’Afrique centrale pour atteindre la mer.

Cependant, ce que vous ignoriez sans doute, c’est que toutes les lois les plus sacrées du comportement humain sont violées dans cette expédition. En particulier la plus ancienne, l’impératif moral de secourir les gens menacés de noyade. Mes amis de l’ONG Médecins du monde m’ont confirmé qu’aussi bien les bateaux de conteneurs que les tankers pétroliers et gaziers, non seulement refusent de s’arrêter pour venir en aide aux migrants en danger, mais les repoussent à coup de lances à eau ! C’est un des crimes les plus abominables qu’on puisse imaginer.

Pourquoi est-il commis ? Parce que les capitaines et les équipages de ces bateaux travaillent en flux tendu, c’est-à-dire qu’en cas de retard, leur employeur perd de l’argent et ils se verront alors sanctionnés, voire licenciés. Sans oublier qu’ils risquent d’être mis en quarantaine avec les gens auxquels ils auraient porté secours ! Si cela peut expliquer leur comportement, cela n’enlève rien à leur responsabilité.

La question qui se pose alors est de savoir qui porte la responsabilité finale pour les crimes commis en mer ou dans les déserts africains ? En premier lieu, on doit accuser les politiques des États-Unis et de nos pays européens : les guerres de l’OTAN, qui détruisent les pays du Moyen-Orient, ainsi que le soutien apporté par nos alliés saoudiens et qatari aux criminels djihadistes.

Et derrière cela, l’argent des services secrets britanniques et américains et, pas si secrets, français. Le deuxième et principal criminel à l’œuvre est notre système financier, qui place le profit financier à court terme avant la vie humaine. En ce sens, nous sommes en effet devenus une « culture de la mort ».

Est-ce que je m’éloigne du sujet de la Nouvelle Route de la soie en parlant de cela ? Pas du tout, parce que c’est cette politique qui nous offre une alternative. Si nous voulons mettre fin à des crimes de ce type, nous devons bâtir un monde défini par autre chose que des provocations de guerre et la loi du profit à court terme.

C’est l’approche du principe de la Route de la soie ! Pour enrayer le flux de migrants auquel l’Europe s’avère incapable de faire face, puisque le même système financier sous lequel on commet ces crimes en mer nous empêche tout autant de créer des emplois ici, nous devons changer de paradigme.

En premier lieu, il s’agit d’arrêter les guerres au Moyen-Orient. Ensuite, d’éradiquer les racines de ces guerres et enfin, de reconstruire toute la région afin d’y créer les conditions permettant aux gens de rentrer chez eux, de retrouver leur maison, ou de les quitter non plus par nécessité et désespoir, mais par choix.

Depuis plus de deux ans, nous, les pays occidentaux, prétendons combattre Al-Qaïda, Daech et leurs alliés, du moins sur le papier et depuis le ciel, sans nous attaquer à leurs sources financières, laissant ainsi leur influence criminelle se répandre au lieu de l’éradiquer. Notre guerre contre le terrorisme, autant que notre guerre contre la drogue, sont des guerres de façade. Devant notre complaisance à l’égard des gangs djihadistes, c’est l’intervention de la Russie de Vladimir Poutine qui a créé les conditions pour mettre ces criminels hors d’état de nuire. Cependant, afin d’empêcher qu’après la libération de Mossoul et d’Alep, cette vérole ne se répande alentour, nous devons reconstruire au plus vite les nations de la région, en commençant par l’Irak et la Syrie.

Dans le cadre de sa Nouvelle Route de la soie, la Chine a proposé un fonds de 30 Mrd $ à cet effet. Il serait sage et juste pour nos pays d’y ajouter plusieurs milliards supplémentaires, au lieu d’émettre 80 Mrd € par mois de fausse monnaie pour alimenter la maladie monétariste de notre système bancaire, ce qui revient à mettre un cadavre sous perfusion.

Cette perspective d’un vrai processus de reconstruction des nations au Moyen-Orient et ailleurs, mettra fin instantanément à l’emprise du profit financier, qui conduit certains capitaines et leur équipage à abandonner les migrants à une mort horrible.

Une fois de plus, est-ce un rêve ? « Un rêve angélique humaniste », comme l’affirment ceux qui ne sont guidés que par la cupidité ? Pas du tout. C’est un processus par lequel nous pouvons retrouver notre humanité, et en même temps, le principe de croissance économique mutuelle. En tant qu’Européens, nous devrions le savoir mieux que quiconque, puisque c’est sur la base de ce principe, faisant appel à un véritable capital humain, que nous avons reconstruit nos pays après les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale.

Enfin, en tant que Français et Allemands, c’est-à-dire en tant que peuples en train de perdre leur base industrielle et énergétique, nous devons redécouvrir ce principe en nous projetant dans un avenir possiblement meilleur. Combattons pour la cause de nos peuples et celle de l’humanité comme une seule et même cause, car si nous ne le faisons pas, nous serons inévitablement sanctionnés par un chaos économique, au cœur d’un monde criminogène menant à une nouvelle guerre mondiale. C’est quand le tigre est blessé qu’il est le plus dangereux : cessons donc de nous comporter comme des tigres. Engageons-nous dans un partenariat d’esprit afin de construire ensemble ce monde magnifique esquissé par les orateurs précédents. Devenons ces patriotes et citoyens du monde que le poète allemand Friedrich Schiller considérait comme la véritable identité humaine.

Merci.