L’ombre de l’accord Sykes-Picot plane sur l’Asie du Sud-Ouest

mardi 21 février 2006

[sommaire]

par Muriel Mirak-Weissbach

Le plan anglo-français pour le partage du Moyen-Orient, à l’époque de la Première Guerre mondiale, jette une lumière instructive sur les tractations actuelles dans la région. On y retrouve les mêmes aspirations impériales, visant à redessiner la carte politique et à créer des sphères d’influence. Muriel Mirak-Weissbach, la correspondante de la revue Executive Intelligence Review pour l’Asie du Sud-Ouest, nous livre ici quelques réflexions sur l’accord Sykes-Picot de 1916.

Pourquoi Jacques Chirac mène-t-il une croisade pour un changement de régime à Damas, après avoir promu une campagne internationale pour expulser les troupes syriennes du Liban et reconfigurer le paysage politique à Beyrouth ? Est-ce à cause de l’assassinat de son vieil ami le Premier ministre libanais Rafic Hariri, comme certains l’affirment ? Tient-il le gouvernement syrien pour responsable du crime ?

Si tel est le cas, pourquoi le chef d’Etat français menace-t-il aussi l’Iran ? Le 19 janvier, Jacques Chirac a annoncé que la France aurait recours à l’arme nucléaire contre des Etats jugés « terroristes » et quiconque entend attaquer la France. Sa déclaration a été interprétée non seulement comme une adhésion à la doctrine de guerre nucléaire préemptive de Dick Cheney, mais comme une menace directe envers la République islamique d’Iran.

Jusque-là, c’était le Premier ministre britannique Tony Blair qui encourageait l’escalade des tensions vis-à-vis de la Syrie et, surtout, du programme nucléaire iranien. Ce sont les Britanniques qui insistaient pour transférer le dossier iranien au Conseil de sécurité de l’ONU, comme prélude à des frappes militaires. Maintenant, le gouvernement français les soutient. Pourquoi ?

« Les ombres de Sykes-Picot - le Foreign Office britannique soutenu par la France - ont joué un rôle dominant en Asie du Sud-Ouest », a déclaré Lyndon LaRouche le 6 janvier, en référence aux attaques contre la Syrie. Aujourd’hui, alors que la crédibilité américaine diminue dans le monde, en raison de l’attitude inadmissible du gouvernement Bush-Cheney, et que la coopération entre l’Allemagne et la Russie se renforce, y compris dans le domaine du gaz naturel, « Londres s’efforce de prendre le contrôle de la situation en Asie du Sud-Ouest, à la place du gouvernement américain. Ceci remet sur le devant de la scène de vieux modèles de manipulation de conflits datant du début du XXème siècle. »

On peut en effet difficilement comprendre les implications de la nouvelle orientation de la politique étrangère française depuis 2002-2003, sans les situer dans le contexte historique des accords que la France coloniale a passés au début du XXème siècle avec la Grande-Bretagne coloniale, pour la conquête et le partage d’importantes parties du Moyen-Orient. L’accord Sykes-Picot de 1916 fut un arrangement secret signé entre Anglais et Français pour redessiner la carte de l’Asie du Sud-Ouest, attribuant aux deux puissances coloniales des zones de contrôle direct et des sphères d’influence, comme nous le verrons plus loin.

Une version moderne de cet accord est prévue dans le plan Clean Break (Rupture nette). Rédigé en 1996 par un groupe de travail sous la direction de Dick Cheney, il fut adopté à l’époque par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et mis en œuvre à partir de la guerre d’Irak, en 2003. Ce plan prévoit des changements de régime (au moyen de guerres et de putschs) en Irak, en Syrie, au Liban et en Iran.

En 1991, la France s’est associée à l’opération Tempête du Désert, sans rien recevoir en retour. En 2002-2003, elle s’opposa aux plans de guerre anglo-américains et refusa de participer à la guerre. Aujourd’hui, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne contrôlent de vastes réserves de pétrole dans l’Irak occupé et la France se retrouve de nouveau les mains vides. Une vieille impulsion impériale ressurgit et Paris veut sa part du gâteau.

Une guerre géopolitique

La Première Guerre mondiale fut une guerre géopolitique de la Grande-Bretagne, orchestrée par le Prince de Galles (plus tard Edouard VII) bien avant son éclatement même, en vue de briser surtout la coopération entre l’Allemagne, grande puissance économique, et la Russie. Le fait que l’Allemagne de Bismarck, la Russie d’Alexandre II et d’autres pays encore commençaient à adopter le « système américain » de développement économique, qui avait fait ses preuves aux Etats-Unis, représentait une véritable menace pour le pouvoir impérial britannique. Le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad incarnait, en quelque sorte, cette menace. Pour préserver l’hégémonie de son système financier oligarchique, sur lequel reposait son empire, la Grande-Bretagne opta pour la guerre.

Parallèlement, elle comptait démanteler l’Empire ottoman, qui se trouvait dans l’orbite allemande, et mettre en place des régimes fantoches dirigés par des monarques arabes, dans le contexte du partage global de la région en sphères d’influence. La France, trahissant l’intention de la République, allait devenir son partenaire, même si, comme il arrive souvent dans des accords entre forces impériales rivales, chacune entendait tromper l’autre.

La France avait déjà connu des rivalités inter-impérialistes avec la Grande-Bretagne, surtout en Afrique, où elle avait une sphère d’influence à protéger et, si possible, à étendre. Pour donner quelques grandes dates, depuis le XVIIème siècle, la France avait établi une présence en Afrique du Nord, à travers ses comptoirs commerciaux. Au milieu du XIXème siècle, elle avait occupé l’Algérie, puis Tunis, en 1881. En 1882, l’Angleterre s’empara de l’Egypte (le domaine de Napoléon près d’un siècle auparavant). En 1897, Lord Kitchener remporta la victoire sur le mouvement national soudanais dirigé par le Mahdi. L’Angleterre régnait en Egypte, et à travers elle, au Soudan. A Fachoda en 1898, elle mit fin à l’expansionnisme français. Puis, en vertu d’un accord conclu entre les deux rivaux en 1904, la France laissa les mains libres à l’Angleterre en Egypte, en échange d’une zone d’influence française au Maroc.

A la veille de la Première Guerre mondiale, toute l’Eurasie était dominée par les puissances impériales. La Russie avait acquis ce qu’on appelle aujourd’hui l’Asie centrale (Kazakhstan, Turkestan, les Khanates de Khiva, Boukhara, Tachkent, Merv, Samarkand), englobant la moitié de la Perse dans sa zone d’influence. La Grande-Bretagne détenait un autre morceau de la Perse, en vertu de l’accord anglo-russe de 1907, et contrôlait des émirats arabes dans la région du golfe Persique ; elle administrait l’Egypte, Chypre et Aden sur la mer Rouge, et l’Afghanistan se trouvait dans sa sphère d’influence.

Le reste (sauf le désert arabe) faisait partie de l’Empire ottoman, dont le Sultan régnait sur diverses populations ethniques : Slaves, Arabes, Grecs, Arméniens et Juifs. Chez les puissances impériales, la Russie orthodoxe revendiquait son droit de protéger les peuples orthodoxes, présents dans les Balkans et au Proche-Orient, tandis que les Français étaient les protecteurs des catholiques, notamment des chrétiens maronites dans les provinces syriennes.

Suite aux guerres des Balkans de 1912-1913, une guerre générale éclata, opposant l’Entente entre la France, la Russie et la Grande-Bretagne à l’Allemagne, l’Empire ottoman (à l’époque dirigé par le parti des Jeunes Turcs) et l’Empire austro-hongrois.

Projets pour l’Arabie d’après-guerre

Figure 1.
Le Moyen-Orient en 1914.

Le plan de guerre britannique (en dépit des querelles d’élite sur les détails) était simple et direct : faire en sorte que des forces arabes montent une révolte apparemment « autonome » contre l’oppresseur ottoman, briser l’Empire ottoman en mille morceaux et redessiner la carte avec des « Etats » arabes entièrement nouveaux, gouvernés par des fantoches britanniques (Figure 1). Les Français, qui soutenaient ce projet, devaient avoir leurs propres marionnettes dans les zones d’influence qui leur étaient réservées.

Le cerveau de cette opération était le maréchal Horatio Herbert Kitchener, connu comme le boucher du Soudan, qui occupait les fonctions de pro-consul en Egypte. En août 1914, il quitte ce poste pour devenir ministre de la Guerre, et dans le cadre des hostilités contre l’Empire ottoman, la Grande-Bretagne proclame son protectorat sur l’Egypte, aux dépens de celui-ci.

A la recherche d’un dirigeant arabe fantoche, Kitchener choisit le descendant de la dynastie hachémite, Hussein ibn Ali, émir et « chérif » de La Mecque. Hussein dirigeait alors le Hedjaz (au nord-ouest de l’Arabie saoudite, sur le golfe d’Akaba et la mer Rouge), placé sous la domination du sultan ottoman. A la prise du pouvoir par les Jeunes Turcs, en 1908, Hussein craint l’ingérence de ce nouveau pouvoir sur son territoire tandis que deux de ses fils, Abdallah et Fayçal, tous deux députés au Parlement ottoman, redoutent le renversement de leur père par ce même régime. Ils sont donc réceptifs aux avances faites par les Britanniques.

C’est Gilbert Clayton, l’agent au Caire de sir Henry McMahon, le nouveau proconsul d’Egypte, qui avait encouragé Kitchener à prendre contact avec la famille de l’émir de la Mecque. Clayton entretient des contacts avec divers groupes d’exilés et autres sociétés secrètes arabes au Caire, qui semblent penser que d’autres dirigeants arabes seraient prêts à se rebeller contre le Sultan à condition de pouvoir se rallier derrière un dirigeant fiable.

Dans un mémorandum adressé le 6 septembre 1914 à Kitchener, Gilbert Clayton propose comme favori des Britanniques le fils Abdallah, qui aurait le soutien d’autres dirigeants arabes. Abdallah avait rencontré Kitchener en 1912 ou 1913, et à nouveau en 1914, ainsi que Ronald Storrs, le secrétaire de Kitchener au Caire. Avant de trancher, le ministre de la Guerre veut connaître l’attitude des autres dirigeants arabes en cas de guerre, et dans cette optique, il dicte à Storrs, par télégramme, ce qu’il doit dire à Abdallah :

Si la nation arabe soutient l’Angleterre dans cette guerre que la Turquie lui a imposée, l’Angleterre assurera l’absence de toute intervention interne en Arabie et accordera aux Arabes toute assistance contre une agression étrangère.

Dans une dépêche ultérieure en provenance du bureau du Caire, il est précisé que les Arabes de « Palestine, Syrie et Mésopotamie » obtiendront leur indépendance, garantie par la Grande-Bretagne, s’ils se soulèvent contre l’Empire ottoman.

Ainsi, Kitchener et son groupe encouragent les Arabes à se rebeller contre les Ottomans en échange de leur « indépendance » - ce qui n’a certes pas la même signification pour tous les protagonistes. Tandis que les Arabes aspirent à une véritable indépendance, les Anglais cenvisagent plutôt une autonomie locale dans le cadre d’un protectorat britannique, voire même sous administration britannique directe. Storrs, par exemple, prône la création d’un « empire égyptien », dont le chérif de La Mecque serait le calife, flanqué d’un roi d’Egypte, supervisé, toutefois, par Kitchener.

Quant à Hussein, il fait clairement savoir qu’il réclame la souveraineté sur un vaste royaume arabe, qui serait véritablement indépendant. Après avoir sondé des sociétés secrètes arabes à Damas et ailleurs, par l’intermédiaire de son fils Fayçal, il s’assure qu’elles soutiendront une révolte, à condition que les Anglais garantissent l’indépendance arabe. Dans une lettre au Haut Commissaire britannique, datée du 4 juillet 1915, Hussein pose ses conditions, qui contiennent des revendications formulées dans le Protocole de Damas, un document préparé par les forces arabes en Syrie :

En échange de sa coopération qui doit le conduire à contrôler toute la péninsule arabique, la Mésopotamie, la Syrie, la Palestine et une partie de la Cilicie, le Chérif Hussein formule les demandes suivantes :

  1. L’indépendance des Arabes limitée dans un territoire comprenant au Nord Mersine, Adana et limité ensuite par le 37ème parallèle jusqu’à la frontière persane : la limite Est devrait être la frontière persane jusqu’au Golfe de Bassorah ; au Sud, le territoire devait border l’océan Indien, tout en laissant de côté Aden ; à l’Ouest enfin, il devait y avoir pour limite la Mer Rouge et la Méditerranée jusqu’à Mersine.
  2. La Grande Bretagne devait reconnaître l’établissement d’un califat arabe et l’abolition des capitulations. En contrepartie, le Chérif se déclarait prêt à accorder une préférence dans toute entreprise économique des pays arabes à la Grande Bretagne, pourvu que les autres circonstances fussent égales.
  3. Une alliance défensive militaire devait être conclue. Dans le cas où l’une des parties contractantes entreprendrait une guerre offensive, l’autre devrait garder une stricte neutralité.

Le Haut Commissaire en Egypte, Sir Henry McMahon, répondit aux demandes d’Hussein. Dans une note jointe à sa lettre datée du 24 octobre 1915, McMahon écrit :

Les districts de Mersina et d’Alexandrette, et les parties de la Syrie situées à l’Ouest des districts de Damas, Homs, Hamah et Alep ne peuvent être considérés comme purement arabes et doivent être exclus des limites et frontières envisagées. Avec les modifications ci-dessus et sans préjudice de nos traités actuels avec les chefs arabes, nous acceptons ces limites et frontières ; et en ce qui concerne, à l’intérieur de ces limites, les parties de territoires où la Grande Bretagne est libre d’agir sans porter atteinte aux intérêts de son alliée, la France, je suis autorisé par le gouvernement britannique à vous donner les assurances suivantes et à faire la réponse suivante à votre lettre :

Sous réserve des modifications ci-dessus, la Grande Bretagne est disposée à reconnaître et à soutenir l’indépendance des Arabes à l’intérieur des territoires compris dans les limites et frontières proposées par le Chérif de la Mecque.

La Grande Bretagne garantira les Lieux Saints contre toute agression externe et reconnaîtra leur individualité. Si la situation le permet, la Grande Bretagne mettra à la disposition des Arabes ses conseils et les aidera à l’établissement de la forme de gouvernement qui semble le plus convenable pour ces différents territoires. D’un autre coté, il est entendu que les Arabes ont décidé de chercher les conseils et l’aide de la Grande Bretagne seulement, et que les conseillers et fonctionnaires européens, dont ils pourraient avoir besoin pour la formation d’une administration stable, seront des Anglais. En ce qui concerne les vilayets de Bagdad et de Bassorah, les Arabes reconnaîtront que la situation et les intérêts de l’Angleterre nécessitent des mesures spéciales de contrôle administratif afin de sauvegarder ces territoires d’une agression étrangère et de pourvoir au bien-être de la population locale, ainsi que de sauvegarder nos intérêts économiques mutuels.

Hussein obtient donc de vagues assurances mais pas d’engagement explicite en faveur de l’indépendance du royaume arabe qu’il appelle de ses voeux.

Dissensions au sein de la direction impériale

Le Bureau indien de l’Empire britannique est opposé à l’idée d’un calife arabe (avec ou sans roi) qui règnerait sur un empire arabe contrôlé par les Anglais. Outre l’Inde, ce bureau est chargé des affaires de Perse, du Tibet, d’Afghanistan et de l’est de l’Arabie, et considère ces régions, ainsi que la Mésopotamie, comme relevant de sa responsabilité. Il fait valoir que les musulmans dans sa sphère d’influence n’accepteraient pas un calife arabe, lui préférant un Turc. Et s’il fallait choisir un Arabe, ce serait plutôt Adbul Aziz ibn Saud, un rival de Hussein.

A l’époque, le Bureau indien dans sa majorité est d’avis que, s’il doit y avoir invasion et occupation de la Mésopotamie, c’est à lui de s’en charger. Voici le message que le gouverneur des Indes, Charles Hardinge, communique à sir Mark Sykes, lors d’une mission d’information en 1915. Hardinge parle pour le Bureau indien en jugeant absurde toute discussion sur l’« indépendance » des Arabes, étant donné que les Arabes sont incapables de s’autogouverner.

En 1916, le Bureau arabe sera créé pour coordonner cette politique et contrer l’opposition, notamment celle du Bureau indien. C’est une idée de sir Mark Sykes, un jeune conservateur élu à la Chambre des Communes quatre ans auparavant et qui passe pour un spécialiste de l’Empire ottoman. Ayant servi personnellement auprès de Kitchener, Sykes en est devenu l’instrument. Le Bureau arabe opère à partir du Caire, au sein du département du Renseignement, mais son vrai chef est Kitchener lui-même. Son directeur en titre est l’archéologue David Hogarth, un agent du renseignement ayant collaboré avec Clayton. Le Bureau arabe compte également T.E. Lawrence, plus connu sous le nom de « Lawrence d’Arabie », qui dirigera certaines des campagnes militaires des « chefs arabes ». En gros, le Bureau arabe a pour tâche d’étendre la mainmise de la Grande-Bretagne sur l’Arabie, à partir de l’Egypte.

La France impériale entre en scène

Les Français sont loin d’être enthousiastes pour les scénarios anglais. Le parti colonial français a des visées sur le Liban et la Syrie, considérés comme appartenant « intrinsèquement » à la France. Leur revendication se base sur des faits historiques remontant à l’époque des Croisades, ainsi que sur le statut de « protection » que la France octroie aux populations catholiques de la région, notamment au Mont Liban, près de la côte syrienne.

Les Anglais ne sont cependant pas prêts à accorder des concessions aussi importantes. Clayton allègue, en accord avec Sykes, que si des armées arabes se lancent dans la guerre aux côtés des Anglais, cette dynamique contribuera de manière décisive à une victoire rapide, y compris sur le front européen. En fait, la Grande-Bretagne se trouve face à un dilemme. D’une part, le déploiement de forces britanniques au Moyen -Orient réduirait forcément leur présence sur le théâtre européen, alourdissant par conséquent l’effort de guerre que la France aurait à consentir ; il faut donc promettre à la France quelques concessions. D’autre part, pour recruter les armées arabes requises, au-delà des forces de Hussein, il faut aussi faire des concessions aux Hachémites, qui risquent d’entrer en contradiction avec les ambitions françaises. C’est ainsi que McMahon précise, dans sa correspondance, que Hussein doit abandonner ses revendications sur « les parties de la Syrie situées à l’Ouest des districts de Damas, Homs, Hamah et Alep », c’est-à-dire les régions côtières de Palestine, du Liban et de Syrie, revendiquées par la France. Hussein réclame néanmoins Beyrouth et Alep, tout en confirmant son opposition de principe à toute présence française en Arabie.

Devant ses revendications conflictuelles, il fallait bien faire participer la France aux tractations. Le Foreign Office invite donc la France à envoyer un délégué à Londres pour déterminer ce que l’on pourrait offrir à Hussein. Voilà l’origine de l’accord Sykes-Picot.

L’accord Sykes-Picot de 1916

Figure 2.
Le partage du Moyen-Orient prévu dans l’accord Sykes-Picot.

Le 23 novembre 1915, François George Picot arrive dans la capitale britannique pour négocier avec les Anglais.

Fils d’une famille coloniale, il représente le point de vue politique du « parti syrien » en France, selon lequel la Syrie et la Palestine, considérées alors comme un seul pays, sont propriété française pour des raisons historiques, économiques et culturelles.

Lors des négociations, Picot fait prévaloir que la France doit exercer un contrôle direct sur les régions côtières et un contrôle indirect sur le reste de la Syrie (par le biais d’un régime fantoche) et sur le territoire s’étendant à l’est jusqu’à Mossoul.

Les dispositions de l’accord, signé le 16 mai 1916, semblent satisfaire ces demandes (Figure 2) :

Il demeure entendu que :

La France et la Grande-Bretagne sont disposées à reconnaître et à soutenir un Etat arabe indépendant ou une confédération d’Etats arabes dans les zones (A) et (B) indiquées sur la carte ci-jointe, sous la suzeraineté d’un chef arabe. Dans la zone (A) la France et dans la zone (B) la Grande-Bretagne auront un droit de priorité sur les entreprises et les emprunts locaux. Dans la zone (A) la France et dans la zone (B) la Grande-Bretagne seront seules à fournir des conseillers ou des fonctionnaires étrangers à la demande de l’État arabe ou de la confédération d’Etats arabes.

Dans la zone bleue la France et dans la zone rouge la Grande-Bretagne seront autorisées à établir telle administration directe ou indirecte ou tel contrôle qu’elles désirent et qu’elles jugeront convenable d’établir, après entente avec l’État ou la confédération d’Etats arabes.

Dans la zone brune sera établie une administration internationale dont la forme devra être décidée après consultationavec la Russie et, ensuite, d’accord avec les autres alliésetles représentants du chérif de La Mecque.

Il sera accordé à la Grande-Bretagne : 1. les ports de Haïfa et d’Acre ; 2. la garantie d’une quantité définie d’eau du Tigre et de l’Euphrate dansla zone (A) pour la zone (B). Le gouvernement de Sa Majesté, de son côté, s’engage à n’entreprendre, à aucun moment, des négociationsen vue de la cession de Chypre à une tierce puissance sans le consentement préalable du gouvernement français.

Alexandretteseraunport franc en ce qui concerne le commerce de l’Empire britannique, (...) il y aura libre transit pour les marchandises anglaises par Alexandrette et par chemin de fer à travers la zone bleue, que ces marchandises soient destinées à la zone rouge, la zone (B), la zone (A) ou en proviennent ; et aucune différence de traitement ne sera établie (directement ou indirectement) aux dépens des marchandises anglaises sur quelque chemin de fer que ce soit, comme aux dépens de marchandises ou de navires anglais dans tout port desservant les zones mentionnées.

Haïfa sera un port franc en ce qui concerne le commerce de la France, de ses colonies et de ses protectorats (...) Il y aura libre transit pour les marchandises françaises par Haïfa et par le chemin de fer anglais à travers la zone brune (...)

Dans la zone (A), le chemin de fer de Bagdad ne sera pas prolongé vers le sud au-delà de Mossoul, et dans la zone (B), vers le nord au-delà de Samarra, jusqu’à ce qu’un chemin de fer reliant Bagdad à Alep dans la vallée de l’Euphrate ait été terminé, et cela seulement avec concours des deux gouvernements.

La Grande-Bretagne aura le droit de construire, d’administrer et d’être seule propriétaire d’un chemin de fer reliant Haïfa avec la zone (B). Elle aura en outre un droit perpétuel de transporter ses troupes, en tout temps, le long de cette ligne. Il doit être entendu par les deux gouvernements que ce chemin de fer doit faciliter la jonction de Bagdad et Haïfa, et il est de plus entendu que si les difficultés techniques et les dépenses encourues pour l’entretien de cette ligne de jonction dans la zone brune en rendent l’exécution impraticable, le gouvernement français sera disposé à envisager que ladite ligne puisse traverser le polygone Banias-Keis Marib-Salkhad- Tel Hotsda-Mesmie avant d’atteindre la zone (B). (...)

Il sera entendu que le gouvernement français n’entreprendra, à aucun moment, aucune négociation pour la cession de ses droits et ne cédera les droits qu’il possédera dans la zone bleue à aucune autre tierce puissance, si ce n’est l’Etat ou la confédération d’Etats arabes, sans l’agrément préalable du gouvernement de Sa Majesté qui, de son côté, donnera une assurance semblable au gouvernement français en ce qui concerne la zone rouge.

Les gouvernements anglais et français, en tant que protecteurs de l’Etat arabe, se mettront d’accord pour ne pas acquérir, et ne consentiront pas à ce qu’une tierce puissance acquière de possessions territoriales dans la péninsule arabique, ou construire une base navale dans les îles, ou sur la côte est de la mer Rouge. Ceci toutefois n’empêchera pas telle rectification de la frontière d’Aden qui pourra être jugée nécessaire, par suite de la récente agression des Turcs.

Les négociations avec les Arabes pour les frontières de l’Etat ou de la confédération d’Etats arabes continueront, par les mêmes voies que précédemment, au nom des deux puissances.

Pour conclure, le document précise que les gouvernements russe et japonais seront informés et que les revendications italiennes seront prises en compte.

Au départ, cet accord reste secret. Sykes se rend à Petrograd pour informer les Russes de l’accord et obtenir leur consentement. Il ignore alors que les Français ont, dans le plus grand secret, conclu un accord séparé avec les Russes concernant la Palestine. Le négociateur Aristide Briand a obtenu le soutien russe pour un contrôle français de la Palestine alors que celle-ci, d’après l’accord Sykes-Picot, devait relever d’une administration internationale. L’accord Sykes-Picot restera secret jusqu’à ce que des documents soient retrouvés en Russie en janvier 1918, au lendemain de la révolution bolchevique, et dont le contenu est communiqué au gouvernement ottoman.

La révolte arabe

Conclure un accord secret entre puissances impériales pour se partager les dépouilles de l’Empire ottoman, après son démantèlement, est une chose. Vaincre militairement les Ottomans en est une autre. Pour y arriver, nous l’avons vu, les Anglais ont opté pour une révolte arabe.

Ils sont convaincus d’après leurs rapports de renseignement que les masses arabes soutiendront une révolte dirigée par Hussein. Or, lorsque la révolte est effectivement lancée dans le Hedjaz, au début de juin 1916, les centaines de milliers d’Arabes qui devaient déserter les rangs de l’armée ottomane pour s’y joindre, manquent au rendez-vous. A la place, il faut déployer des avions et des navires britanniques avec des troupes musulmanes en provenance de l’Egypte britannique et d’autres possessions de l’empire. La révolte militaire restant faible et certains doutant fort de son succès, T.E. Lawrence propose alors que les bédouins d’Hussein soient enrôlés pour mener une guérilla dirigée par les Britanniques. Les Français proposent, de leur côté, d’envoyer dans le Hedjaz des musulmans venant de l’Empire français, pour servir de conseillers militaires. Les Anglais maintiennent cependant que les Arabes n’accepteront pas de forces chrétiennes à leurs côtés. C’était l’explication officielle ; en fait, les Anglais voulaient éviter toute ingérence française.

Le 6 juillet 1917, T.E. Lawrence mobilise (moyennant paiement en or) une confédération de bédouins pour s’emparer du port d’Akaba. Cette pratique consistant à acheter des éléments arabes comme soldats irréguliers avait valu à Lawrence le surnom de « l’homme avec de l’or ». Après la prise d’Akaba, le nouveau commandant, le général Sir Edmund Allenby, accepte que des bédouins se battent aux côtés des forces britanniques dans les campagnes de Palestine et de Syrie.

Auparavant, le ministre de la Guerre Lloyd George avait ordonné aux troupes d’Egypte britannique de préparer l’invasion de la Palestine. Se méfiant des intentions anglaises, les Français expédient Picot pour accompagner la mission, tandis que les Anglais, tout aussi soupçonneux, envoient Sykes sur place comme médiateur. (Sykes avait été chargé entre-temps de la mission politique, devenant commandant-en-chef des Forces expéditionnaires en Egpyte.) Les Français, ayant signé un accord secret avec les Russes, ont leurs propres revendications vis-à-vis de la Palestine. L’invasion anglo-égyptienne a pour objectif d’assurer la mainmise anglaise sur la Palestine et ordre est donné de ne rien promettre aux Arabes qui s’y associent.

Nommé nouveau commandant en juin 1917, le général Allenby est envoyé en Egypte pour diriger l’invasion de la Palestine. Lloyd George avait exprimé son souhait que Jérusalem soit prise avant Noël et, effectivement, le 11 décembre, Allenby entre dans Jérusalem avec ses officiers par la Porte de Jaffa, déclarant la loi martiale. Il signifie à Picot que la ville restera sous administration militaire britannique un certain temps et Ronald Storrs est nommé gouverneur militaire. Lloyd George avait reçu son cadeau de Noël !

Par ailleurs, après l’échec de la tentative du Bureau indien de prendre Bagdad en 1915, un nouveau commandant en chef, le général Stanley Maude, est nommé. Ce dernier envahit la Mésopotamie et prend Bagdad le 11 mars 1917. Le 16, on met sur pied un Comité d’administration de Bagdad sous la supervision de Lord Curzon (ancien gouverneur des Indes), qui doit décider du sort des provinces de Bassorah et de Bagdad : la première, à forte majorité chiite, deviendra britannique, tandis que l’antique capitale Bagdad sera « arabe », mais sous protectorat britannique.

Dans un texte approuvé par le Cabinet de Guerre, Sykes appelle les chefs arabes à se joindre aux Anglais, leur promettant la liberté et l’indépendance. Ce texte évoque une confédération du Moyen-Orient arabe que dirigerait le roi sunnite Hussein ou l’un de ses fils.

Après la Palestine et la Mésopotamie, on en arrive ensuite à la conquête de la Syrie. En septembre 1918, Allenby prend Megiddo (« Armageddon ») avant de se diriger sur Damas. Suivant l’accord Sykes-Picot, cette ville doit être mise sous administration arabe, et de facto sous contrôle français, même si les Anglais y ont la suprématie militaire. Dès la chute de la ville, le drapeau de Hussein (conçu par Sykes) y sera hissé. Les Français ne contrôlent directement que les régions côtières, et l’intérieur doit devenir indépendant, gouverné par un pouvoir hachémite soutenu par des conseillers français.

Fayçal et ses troupes arrivent plus tard que prévu, mais arrivent quand même, ce qui permet à Lloyd George de dire, en 1919, que les forces de Fayçal ont contribué à la conquête de la Syrie et que, par conséquent, c’est lui qui doit administrer la Syrie - chapeauté, bien entendu, par la Grande-Bretagne.

Lors d’une réunion avec Fayçal, Allenby lui dicte les conditions de son pouvoir : en tant que représentant d’Hussein, Fayçal administrera la Syrie (moins la Palestine et le Liban) sous la protection française et sera secondé, dans cette optique, par un officier de liaison français. Fayçal rechigne contre le rôle français, mais par solidarité militaire, Allenby insiste sur la présence d’un officier.

De Damas, Fayçal marche sur Beyrouth, où il arrive le 5 octobre, amenant les Français alarmés à déployer des canonnières et des troupes. Sur ordre d’Allenby, Fayçal est obligé de quitter Beyrouth et Picot est nommé représentant politique et civil de la France, sous l’autorité d’Allenby.

Vers cette époque, certains dirigeants britanniques commencent à se demander s’il est vraiment sage de tenir les promesses faites à la France dans le cadre de l’accord Sykes-Picot. Pour Lloyd George, ce traité est « inapplicable », vu que la Grande-Bretagne a fourni le plus gros de l’effort de conquête, pour Curzon, il est « obsolète », et même Sykes exprime des doutes. Evidemment, les Anglais cherchent à consolider leur propre emprise sur le Moyen-Orient, aux dépens de la France dont la présence devrait être, de leur point de vue, limitée au Liban.

Armistice sans paix

La Turquie et l’Allemagne ayant indiqué qu’elles étaient prêtes à ouvrir des pourparlers de paix, une conférence est organisée avec la première à bord du navire britannique Agammemnon le 27octobre 1918 à Lemnos, en mer Egée ... en l’absence des Français ! La Turquie accepte les conditions de l’armistice, obligeant les Jeunes Turcs à s’enfuir pour sauver leur vie. En Europe, l’armistice sera signé le 11 novembre 1918.

Pour empêcher la France de prendre le contrôle de la Syrie, les Anglais insistent sur le rôle de Fayçal et de ses 100 000 soldats (chiffre totalement exagéré) dans la « libération » de la Syrie et son opposition à toute implication française. C’est la position défendue par Lloyd George à la Conférence de Paix qui s’ouvre en 1919 à Paris, et à laquelle il tente de rallier le président américain Woodrow Wilson. Un Fayçal financé par les Anglais et constamment accompagné de son contrôleur T.E. Lawrence, joue volontiers le jeu. La Grande-Bretagne exerce ainsi un contrôle de fait sur la Syrie, même si elle est administrée par de grandes familles arabes.

Cependant, comme l’occupation militaire coûte cher, à la fois sur les plans économique et politique, Londres finit par abandonner ses revendications sur la Syrie, la laissant à Fayçal et aux Français. En janvier 1920, le premier conclut un accord secret avec le Premier ministre français George Clemenceau, prévoyant l’« indépendance » formelle de la Syrie sous tutelle française - c’est-à-dire avec des conseillers français.

Le règlement définitif (au moins provisoire) est conclu au début de 1920 et consacré dans le traité de Sèvres. Pour ce qui est du Moyen-Orient, les conditions sont les suivantes : la Syrie, y compris le Liban, et la Cicilia reviennent à la France, dans l’optique d’une indépendance future ; la Grande-Bretagne reçoit la Mésopotamie (Irak) et la Palestine, tout en exerçant une protection sur l’Arabie (le Hedjaz), ce qui signifie, en clair, qu’elle sera officiellement « indépendante » mais gouvernée par des monarques fantoches des Anglais ; l’Egypte, Chypre et la côte du golfe Persique rentrent formellement dans la sphère d’influence anglaise ; l’Italie obtient Rhodes et le Dodecanèse et exerce son influence sur Adalya (en Turquie).

En mars 1920, Fayçal est proclamé roi par le Congrès national syrien, qui avait opté un an auparavant pour un royaume constitutionnel, une grande Syrie comprenant le Liban, la Transjordanie et la Palestine. Mais peu après, en juillet, les Français lancent une offensive militaire dirigée par le général Henri Eugène Gouraud pour occuper Damas. La Syrie sera entièrement soumise au mandat français et Fayçal envoyé en exil. Il deviendra cependant, avec la bénédiction britannique, roi d’Irak.

Quant à l’Iran (la Perse à l’époque), les Anglais assurent leur propre contrôle grâce à l’accord anglo-perse de 1919 conclu avec Ahmad Shah.

Lors de la conférence du Caire en 1922, alors que des émeutes anti-britanniques se déroulaient depuis le début de 1919, la Grande-Bretagne accorde à l’Egypte une indépendance formelle, abandonnant officiellement son protectorat. Déclarant l’Egypte une monarchie constitutionnelle, la Grande-Bretagne se réserve tout de même certains « droits » : elle est chargée de sa défense (c’est-à-dire le droit de stationner des forces armées sur le territoire égyptien), de la sécurité du canal de Suez, de la gestion du Soudan, du contrôle des communications impériales et des affaires étrangères. Fuad 1er devient roi le 15 mars 1922 et établit en 1928 un régime dictatorial.

C’est lors de cette conférence du Caire que Fayçal est reconnu monarque d’Irak et son frère, Abdallah, émir de Transjordanie. On tente de conférer à Fayçal une légitimité populaire en orchestrant un plébiscite, entre autres. Quant à son frère, il assume ses fonctions à Amman, avec l’aide du spécialiste du renseignement britannique John Philby et avec le soutien de la Légion arabe, commandée par le colonel britannique F.G. Peak, puis Glubb Pacha. En 1923, la Transjordanie sera séparée de la Palestine et servira de zone tampon contre le reste de l’Arabie.

Une question qui n’a été ni abordée ni débattue dans les traités est celle du pétrole. La compétition entre la France et l’Angleterre pour les vastes réserves pétrolières de Mossoul devient critique. Lors de la conférence de San Remo en 1920, elles concluent un accord secret pour le partage du pétrole. Lorsque les Américains en ont vent, ils s’opposent au monopoly et réclament leur part du gâteau. En vertu du traité de Mossoul de 1926, l’Irak exerçait un contrôle officiel sur la région pétrolière et les royalties devaient être réparties entre les compagnies pétrolières britanniques (52,5 %), américaines (21,25 %) et françaises (21,25 %).

En Arabie, Hussein revendique le titre de calife en 1924, ce qui est rejeté par son rival Abdoul Aziz ibn Saud. (Hussein s’était proclamé « Roi de tous les Arabes » à la fin de 1916, mais la Grande-Bretagne, la France et l’Italie ne lui reconnaissaient que le titre de roi du Hedjaz). Le wahhabite ibn Saud déclare la guerre à Hussein et, après la chute des villes saintes de La Mecque et Médine, inflige la défaite aux Hachémites. Hussein abdique et son fils Ali renonce au trône. Ainsi, ibn Saud, le favori du Bureau indien, est proclamé roi du Hedjaz et du Najd en 1926.

Le sort de la Palestine

Au cours des marchandages, la Palestine, revendiquée par la Grande-Bretagne, était censée devenir indépendante à terme. Cette question est la plus compliquée de toute l’histoire de la région et mérite une étude qui va bien au-delà du sujet de cet article. Nous ne ferons par conséquent que quelques observations rapides à ce propos.

Tout en promettant au Hachémite Hussein et à ses fils un royaume arabe et l’indépendance, les Anglais promettaient simultanément aux Juifs un foyer en Palestine. Dans la Déclaration de Balfour du 2 novembre 1917 (du nom d’Arthur Balfour, à l’époque ministre des Affaires étrangères), il est dit :

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et statuts politiques dont jouissent les Juifs dans tout autre pays.

En vertu de l’accord Sykes-Picot, les Lieux Saints en Palestine devaient être placés sous mandat international. Cependant, l’administration des Lieux Saints ne fut jamais qu’une affaire administrative. Depuis au moins l’époque des Croisades, les puissances européennes ont tenté d’établir leur influence politique à Jérusalem par le biais de leurs institutions religieuses, tout comme les Russes avec les sites de l’Eglise orthodoxe russe, de même que les Arméniens et, bien entendu, les habitants de la région, chrétiens, musulmans et juifs.

Les Français, qui avaient leurs propres visées sur la Palestine, craignaient que le soutien britannique au sionisme se traduise par l’emprise de la Grande-Bretagne sur la région. Les Anglais disaient aux Arabes qu’ils n’avaient pas l’intention de favoriser la création d’un Etat juif, tout en affirmant aux représentants sionistes que telle était bien leur intention. Les affrontements judéo-arabes qui éclatèrent en 1919 avaient été programmés par les Anglais pour empêcher Arabes et Juifs d’unir leurs forces. Le 24 juillet 1922, la Société des Nations accorda à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine.

L’attitude des dirigeants politiques britanniques était parfaitement cynique, sachant que même les plus « pro-sionistes » d’entre eux étaient antisémites. Il semble que Sykes était anti-juif à l’extrême, mais qu’il détestait encore plus les Arméniens : « Même les Juifs ont leur bon côté, alors que les Arméniens n’en ont aucun », écrivait-il.

Sykes n’était pas pour autant pro arabe. Il aurait écrit que les Arabes urbains étaient « couards », « insolents et méprisables », « vicieux au point que le leur permettent leurs corps affaiblis », tandis que les Arabes bédouins étaient « des animaux (...) rapaces, cupides ».

Epilogue

Aujourd’hui, les Anglais se trouvent à nouveau à Bassorah, protégeant ses riches champs de pétrole, tandis que leurs partenaires, Bush et Cheney, luttent pour maintenir leur contrôle sur Bagdad. Les Anglo-Américains ont promis aux Irakiens l’« indépendance », la « souveraineté », la « liberté » et la « démocratie ». Des unités militaires arabes, organisées en milices ou suivant des clans, se battent aux côtés des armées anglo-américaines, comme elles le firent avec Lawrence d’Arabie, non contre un autre empire, mais contre le peuple irakien qui se soulève contre ce nouveau joug impérialiste.

La Palestine reste la victime du conflit israélo-arabe que les grandes puissances n’ont pas voulu résoudre. On promet solennellement la création d’un Etat palestinien, tout en s’engageant à défendre le droit d’exister d’Israël. Mais aucune option viable pour la réalisation d’un projet de paix n’est avancée.

L’Iran se trouve dans la ligne de mire, enjeu des intérêts rivaux entre la Russie et les Anglo-Américains. Et les Français lorgnent sur la Syrie et le Liban.

Il est grand temps de tirer les leçons de l’histoire.