Affaire de Suez, affaire de Syrie : rompre notre entente avec l’Empire britannique

jeudi 13 juin 2013, par Christine Bierre

Novembre 1956 : Américains et Soviétiques coupaient court à l’expédition coloniale des Empires français et britannique au Proche-Orient. C’était l’expédition de Suez, montée par les Français, les Britanniques et les Israéliens, pour récupérer le contrôle du canal de Suez que le Président Nasser d’Egypte venait de nationaliser.

8 mai 2013 : dans un contexte certes différent, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, décident de mettre fin à la salle guerre lancée par Britanniques, Français et Américains contre la Syrie, en vue de chasser Bachar al-Assad du pouvoir. Et, comme en 1956, Français et Britanniques tentent malgré tout d’imposer leur volonté belliqueuse.

Le contexte est différent, car si dans le premier cas, le président américain Eisenhower a tout simplement refusé d’impliquer son prestige et celui de son pays dans cette guerre coloniale, dans le deuxième cas, c’est contraints par l’évolution inquiétante de la crise économique chez eux, par l’échec de leur stratégie contre le régime de Bachar al-Assad, et par la très réelle menace que le conflit n’allume une troisième Guerre mondiale, que les États-Unis ont finalement jeté l’éponge.

Les tenants des théories du pouvoir fondées sur les rapports de forces jugeront, cyniques, que Soviétiques et Américains ont mis fin aux agissements franco-britanniques de l’époque, pour asseoir leur propre pouvoir à leur place. C’est ne pas comprendre qu’Eisenhower était l’héritier de Franklin Roosevelt, tant au niveau de son attachement au progrès économique que de son aversion des pratiques coloniales de l’Empire britannique, au point d’être prêt à s’allier avec l’Union soviétique quand la perfide Albion relevait la tête.

De cela, il ne reste plus grande chose dans les États-Unis d’aujourd’hui. Barack Obama s’est incliné devant l’Empire britannique, et il n’y a plus que certains cercles institutionnels et militaires autour du chef d’état-major interarmées Martin Dempsey pour tenter de sauvegarder la paix, en gardant le contact avec militaires russes et chinois.

Les leçons de Suez

En voyant MM. Hollande et Fabius faire cause commune avec l’Empire britannique dans l’affaire syrienne, il est urgent pour nous, patriotes français, de voir, en prenant la crise de Suez comme un cas d’école, à quel point les ententes avec l’Empire britannique nous ont toujours été nuisibles.

Carte indiquant les opérations de l’expéditions franco-britannique de 1956

Le 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser décide de nationaliser le canal de Suez, en réaction à la décision américaine de renoncer à l’accord de principe donné en février 1956 pour la construction du Haut barrage d’Assouan. Patriote, Nasser veut développer son pays, et ce projet de 1,2 milliard de dollars permettrait de doubler, voire de tripler ses surfaces irrigables. Il pense alors pouvoir financer le barrage grâce aux revenus du canal.

Le contexte international était celui de la Guerre froide, et malgré le fait que Nasser était un dirigeant exceptionnel des pays non-alignés de cette époque, dont l’indien Nehru était la figure de proue, la crainte qu’il passe côté soviétique amena les États-Unis à retirer leur accord le 19 juillet 1956.

Or, la Compagnie du Canal de Suez qui gérait la collecte du péage sur le canal, appartenait essentiellement aux Anglais et aux Français, qui possédaient respectivement 44% et 52% des parts.

Bien que le gouvernement égyptien proposa d’indemniser les deux pays, ceux-ci penchèrent tout de suite pour l’action militaire, comme le montre le premier télégramme envoyé par le Premier ministre britannique, Anthony Eden, à Eisenhower : « ... il est peu probable que nous puissions atteindre notre objectif par les seules pressions économiques (...) Mes collègues et moi-même sommes convaincus que nous devons être prêts, en dernier recours, à utiliser la force pour ramener Nasser à la raison. »

A deux reprises, le 16 août et le 19 septembre, Eisenhower tenta de trouver une solution pacifique au conflit en proposant d’abord qu’une commission internationale, puis une organisation d’utilisateurs, gère le canal. Nasser rejeta les deux propositions.

Le premier ministre Britannique Anthony Eden saluant le Président du Conseil Guy Mollet avant l’expédition coloniale conjointe de 1956
Corbis images

Entre-temps, face à l’hostilité déclarée d’Eisenhower à l’emploi de la force, Français, Britanniques et Israéliens complotèrent en secret. Le contexte poussait aussi Israéliens et Français à vouloir en découdre. Nasser hébergeait au Caire les dirigeants du FLN déjà en lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Quant aux Israéliens, Nasser leur avaient bloqué l’accès au Golfe d’Aqaba et au canal.
Le 16 octobre, lors d’une rencontre à Paris Anthony Eden et Guy Mollet se mettent d’accord sur la nécessité d’une intervention militaire, mais les Britanniques qui craignent de perdre le soutien des pays arabes ne veulent pas se dévoiler. Une machination fut donc montée. Le 22 octobre, une rencontre secrète eut lieu à Sèvres, entre Guy Mollet, un représentant britannique, le Premier ministre israélien David Ben Gourion, son chef d’état-major Moshe Dayan et Shimon Peres.

Le Protocole secret de Sèvres est adopté. Il stipule : « L’État hébreu attaquera l’Égypte le 29 octobre 1956 dans la soirée et foncera vers le canal de Suez. Profitant de cette agression ’’surprise’’, Londres et Paris lanceront le lendemain un ultimatum aux deux belligérants pour qu’ils se retirent de la zone du canal. Si l’Égypte ne se plie pas aux injonctions, les troupes franco-britanniques entreront en action le 31 octobre » pour rétablir par la force leur contrôle sur le Canal.

A partir du 29 octobre, tout se passa comme prévu, à la grande fureur d’Eisenhower qui déclara à la télévision américaine : « Les États-Unis n’ont pas été consultés (...) Ils n’ont pas non plus été informés à l’avance. (...) Nous pensons que les actions entreprises sont une erreur. Car nous n’acceptons pas l’utilisation de la force comme un instrument de sagesse adéquat au règlement des différends internationaux. »

A la grande fureur aussi des Soviétiques, dont le Maréchal Boulganine, président du Conseil des ministres de l’URSS, menace d’utiliser des armes nucléaires si la progression des Français et des Britanniques n’est pas arrêtée.

A partir de ce moment là, Eisenhower fit plier les comploteurs français et britanniques en leur bloquant tout accès au pétrole qui, pour l’essentiel, passait par le canal de Suez. La pénurie d’énergie provoqua à son tour une grave crise financière, notamment à Londres, qui fit fléchir le gouvernement anglais en premier.

Le 6 novembre 1956, à minuit, a pris fin l’expédition de Suez. Toutes les troupes seront retirées le 22 décembre. Ce fut la dernière expédition coloniale française avec l’objectif d’occuper un pays.