Exploration spatiale : quelques scénarios pour tirer l’humanité de son berceau

dimanche 10 mars 2013, par Yves Paumier

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L’homme politique Jacques Cheminade, à la suite de l’ingénieur spatial Krafft Ehricke et bien d’autres, a défendu la nécessité impérieuse de l’exploration robotique et humaine de l’espace. Pour eux, aller sur Mars implique le développement de moteurs nucléaires (fission, fusion, etc.) capables de réduire les temps de trajet.

Comme Christophe Colomb, il s’agirait également d’envoyer plusieurs vaisseaux en flottille. Wernher von Braun prévoyait, dans son livre de 1952, Das Marsprojekt, de construire une base de lancement en orbite terrestre pour équiper une flottille de dix vaisseaux à destination de Mars. Le Président J.F. Kennedy a concrétisé son objectif Lune, mais rappelons que son assassinat a empêché la réalisation de l’objectif Mars prévu dix ans après la Lune.

Ici, nous procéderons en partant de l’objectif lointain — une colonie humaine travaillant sur Mars — et examinerons l’option optimale et les voies concurrentes pour l’atteindre ainsi que leur mise en œuvre.

Une fois le scénario optimal élaboré, il faudra repartir du début : c’est-à-dire des paramètres de lancement. Il y a, d’une part, l’architecte dont la conception va du projet d’ensemble au gros détail et, d’autre part, l’ingénieur de production qui part de chaque élément pour aboutir à une réalisation répondant aux exigences posées.

Expédier 1 million de tonnes de matériel dans l’espace ne se fait pas de la même manière qu’un millier de tonnes ! Actuellement, rien qu’une plate-forme pétrolière pèse facilement 1,4 million de tonnes. Avec un lanceur de la fin du XXe siècle (type Ariane 5), et un départ quotidien, il faudrait 82 ans pour envoyer 1 million de tonnes de matériel dans l’espace ! La seule grande structure spatiale en activité en 2013, la Station spatiale internationale (ISS), pèse 470 tonnes.

Ce calcul nous oblige à aborder le défi de la technique exigée, et soulève la question de la mise en concurrence des options de production sur Terre contre celles dans l’espace : faut-il produire les matériaux sur la Lune et les manufacturer là-haut, ou bien les fabriquer sur Terre ?

N’ayons pas de réponse préconçue car les progrès de la science déterminent à chaque instant les nouvelles opportunités techniques, et des choix politiques devront être pris à des moments clé.

I. L’hypothèse optimale : l’homme arrive sur la planète Mars où des robots ont préparé sa venue

Contrairement au premier pas de Neil Armstrong en juillet 1969, partons de l’hypothèse où la venue des premiers hommes sur la planète rouge est préparée depuis longtemps par des robots et où beaucoup d’équipements et d’infrastructures sont déjà à pied d’œuvre.

Curiosity et d’autres Rovers sont donc déjà sur place et des laboratoires robotisés d’exploration classique sont à l’œuvre. D’autres équipements préparent la venue de l’homme et assurent le suivi des conditions locales. Enfin, un dernier lot est dédié à la présence de l’homme, pour répondre à ses besoins vitaux (respiratoires, alimentaires, etc.), et contient ses outils de travail.

La liste est longue mais l’on peut dire que pour les premiers hommes qui débarqueront là-haut, quelques milliers de tonnes d’équipement seront à prévoir.

Transporter des milliers de tonnes impose une optimisation stricte, et il est évident qu’une partie de cet équipement doit être disponible en orbite martienne, en particulier le port d’arrivée de la flottille en provenance de la Lune ou de l’orbite lunaire.

Cette flottille sera composée de navires qui ne sont pas faits pour subir la gravité martienne mais pour résister au voyage à travers un vide plein de rayonnements agressifs. En orbite martienne se situeront aussi des usines d’approvisionnement des stations installées sur le sol martien, et surtout le port de correspondance pour descendre à la surface de Mars. Le concept est semblable au port de Rotterdam qui voit arriver des navires de haute mer et décharger leur contenu sur des péniches qui remontent le Rhin.

L’on est très loin de l’option où, pour le prestige, telle grande puissance se contenterait d’envoyer un ou deux héros téméraires plantant son drapeau dans le sol immaculé, ou de celle d’un engin unique envoyé depuis le système terrestre directement sur Mars, une sorte de sous-marin ou un obus interplanétaire. Ce dernier cas ne met pas à l’abri du risque de panne électrique comme celle encourue par l’équipage d’Apollo 13.

Si c’est pour poser le pied et repartir illico, l’opération resterait envisageable. Mais sitôt que l’on songerait à rester un certain temps, ce serait trop risqué. Il y a, par exemple, cet élément perturbateur incontrôlable de nature astronomique, le Soleil ! Il a des comportements imprévisibles, des orages et des tempêtes, et l’équivalent du bouclier qui entoure la Terre, la magnétosphère, n’existe pas sur Mars. S’il est vrai qu’une telle alerte solaire peut être donnée entre un et trois jours à l’avance, elle imposera un départ précipité vers le vaisseau protecteur. Étant donné le budget énergétique très serré d’une telle mission, il serait hors de question de se poser à nouveau à la surface martienne. Il faudrait dès lors repartir vers la Terre avec le sentiment d’une mission inachevée.

Les pionniers devront créer une gravité artificielle et se protéger contre le rayonnement cosmique et l’irradiation

L’un des plus grands problèmes des voyages interplanétaires est la désorganisation physiologique du corps humain en apesanteur. Les Russes continuent leurs expériences de longévité en vue de Mars, dans la station spatiale qui a pris la suite de MIR : certains, comme Sergueï Avdeïev (379 jours) et Valeri Poliakov (14 mois), s’en sont sortis en bonne forme contrairement à d’autres qui ne pouvaient plus tenir debout. Les Américains s’y sont mis aussi et les Européens débutent. Mais l’on sait que le corps humain perd la solidité de ses os et la consistance de ses muscles lors d’un séjour prolongé en apesanteur.

Pour cette raison, nous n’envisageons qu’une expédition à propulsion continue, en opposition à un voyage balistique sur l’orbite de Hohmann qu’imposerait un mode de propulsion chimique. L’amateur de science fiction se souvient que Jules Verne envoyait ses passagers dans un obus de canon en vol balistique tandis que Tintin et Milou profitaient d’un voyage en propulsion continue.

L’autre méchanceté de l’espace est ce vide fort hostile, plein de rayonnements, de gaz et de poussières, souvent ionisées, et accidentellement de cailloux. Nos pionniers devront traverser un milieu qui ressemble plus à l’intérieur d’une pile nucléaire qu’au Sahara. Il est préférable de ne pas s’y attarder.

Le temps de trajet est donc conditionné par un facteur humain clé et pour remédier à ces deux contraintes du vivant (gravité et irradiation), Krafft Ehricke avait suggéré, afin de recréer une gravité artificielle tout au long du trajet, d’organiser le voyage avec une accélération constante. Cette idée est à reprendre absolument, et chasse la version répandue d’une expédition en vol chimique sur une trajectoire balistique qui prendrait impérativement deux ans et demi à un équipage réduit à quelques individus, et certainement réduits physiologiquement au point où l’on ne sait s’ils auront la force de descendre à la surface de Mars !

II. Les voyages entre les systèmes terrestre et martien

Cette équipe bien constituée en nombre et en qualités doit effectuer un voyage interplanétaire à bord d’une flottille. Nous avons vu que la proposition de Krafft Ehricke doit être reprise complètement : une accélération constante pour recréer une gravité artificielle et réduire au maximum l’exposition radiative de l’équipage et du vivant.

Les différents modes de propulsion spatiale

Moteur à plasma de la Snecma : une invention d’origine Russe

Chimique : c’est la fusée classique de type Ariane avec les boosters à poudre pour décoller et de l’hydrogène et de l’oxygène sous forme liquide pour assurer le vol principal, avec les rallumages indispensables. Le volume énorme des réservoirs donne à ce type de fusée des allures de bibendum. La propulsion chimique ne permet que les vols spatiaux balistiques.

Fission nucléaire : un réacteur chauffe violemment de l’hydrogène qui est éjecté. Il y a encore un réservoir d’hydrogène, mais pas d’oxygène pour la propulsion, et l’on pourra construire une fusée interplanétaire sensiblement plus légère. Une version à faible puissance consiste à convertir l’énergie fournie en électricité, pour utiliser les moteurs électriques.

Fusion nucléaire : il s’agit de réacteurs de fusion nucléaire « ouverts », les produits de la réaction étant éjectés directement dans l’espace. Beaucoup de variantes sont à inventer.

Propulsion électrique : ces réacteurs consomment de l’électricité qui doit être fournie par un générateur. Ils ont un bon rendement, mais le générateur électrique pose un problème de refroidissement aux fortes puissances. Ceci inclut les propulseurs à plasma, ioniques…

Les vaisseaux, de leur côté, peuvent aussi être sujets à des pannes imprévues. Enfin, la propulsion nucléaire de première génération (fission et fusion neutronique, voir encadré ci-dessus) est aussi source de rayonnements gamma et de neutrons. Pour s’en protéger, il faut s’éloigner autant que possible du cœur du réacteur et disposer un blindage entre l’habitacle et le réacteur. Voilà donc trois contraintes à prendre en compte.

Une précision importante sur le vol balistique et l’orbite de transfert de Hohmann : le projet universitaire Polaris indique bien l’absurdité énergétique d’un voyage en propulsion chimique, car la masse utile transportée serait réduite à quelques millièmes de la masse du carburant ! La faible densité énergétique des réactions chimiques disqualifie ce mode de propulsion.

Revenons à la composition souhaitable de la flottille. L’expédition historique de Christophe Colomb était composée de trois esquifs, et ceci pour que la perte d’un vaisseau ne signifie pas la disparition de son équipage. Von Braun avait aussi prévu dans Das Marsprojekt une composition de dix vaisseaux. Cette solution anti-panne reste pertinente.

Par contre, il n’avait pas connaissance en 1952 de l’agressivité radiative du vide qui porte si mal son nom. Un vol balistique long est devenu synonyme d’irradiation excessive du vivant et des hommes à bord. Depuis son époque, les propositions intègrent ce facteur et insèrent l’habitacle dans un énorme réservoir d’eau, ou un blindage. Comme il faut transporter de l’eau pour l’équipage, autant lui octroyer cet autre usage protecteur opportun. Depuis lors, le design des habitacles s’inspire plus de l’œuf que de la cabine d’avion.

Faire fonctionner un réacteur nucléaire n’est pas anodin, et pour encore quelques dizaines d’années, il faudra se protéger de ses rayonnements gamma et de ses neutrons. La fusion de seconde génération nous promet certes de nous libérer de cette contrainte, mais en attendant il faudra faire avec en se protégeant. Nous reviendrons sur ce point. Une solution complémentaire et élégante consiste à mettre de la distance entre le feu nucléaire et l’habitacle. Le design courant de ce type d’engin est un réacteur maintenu à quelques dizaines ou centaines de mètres par un pylône, comme celui de la première image de ce texte. Dans cette configuration chaque vaisseau a son propre réacteur.

L’apport de l’énergie dirigée et des lasers

Mais depuis quelques temps une liberté nouvelle est apparue avec l’énergie dirigée, comme le laser ; cette solution ne manquera pas de vous remémorer les péniches tirées par un remorqueur : l’effort du moteur devait tirer le remorqueur et le convoi.

Dans l’espace, l’énergie produite par le réacteur est utilisée pour le propulser d’une part, et de l’autre envoyée vers le module habitable. Le transport de cette énergie peut être assuré par un faisceau laser sur une dizaine de kilomètres ou par un câble optique (éventuellement électrique) sur quelques kilomètres. Cette énergie sert aux besoins internes de l’habitacle, mais surtout à sa propre propulsion. Déjà en février 2010, l’aviation américaine avait utilisé une version agressive de cette technique pour détruire un missile Scud en vol. C’est une retombée de l’IDS (Initiative de défense stratégique), la stratégie de bouclier contre les missiles atomiques abandonnée le 11 octobre 1986, mais qui avait provoqué quelques efforts de recherche.

La version à câble optique est déjà réalisable : songez que les machines-outils coupent des centimètres d’acier avec de la lumière en provenance d’un laser de quelques kilowatts, transportée par une seule fibre optique ! La version faisceau laser impose un récepteur côté habitacle sous forme de grands panneaux photovoltaïques ou de concentrateurs, de grandes voiles de centaines de mètres de longueur comme l’ISS actuelle, mais en plus grand.

L’avantage du laser et de l’énergie dirigée en général, est de permettre une nouvelle configuration, où chaque réacteur (normalement inhabité) alimente plusieurs modules habités, et chaque module est alimenté par plusieurs réacteurs. L’expédition ressemblera à un vol de perdreaux à la nuit tombante, ou aux avions en formation le 14 juillet. Ainsi la perte d’un réacteur ne signifie plus la perte d’un habitacle (comme dans la version pylône) et réciproquement. La flottille se trouvera en situation de résilience accrue. Accessoirement, une centrale de secours pourra être en attente en orbite martienne. L’énergie dirigée pourra même être transférée des réacteurs en attente satellitaire vers la surface, pour les besoins des équipes travaillant au sol.

Puisque la géométrie s’insinue sous forme de vol en formation, autant en profiter à d’autres fins, et en particulier pour l’alerte avancée : comme deux yeux sont indispensables pour voir mieux et plus loin, chaque engin est aussi un œil (et un radar) et la vue résultante devient plus fine, comme celle de l’aigle. Ainsi les militaires utilisent depuis longtemps le radar à synthèse d’ouverture et les astrophysiciens utilisent l’interférométrie, deux techniques basées sur les mêmes mathématiques, et mises en œuvre ici. Cela pour dire qu’une telle formation a des qualités supérieures à chacun de ses éléments.

Base sur Mars
Jaxa

La solution alternative serait de se limiter à un seul engin de transport interplanétaire, à la place de la flottille. Elle consisterait à envoyer l’équivalent d’un sous-marin spatial ou l’obus de Jules Verne dans l’espace. Ceux qui ont eu l’occasion de s’embarquer à bord de ce type d’embarcation reconnaîtront que ce n’est pas une expérience des plus rassurantes. La complexité de ce vaisseau unique, qui doit répondre aux exigences planétaires (atterrissages) et interplanétaires, impose alors de fixer l’architecture de l’énorme engin très tôt dans l’étude conceptuelle. Cela fige sa conception au niveau technologique scientifique d’aujourd’hui, et prive le projet des découvertes, attendues ou non, faites au cours de son élaboration. Cela aussi peut tuer le projet si des contraintes nouvelles ou budgétaires s’imposent.

III. C’est le combustible qui fixera le point de départ

La physiologie du corps humain, en premier lieu, nous impose un mode de propulsion continûment accéléré et le nucléaire est ici indispensable en propulsion de passagers. Mais quelle réaction nucléaire ? Pour la première expédition, le choix à faire dépend du combustible choisi : l’hélium 3 est le meilleur mais impose que la fusion thermonucléaire soit maîtrisée le jour J. Sinon, il faudra compter sur les réacteurs classiques à fission.

Si l’expédition utilise une propulsion par fusion, le départ de la banlieue lunaire offre des avantages considérables, car le combustible approprié existe exclusivement à la surface sélène. Sinon, il faut partir d’une orbite terrestre.

Partir de la Lune et sa banlieue, telle son orbite, ou d’un Point de Lagrange
Si l’on décide de partir de la Lune, deux endroits semblent intéressants : une orbite ou un Point de Lagrange du système Terre-Lune (voir ci-dessous l’encadré : les Points de Lagrange).

Les Points de Lagrange

Un objet a deux manières de rester suspendu au-dessus d’un corps céleste : être satellisé ou se trouver aux Points de Lagrange.

Un satellite compense à chaque instant sa chute vers le bas par une fuite tangentielle due à sa vitesse.

Quand deux corps célestes interagissent comme la Lune et la Terre, il existe des points dans l’espace où un objet ne tombe ni sur l’un ni sur l’autre : il reste suspendu et tourne lentement comme le fait le système des deux corps et non pas rapidement autour de l’un des deux. Deux de ces positions, qui sont au nombre de 5, sont plus stables que les autres : Les points L4 et L5. Ils sont plus intéressants comme lieu d’assemblage des grands objets qui sont destinés à sortir du système Terre-Lune avec des éléments constituants qui proviennent des deux planètes, et permettent un accès plus facile à la Terre ou à la Lune. De plus, les volumes et les masses des vaisseaux en construction à ces Points ne seront pas pénalisés par une gravité ou un manque de place.

Un départ depuis la surface lunaire permettrait l’usage d’une catapulte spatiale pour s’extraire de l’attraction lunaire. Mais cela impose que l’objet éjecté soit de petite taille et très rigide. Ce ne sera pas le cas si l’on songe aux énormes réservoirs d’eau servant à la boisson de l’équipage et à la protection radiative. Théoriquement, la longueur de cette catapulte se situe autour de 10 km pour atteindre la vitesse de satellisation. Par contre, une telle rampe de lancement reste indispensable pour l’envoi de matières premières vers le chantier d’assemblage de la flottille.

L’option concurrente d’un départ depuis l’orbite terrestre éviterait certes à l’équipage martien d’effectuer une correspondance lunaire. Mais l’avantage est pauvre car de toute manière, il faut tester le comportement de l’équipage avant toute expédition longue, comme celle devant les conduire vers Mars.

D’autre part, il faudrait faire venir la flottille de l’orbite lunaire après avoir fait le plein d’hélium, ce qui ne serait pas simple vu l’encombrement des orbites terrestre et le franchissement de la ceinture de Van Allen (voir l’encadré ci-dessus sur la ceinture de Van Allen). Par contre ce choix de l’orbite terrestre s’impose en cas de propulsion par des réacteurs de fission fonctionnant à l’uranium.

La ceinture de Van Allen

Le champ magnétique terrestre interagit aussi avec le vent solaire, essentiellement composé d’hydrogène, et forme un bouclier appelé « la magnétosphère ». Un sous-ensemble de cette magnétosphère a la forme d’un tore et a été décrit par Van Allen après que le premier satellite américain Explorer ait vu ses compteurs Geiger saturés.

Dans cette ceinture, les particules se trouvent violentées et le niveau de radiation est plus qu’inhospitalier, ce n’est donc pas l’endroit idéal pour y stationner une flottille en attente d’un départ vers Mars.

Les ceintures découvertes par Van Allen sont plus dangereuses à cause des rayonnements
de-la-terre-a-la-lune.com
La ceinture de Van Allen est schématisée par la partie torique bleu ciel près de la terre

Une base avancée lunaire pour préparer le combustible 3He

L’extraction du combustible indispensable aux voyages interplanétaires doit se faire préalablement à tout départ. Comme l’hélium est un gaz facile à extraire, une usine automatique serait installée sur la Lune. Par contre, l’aspect minier imposerait une équipe permanente, et la préparation du carburant aux Points de Lagrange, une autre équipe (voir encadré Extraction de l’hélium).

L’extraction de l’hélium sur la Lune

L’hélium 3 est présent dans la roche superficielle et à l’intérieur des grains de sable de la surface lunaire. Il provient de la genèse du système solaire, et y est piégé sous forme de micro bulles. La Lune en récupère plus que tout autre astre grâce au champ magnétique terrestre qui le repousse.

Pour le libérer, il suffit de récolter cette matière avec une tractopelle automatique, la passer au broyeur et la chauffer dans un tube de verre au centre d’un capteur solaire. C’est du moins ce que l’on pense dans l’état actuel de nos connaissances, élaborées avec les quelques cailloux ramenés des expéditions Apollo des années 1970. Il faudra confirmer le modèle sur place, ce qui ne devrait pas poser de problème. Rappelons que l’hélium est un produit très rare et très cher sur Terre, et que son importation sera commercialement attractive.

L’activité minière sur la Lune

Ceci reste indépendant de toute autre activité minière ou manufacturière pour les besoins généraux de la Terre et du spatial. Il sera déjà intéressant d’y produire des nanoparticules, du graphène, des fibres de carbone et d’autres matériaux, dont des métaux précieux. [1] Une usine de production d’énergie sous forme de faisceau dirigé vers les satellites lunaires et les points de Lagrange est souhaitable.

La fabrication des grandes structures liées à l’expédition vers Mars pourra se faire sur la Lune, en orbite lunaire ou en orbite terrestre. Ici, l’on songe aux réservoirs de combustible ou de survie, aux grandes structures de treillis indispensables aux antennes et aux « bâtiments » abritant aux points de Lagrange le montage des vaisseaux.

Avant même la mise en place de ces équipements de production, des observatoires astronomiques auront été installés depuis longtemps pour les besoins d’observation lointaine, mais plus récemment des bases radar peuvent être ajoutées pour le suivi de l’expédition.

Le combustible uranium si la fusion de l’hélium n’est pas au rendez-vous
Par contre, si la fusion thermonucléaire n’est pas prête pour les besoins de l’expédition, les moteurs à fission nucléaire demeurent la vraie alternative, la propulsion chimique étant exclue pour un vol habité vers Mars. Le combustible pour des réacteurs à fission nucléaires est préparé sur Terre car son extraction et son enrichissement sont des tâches relevant de l’industrie lourde, inenvisageables dans l’espace ou sur la Lune. Dans ce cas, les réacteurs de propulsion devront être assemblés en orbite terrestre, mais leur combustible et leurs parties préfabriquées devront l’être sur Terre.

Le choix du combustible est limité à l’Uranium 235 très enrichi, car il peut être expédié dans l’espace avant qu’il ne soit rendu radioactif dans le réacteur (voir l’encadré sur les différents types de propulsion spatiale).

Les deux moteurs nucléaires, que se soit à fusion ou à fission, utilisent de l’hydrogène : celui à fusion comme combustible à très haute densité, impliquant des volumes moindres ; celui à fission éjecte l’hydrogène gazeux (ou un autre gaz plus lourd) avec une grande violence, mais en grande quantité, après avoir traversé le réacteur. Il existe des variantes, mais les ordres de grandeurs restent cohérents. Un réacteur chimique brûle de l’hydrogène et de l’oxygène. Si la température d’éjection est plus grande qu’avec l’uranium, il faut par contre transporter l’oxygène liquéfié, la masse devenant tout de suite prohibitive. Donc, les masses à transporter seront bien moindres avec la fusion, ce qui rend la filière bien plus prometteuse, mais les deux techniques devront être menées de pair.

IV. Résumons-nous

Préparer l’arrivée des premiers hommes en vue d’une colonisation permanente de Mars impose une véritable montée en puissance industrielle, et par conséquent un équipement préalable de Mars et de la Lune et des banlieues de ces corps célestes. Les ordres de grandeur des masses à transporter se mesurent en milliers de tonnes, alors qu’en 2013 les fusées n’envoient que quelque 30 tonnes en orbite basse. L’usage du nucléaire et de sa densité d’énergie permet deux choses simultanées : l’envoi de l’homme en mission confortable propulsée et non balistique, et un début d’industrialisation de la Lune.

Faut-il un seul super vaisseau ou une flottille ? Faut-il attendre la fusion nucléaire, ou la fission de l’uranium suffira-t-elle ? Quelles seront les masses à lancer de la Terre ? Quel sera alors le mode de lancement approprié ? Etc. Nous ne connaissons pas ce que seront les évolutions et les révolutions dans ces domaines, donc il ne faut pas figer dans le béton des choix sur la base de l’existant.

Nous avons commencé ce processus de tamisage des technologies et stratégies, mais il devra être revu à chaque avancée scientifique fondamentale.

Nous pouvons déjà affirmer qu’une flottille est préférable à un seul vaisseau pour rejoindre Mars. Celle-ci sera constituée de remorqueurs nucléaires tirant des vaisseaux habités. Trois (ou plus) de ces navires formeront la flottille qui partira du point de Lagrange lunaire L4 pour atteindre l’orbite martienne en quelques semaines de voyage propulsé. La gravité artificielle assurée par cette accélération constante assurera le maintien physiologique des explorateurs. A l’arrivée, une navette assurera le transfert des pionniers vers une base pré équipée pour quelques semaines de travail.

Ces premiers hommes auront quitté la Terre pour rejoindre la flottille au Point de Lagrange L4 occupé par le chantier d’assemblage de ces vaisseaux. Ce lieu à mi-distance Terre-Lune permet de profiter des usines d’extraction de combustible et d’eau situées à la surface sélène, et des débuts d’industrialisation de la Lune.

La planète accueillera ainsi sa première ville habitée, ce premier havre de paix vivant pour Mars.

À la suite d’une robotisation préalable de la planète rouge et d’une montée en puissance de l’industrialisation conjointe de la Lune et des Points de Lagrange, ainsi que du développement de la propulsion nucléaire pour assurer aux humains des voyages de courte durée, Mars sera devenu un havre de paix vivant et permanent pour une première population de terriens.


[1L’interaction entre la raréfaction des matières premières sur Terre et la croissance démographique va nous obliger à délaisser certains matériaux pour nous tourner vers d’autres plus sophistiqués, mais exigeant moins de tonnage de matière de base. Malgré tout, le manque est déjà sensible. Une première résolution se situe vers les isotopes nucléaires artificiels stables. L’autre alternative est l’espace qui est très généreux. La marche à franchir pour aller chercher le platine et les terres rares est certes haute, mais pas infranchissable. La question n’est pas « est-ce possible ? », mais « quand ? ». L’hélium 3, inconnu à l’état naturel sur Terre, risque d’être le premier sur la liste des importations extraterrestres. L’autre aspect est la richesse du vide, en particulier l’absence d’air, pour la confection des matériaux. Que ce domaine représente un intérêt certain est démontré par les prospections commerciales lancées par quelques milliardaires.