France, Algérie, Russie

Crise malienne, l’occasion de bâtir une alliance pour le progrès et la paix

mardi 22 janvier 2013, par Christine Bierre

La guerre contre les djihadistes au Mali, financés par le Qatar et inspirés par la hideuse idéologie wahhabite de l’Arabie Saoudite, ouvre à la France l’opportunité de sortir de la politique désastreuse qu’elle a adoptée depuis son retour au commandement intégré de l’OTAN et son intervention dans la crise syrienne aux côtés de ces forces fanatiques.

Saisira-t-elle cette opportunité pour changer de politique ou cherche-t-elle uniquement à mettre en application la doctrine d’Hubert Védrine, qui conseillait récemment au Président français de rester dans l’OTAN, tout en défendant vigoureusement ses propres intérêts, même si cela veut dire s’associer ici ou là aux combats peu avouables de cette organisation atlantique ?

Ce serait très regrettable qu’elle choisisse la deuxième option. Avec l’Algérie d’un côté, la Russie de l’autre, et une Afrique désireuse de rattraper le temps perdu de son développement, les bases sont là pour exercer un effet de levier en faveur d’une politique de paix et de développement mutuel.

Avec l’Algérie indépendante, l’histoire nous offre là une possibilité rare de rattraper nos erreurs historiques, en menant avec elle une lutte conjointe contre la réaction noire du wahhabisme et pour un monde où le progrès scientifique, économique et social redevienne la règle.

Quelles seraient les bases d’une telle alliance ? L’Algérie est l’un des rares pays du Maghreb à avoir survécu aux faux « printemps arabes » : Libye, Tunisie, Egypte, tous y ont succombé et le Maroc s’y est associé. Depuis, le Qatar exercerait de fortes pressions sur l’Algérie, notamment via les mouvements djihadistes du Nord-Mali, pour qui l’Algérie, pays laïc et riche par ses hydrocarbures et autres matières premières, est une cible de choix. Les Algériens dénoncent aussi l’influence grandissante du Qatar auprès de leur ennemi héréditaire, le Maroc.

Sortie victorieuse de sa lutte contre ces mouvements terroristes, formés à l’origine par les Anglais et Américains pour combattre les Soviétiques en Afghanistan, mais qui sont aussi devenus l’instrument de luttes sanglantes pour le pouvoir entre factions politiques et militaires algériennes, l’Algérie aujourd’hui craint comme la peste une possible rechute dans ce maelström destructeur.

Elle a donc tout fait pour éviter une solution armée en amenant Ansar ed-Dine, qui compte une aile non djihadiste, à opter pour la paix. Bien que ce mouvement ait accepté en décembre une solution négociée, le 3 janvier, quelques jours avant le déclenchement de son offensive vers Bamako, il est revenu sur cette décision et a fait alliance, au contraire, avec l’AQMI.

La crainte que ces groupes djihadistes ne prennent le contrôle de l’Etat malien en déconfiture, menaçant d’afghanisation toute la région, a finalement amené l’Algérie à accorder à la France le droit d’utiliser son espace aérien pour le passage de ses avions vers le théâtre de guerre, alors qu’elle refusait encore toute intervention armée en juillet et en décembre, lors des visites de Laurent Fabius et de François Hollande.

Proposition d’aide de la Russie

Très important aussi, la Russie a apporté son soutien à l’intervention française, proposant même à la France une aide logistique, comme l’a confirmé Laurent Fabius à Europe 1, le 20 janvier, alors que par ailleurs, elle refuse de donner son accord au Conseil de sécurité de l’ONU pour une intervention contre la Syrie.

Cela en dit long sur le pari qu’elle fait en espérant que notre pays mène une guerre contre le djihadisme, dans le respect de la légalité internationale et de la souveraineté des peuples, pari qu’elle ne fait pas avec la coalition emmenée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis. La Russie avait déjà donné son accord tacite lors de la visite de Sergueï Lavrov à Paris en octobre dernier, où la situation au Mali a été l’un des sujets abordés.

Voilà donc une corrélation de forces qui permettrait à notre pays de retrouver son rôle indépendant au centre de l’échiquier politique mondial, rejetant les politiques d’Empire des Anglais et Américains actuellement au pouvoir, en jouant les contrepouvoirs avec des pays émergents de l’Eurasie qui défendent encore la loi du progrès scientifique et technique, et celle de la souveraineté des Etats pour protéger les peuples.

Djihadistes patrouillant à Gao, au nord du Mali
AFP

Djihadisme : L’Occident récolte la tempête qu’il a semée

Dans l’affaire malienne, Royaume-Uni, Etats-Unis et France récoltent la tempête qu’ils ont eux-mêmes semé, et ce, depuis longtemps.

1. Les armes de la Libye

D’abord, si ces groupes djihadistes du Nord-Mali sont si bien équipés, c’est que, comme Jacques Cheminade en avait averti à l’époque, dans le chaos provoqué par la guerre occidentale contre la Libye, l’armement sophistiqué du colonel Kadhafi s’est répandu à travers le Sahel. Aussi, les combattants touaregs intégrés à l’armée libyenne ont retrouvé leur terre natale du Mali. Deux des mouvements qui ont déclenché la rébellion du nord, Ansar ed-Dine (Compagnons du chemin) et le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), sont des Touaregs. A noter cependant que le MNLA a depuis rompu avec les autres et dénonce l’offensive djihadiste. Certains de ses dirigeants proposent même d’aider la France.

2. Notre « ami » le Qatar

Ensuite, parce que les principaux groupes djihadistes – Ansar ed-Dine, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) – sont armés et financés par ce grand ami de l’Occident qu’est le Qatar, celui auquel on fait appel pour nos banlieues, nos entreprises, nos équipes de foot ! Le Qatar, rappelons-le, est le pays sur lequel Nicolas Sarkozy avait fondé toute sa stratégie moyen-orientale.

Les dossiers abondent désormais sur le financement par le Qatar de ces djihadistes. Le Canard enchaîné avait dégainé le 6 juin dernier en rapportant que selon la Direction des renseignements militaires (DRM), « les insurgés du MNLA, les mouvements Ansar Dine, AQMI et Mujao, ont reçu une aide en dollars du Qatar ». Ces mouvements ont pris le pouvoir dans le Nord-Mali dans la foulée du putsch de mars 2012 contre le président Amadou Toumani Touré, procédant ensuite à l’instauration d’un Etat islamique.

Le Canard rapportait aussi que la DGSE avait alerté l’Elysée à plusieurs reprises sur les activités internationales de l’émir du Qatar. Selon la DRM, le Qatar ne s’était pas contenté d’aider financièrement ces mouvements, mais leur livrait aussi des armes comme il l’avait fait avec lesislamistes de Tunisie, d’Egypte ou de Libye.

Le 19 janvier, Rue 89 a publié un dossier très informé sur les liens possibles entre le Qatar et la rébellion djihadiste au Nord-Mali, de la plume de Nabil Ennasri. L’auteur fait valoir qu’étant données les relations proches entre la France et le Qatar, ce dernier ne peut pas se permettre d’afficher son soutien aux djihadistes du Nord-Mali via des aides militaires directes. L’auteur s’intéresse cependant aux activités de puissantes ONGs caritatives du Qatar, dont l’argent pourrait être détourné vers le financement des groupes djihadistes. Parmi elles, le Croissant rouge qatari, la Qatar Charity ou la Mou’assassat Eid, qui ont fait des pays du Sahel, dont le Mali, l’un de leurs terrains d’intervention privilégiés. Leur force de frappe serait plus que significative : à l’été 2011, elles avaient versé 100 millions de dollars pour soutenir des populations frappées par la sécheresse dans la Corne de l’Afrique.

De même source, le Croissant rouge aurait lancé une campagne de dons au Nord-Mali en août dernier, dans le contexte de ses accords avec la Croix rouge malienne. Des humanitaires qataris se seraient même rendus dans certaines villes comme Gao et Kidal. Fin juillet, rapportait RFI le 2 novembre, à Gao, une délégation du Qatar avait promis pas moins de 3 milliards de francs CFA en médicaments et matériel. En septembre, la Qatar Charity inaugurait dans ces contrées un centre d’accueil pour enfants déplacés.

« Ils sont venus avec beaucoup d’argent », affirmait un acteur humanitaire. D’autres sur place décrient le fait que le Croissant rouge s’installe toujours dans des lieux stratégiques déjà bien pourvus en aide et contrôlés par ses amis du MUJAO, comme l’hôpital de Gao. Selon RFI, « des sources dignes de foi assurent que plusieurs avions qataris se sont posés nuitamment ces derniers mois à Gao et Tessalit avec des cargaisons suspectes ». La presse algérienne note aussi que ces « humanitaires » qataris sont arrivés via le Niger et que leur sécurité était assurée par le MUJAO.

L’hebdomadaire Jeune Afrique révélait dans son numéro du 2 au 8 septembre, que des camions bourrés d’armes auraient transité par le Burkina Faso, destination Tombouctou, la ville qui abrite la plus grande base du MUJAO. Les armes provenaient du Qatar, et selon des agents des services français, c’est en pleine connaissance de cause que les autorités burkinabés, amies du Qatar, les auraient laissé passer. De plus, Le Canard déchaîné africain rapporte qu’un convoi de plus de cent véhicules 4 x 4 aurait transité par le Burkina au mois d’août, cette fois-ci destinés au MNLA.
Pas étonnant, dans ce contexte, que le Qatar soit parmi les rares pays à ne pas avoir soutenu l’intervention française au Mali. L’Egypte et la Tunisie, deux pays aujourd’hui sous la coupe de Frères musulmans proches du Qatar, ont pris quant à eux quelque distance vis-à-vis de l’opération.

3. Les Etats-Unis et l’Africom

Pyromanes aussi, les Etats-Unis qui se sont lancés tous azimuts dans l’entraînement de cadres militaires africains pour lutter contre le djihadisme, des cadres qui les auraient, prétend-on, lâchés pour rejoindre leurs ennemis. C’est le cas du capitaine Amadou Haya Sanogo, qui a fait le putsch contre le président légitime du Mali, Amadou Toumani Touré, le 22 mars 2012. Sanogo a été formé aux Etats-Unis, notamment dans les bases des Marines de Quantico, en Virginie. Fier de son passage chez l’Oncle Sam, il arbore sur son béret vert un badge de Marine américain. De source du Département d’Etat, Sanogo a séjourné aux Etats-Unis à plusieurs reprises : de 2004 à 2005, de 2007 à 2008 et en 2010.

Les autorités américaines qui ont plaidé leur naïveté, se disent aujourd’hui morigénées par la trahison de Sanogo et n’ont pas apporté leur soutien à son coup d’Etat. Il n’empêche que selon le New York Times, une bonne centaine de Touaregs auraient bénéficié de formations chez l’Oncle Sam, pour la somme de 600 millions de dollars, avant de rejoindre eux aussi l’ennemi.

Pour certains, le Mali apparaissait de plus en plus comme le centre officieux de l’Africa Command, qui organise les opérations militaires américaines en Afrique.

CB.

Etude stratégique :

Pourquoi l’Empire anglo-saoudien nous conduit à une guerre mondiale