Finance folle, fin de partie ?

mercredi 24 février 2016, par Christine Bierre

Chute des bourses, effondrement de l’économie réelle, dégradation des conditions de vie des populations, recul démographique : au lieu de nier la réalité, nos dirigeants doivent museler la finance folle en coupant les banques en deux.

L’effondrement en dents de scie des bourses s’est poursuivi, sans que rien ne semble pouvoir l’arrêter, et ce, malgré le fait que les banques centrales continuent, hormis une mini-pause de la FED, à injecter massivement des liquidités dans le système.

En 2008, le blâme de la crise avait été porté sur les seuls subprimes. A tort car, comme S&P l’avait souligné, ils n’étaient que l’élément déclencheur d’une crise globale. Aujourd’hui c’est le système tout entier qui est devenu fou.

Deux éléments de réalité sont importants à signaler, cependant, dans le tohubohu provoqué par cet effondrement. Le premier est l’économie réelle, qui est en train de se rappeler au bon souvenir de l’économie virtuelle, à la façon du Commandeur dans le Don Giovanni de Mozart, venu de l’autre monde lui signaler que le jour du jugement dernier était arrivé.

La dégringolade des bourses est due en grande partie à la chute du prix de pétrole, elle-même due au ralentissement économique de l’économie mondiale. La Chine fait figure d’accusée, mais la véritable cause de ce ralentissement est l’état proche de la déflation des pays de la zone transatlantique, grands acheteurs de produits chinois. La Chine, en effet, tirait à elle seule 50 % des échanges mondiaux ; ce chiffre monte à 75 % si l’on ajoute les autres grands émergents.

C’est une situation qui nous rappelle la désormais célèbre « triple courbe » de notre ami l’économiste américain Lyndon LaRouche.

Au fur et à mesure que la spéculation financière se développe dans une économie, on voit la courbe de l’économie réelle chuter, et celle des actifs financiers et de l’émission de liquidités s’envoler. Au moment où la courbe des émissions monétaires vient à dépasser celle des actifs financiers, c’est l’explosion du système.

Aujourd’hui, les émissions exorbitantes des banques centrales, destinées à renflouer les banques depuis 2008 – 4,5 trillions au bilan de la FED, dont plus des 3/4 depuis la crise de 2008 – ne sont pas du tout allées à l’économie réelle. Elles ont « entraîné depuis trois ans la formation de deux bulles : l’une sur les bourses, l’autre sur le pétrole », explique Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’université Paris XIII, cité par Libération. 20 000 milliards de dollars serait la liquidité totale aujourd’hui sur les marchés, selon Patrick Artus et Marie-Paule Virard, qui viennent de publier La Folie des banques centrales. « L’argent est allé de banque en banque, dit de son côté l’économiste François Morin, elles l’ont investi sur les marchés financiers. » Le manque de confiance est devenu tel que, comme en 2008, le marché interbancaire est de nouveau pratiquement gelé.

Révolte contre le bail-in

Autre élément fort de réalité, les clients des banques ont pris connaissance des régulations adoptées par l’UE dans le sillage de la crise financière, profitant de l’effet « état d’urgence » suscité par la crise de 2008. Les banques opérant dans l’UE viennent d’envoyer des courriers à leurs clients, les informant des procédures de « bail-in » qui vont remplacer celles du « bail-out ». Prétextant ne plus vouloir faire payer les contribuables (bail-out) en cas de crise systémique, les régulateurs ont opté pour le « bail-in » : faire payer, dans l’ordre, les actionnaires, les créanciers obligataires et les simples clients de la banque ! Dans ces lettres, les banques informent leurs clients qu’en cas de problème, seuls les dépôts de moins de 100 000 euros seront garantis ; les comptes dépassant ce seuil pourront, quant à eux, être ponctionnés.

Or, bon nombre de banques « trop grosses pour faire faillite » sont soit criblées de créances douteuses – les banques italiennes viennent de reconnaître entre 200 et 400 milliards d’euros de créances douteuses – soit proches de la faillite. C’est le cas du géant Deutsche Bank, qui vient d’afficher des pertes de plus de 6,7 milliards d’euros et qui a perdu 50 % de sa valeur depuis le 1er novembre 2015. Pour Benjamin Coriat, c’est « le passage du bail-out au bail-in » qui provoque cette panique. « C’est la poudre d’escampette à la Deutsche Bank : les actionnaires vendent à tour de bras. »

Quid des banques françaises ?

La panique sur son titre de Deutsche Bank a été aussi alimentée par un communiqué du 8 février, qui visait, au contraire, à rassurer ses clients sur sa capacité de rembourser, le 30 avril, 350 millions en coupons d’obligations convertibles (CoCoS). Il s’agit de titres hybrides convertibles en actions, justement dès qu’une procédure de « bail-in » serait décrétée !

Or, pour renforcer leurs ratios exigés par Bâle III, les banques, y compris françaises, ont toutes émis énormément de ces obligations. Selon Bloomberg, la Société générale (celle qui en a émis le plus) en aurait pour environ 6,1 milliards d’euros, le Crédit agricole pour 5 milliards, BNP Paribas se limitant à 2 milliards d’euros.

Autre critère réel dans l’actuelle chute du système, nous l’avons dit, la chute du prix du pétrole en dessous de 30 dollars le baril, qui entraîne avec elle des centaines de milliers de milliards de dollars en paris à haut risque. L’Europe aurait englouti à elle seule 3500 milliards d’euros dans ce fiasco, dont 500 milliards pour la France, croit savoir Libération.

Confirmant la déroute de ce marché, BNP Paribas annonçait, le 11 février dernier, le gel de ses financements adossés à des réserves d’hydrocarbures (RBL) en Amérique du Nord. Après avoir quitté ce secteur en 2012, dans le cadre de la réduction de ses activités en dollars, elle y était revenue en 2014, quoique de façon limitée.

On le voit, le système devient fou, et la seule façon d’en reprendre le contrôle avant qu’il n’explose, avec les conséquences gravissimes que l’on sait, est de lui appliquer la réforme défendue inlassablement par Jacques Cheminade, S&P et leurs amis à l’échelle internationale : seule une séparation stricte entre banques utiles à l’économie réelle et banques spéculatives (Glass-Steagall Act) peut amorcer un changement en profondeur. Le ministre des Finances italien, s’adressant au Parlement, vient d’affirmer qu’il y est favorable, mais que les autres pays de l’UE (dont la France) s’y opposent.