Réponse au rapport Védrine : pour nous la France doit ressortir de la pensée d’Empire

lundi 7 janvier 2013, par Christine Bierre

L’armée française traverse aujourd’hui une crise existentielle : difficultés à définir l’ennemi de la France, difficultés, de ce point de vue, à établir ses objectifs, crise terrible des moyens enfin, conséquence des réductions massives d’effectifs qui s’enchaînent depuis la chute du mur de Berlin, l’application à l’armée de la RGPP, et depuis 2007, les politiques d’austérité dues à la crise financière et économique.

Face à ces trois défis considérables, en dehors des propositions avancées par Jacques Cheminade « pour une armée avec les yeux du futur », lors de la dernière campagne présidentielle, on ne voit nulle part de propositions de fond permettant de sortir de la crise. La plupart des commentateurs se limitent à faire du sur place, en rabâchant tout simplement les vieilles rengaines : rester ou sortir de l’OTAN, défense européenne avec les Britanniques ou purement nationale, dissuasion nucléaire ou retour à une armée conventionnelle. Quand ce ne sont pas les débats plus actuels sur le danger de « betteravisation » de l’armée, suite au retrait avancé des nos troupes d’Afghanistan. Est-ce la fin des OPEX (opérations extérieures de projection) et le repli sur des missions hexagonales ?

Le rapport qu’Hubert Védrine vient de rendre à François Hollande, sur « les conséquences du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN », est l’exemple même de ces débats stériles qui masquent en fait la soumission à l’ordre établi à Washington et à Londres. Ou sont donc les Jaurès et les de Gaulle d’antan, ces hommes de vision qui ont su éclairer la France quant aux dangers à venir et sur les missions de l’armée française dans ce contexte ? Où sont ceux qui diront au peuple aujourd’hui d’où viennent les nuées qui portent l’orage et quel bouclier il faut leur opposer ?

Qui est notre ennemi ?

Analysons le rapport Védrine, utilisé par François Hollande pour justifier le maintien de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Qu’aurait dû être sa démarche première pour déterminer s’il fallait ou non rester ? N’aurait-il pas dû examiner, à l’aune des politiques qui ont abouti aux progrès réels de l’histoire de l’humanité et de notre pays, les politiques des deux principaux dirigeants de l’OTAN, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ? Le rapport Védrine, tout comme le rapport du Sénat sur l’armée daté de juin 2012, parlent tous deux de la crise actuelle comme d’un danger stratégique. Védrine note que « crise économique mise à part, il n’y a pas de menace militaire directe contre l’Europe, ni d’enjeu particulier », alors que le rapport du Sénat qualifie la crise de « vraie surprise stratégique ».

Mais ni l’un ni l’autre ne vont au fond de cette question. Or, toute réflexion concernant notre sécurité ne doit-elle pas commencer par l’étude d’un phénomène qui menace notre propre existence et dont nous sommes, de surcroît, responsables nous-mêmes ? Notre ennemi n’est-il pas celui qui nous a conduits sur cette pente ?

Or, il se fait que ce sont précisément les centres financiers des deux puissances qui ont toujours contrôlé l’OTAN, la City et Wall Street, qui sont à l’origine de cette dérive. La crise aujourd’hui est la conséquence du changement de valeurs philosophiques et économiques, introduits dans le système économique et financier transatlantique, à la mort du système de Bretton Woods en 1971, par le Royaume-Uni et par une démocratie américaine très affaiblie par la mort de Franklin Roosevelt, puis par l’assassinat de Kennedy. De la recherche d’un progrès pour tous à long terme, fondé sur la recherche scientifique et les applications technologiques, on est passé à une économie de casino financier qui nous a conduits à la ruine. Charles de Gaulle et le chancelier Adenauer ont réussi à freiner ces développements en Europe, jusqu’à ce que des politiciens de plus en plus médiocres aient préféré s’intégrer dans le système d’empire de ces puissances.

Les politiques d’Empire

Deuxième élément capital passé sous silence par le rapport Védrine, la nature de plus en plus impériale du système OTAN.

Certes M. Védrine appelle la France à être vigilante face à des Etats-Unis avec qui nous « partageons des valeurs fondamentales » mais dont les politiques « peuvent varier dans des proportions considérables, tous les deux ou quatre ans » et face auxquels « notre politique étrangère doit être prête à réagir » ; à veiller aussi à ce que l’OTAN reste une alliance militaire « recentrée sur la défense collective, et le moins possible politico-militaire dans son action », car elle n’a pas vocation à être le gendarme du monde….

Mais il semble penser que ces différences entre tel ou tel pouvoir américain ne remettent pas en question la nature de la démocratie américaine. Il rend même hommage au président Obama, alors que, comme on le voit au Moyen-Orient et ailleurs, ses politiques sont dans le droit fil de celles des George Bush, père et fils.
Comment ne pas traiter, dans un rapport sur l’opportunité pour la France de rester dans l’OTAN, de la nature totalement destructrice des deux guerres d’Irak, de la guerre contre la Libye et de celle aujourd’hui contre la Syrie. Dans tous ces pays, les membres de l’OTAN ont agi délibérément pour mettre au pouvoir les éléments les plus fanatiques et arriérés de l’islam dévoyé des Saoud.

Que dira l’histoire d’un François Hollande, ou d’un Laurent Fabius, qui auront prêté main forte à une entreprise de destruction d’une civilisation millénaire comme la Syrie ? Que dira l’histoire d’un Védrine, qui dans une interview récente sur France 24, prétend que la Coalition nationale syrienne pourra conduire la Syrie à bon port alors que son chef, Al Khatib, a pris la défense du principal groupe de combattants djihadistes en Syrie, l’organisation Al-Nosra ?

Comment ne pas traiter enfin, dans pareil rapport, du fait que si Obama transfère le pivot de la défense américaine vers le Pacifique, c’est qu’il a déjà désigné, dans la puissance émergente de la Chine, dans l’alliance sino-russe d’aujourd’hui, l’ennemi de demain ? M. Védrine n’évoque-t-il pas, dans un ouvrage récent, le danger que ces puissances émergentes pourraient représenter pour la zone transatlantique, en allant jusqu’à recommander que s’il veut survivre, l’Occident ne doit pas les traiter comme un groupe, mais chercher plutôt à les diviser ?

Une ressortie de la pensée OTAN

Pourtant, Hubert Védrine note que la plupart des effets d’aubaine escomptés par la France de sa réintégration dans l’OTAN sont pratiquement inexistants.
Si la France a obtenu la direction d’un des deux grands commandements de l’OTAN, le Commandement suprême allié pour la transformation (SACT), son influence sur les stratégies globales a été nulle. Elle n’a pu influencer la stratégie en Afghanistan, ni encore moins la décision de déployer des boucliers anti-missiles en Europe, qui est pourtant un « projet majeur du complexe militaire industriel américain depuis les années Reagan (et déjà en partie installé au Japon, en Israël et dans le Golfe), et qui comporte un potentiel de bouleversement stratégique ». (Voir nos dossiers sur l’Initiative de Défense Terrestre sur notre site).

Au niveau des retombées industrielles, la France avec 11,6 % de quote-part, emporte, entre 2009 et 2012, 17,4 % des contrats d’armement, la proportion la plus forte de tous les pays, Etats-Unis compris. Mais, ces résultats existaient déjà avant l’intégration. Entre 2010 et 2012, il n’y a pas eu, dit Védrine, « d’accroissement marqué des contrats obtenus ».

Enfin pour ce qui est de l’Europe de la défense, l’une des « conditions » posée par Nicolas Sarkozy à la réintégration, il ne s’est strictement rien passé, du fait notamment à la fois d’un manque d’initiative de la part de Nicolas Sarkozy, mais aussi « d’une absence évidente de toute volonté des Etats membres de prendre des responsabilités nouvelles – c’est-à-dire des risques – en matière de défense ».

Tout juste, ce retour aura-t-il créé, selon Hubert Védrine, un climat plus favorable à la signature de l’accord de Lancaster House avec les Britanniques en novembre 2010, accord que nous proposons d’abroger, au nom de la différence fondamentale entre une politique de défense républicaine et la politique d’Empire qui est celle de la Grande-Bretagne.

Malgré tout cela, Hubert Védrine conclut cependant qu’une « ressortie française » de l’OTAN « n’est pas une option », car la « supériorité » américaine « n’est pas abusive ». Une ressortie, clame-t-il, « ne serait comprise par personne ni aux Etats-Unis, ni en Europe », et « d’ailleurs, de 1966 à 2008, soit en plus de quarante ans, aucun pays européen n’a rejoint la ligne d’autonomie française ».

Et M. Védrine d’expliquer que dans le contexte de la chute vertigineuse des budgets européens de la défense, y compris du britannique, et du déménagement des deux brigades stationnées en Europe vers le Pacifique, il y aurait « une certaine disponibilité américaine, voire une demande pour un rôle accru des Européens dans l’Alliance », et notamment de la France. L’opération en Libye serait vue par Washington comme un précédent possible pour l’avenir, et les Américains espèrent vivement que la France, vue en 2012 comme un allié sûr, ne réduira pas davantage ses capacités.

C’est dans ce contexte, qu’Hubert Védrine propose que la France ni quitte pas, mais assure « une pleine participation dans l’OTAN », sur un mode qui ne soit pas « purement défensif, critique et abstentionniste », tout en évitant « la banalisation de notre position ». Prétendant qu’on puisse à la fois se soumettre à la volonté d’Empire et maintenir notre exception républicaine, Védrine met en garde contre le « phagocytage conceptuel et théorique », et exige que « notre armée préserve sa capacité propre d’analyse, de réflexion et de prévision, et même de planification sans s’en remettre aux structures de l’OTAN ».

En gros, la vision présentée par M. Védrine du problème est que, vu le peu de contraintes que l’Organisation impose à la France – pouvant choisir à la carte les opérations auxquelles elle veut se joindre et les équipements à adopter – sa participation à l’OTAN serait pur bénéfice.

Convenons qu’Hubert Védrine a raison à un certain niveau. Dans l’OTAN d’aujourd’hui, la France n’est pas obligée de suivre tous les diktats de l’organisation et d’aller frapper la Libye, la Syrie ou le Mali. Le problème est bien plus en amont, dans l’acculturation à cette pensée d’Empire qui fait que c’est elle qui demande de plus en plus à y aller. Le problème de la France aujourd’hui est donc celui de ressortir de la pensée d’Empire dans laquelle elle est retombée de plus en plus après le départ du Général de Gaulle, en suivant les conseils de ceux qui, comme M. Védrine, ne peuvent exister que du côté des puissants.

L’importance stratégique des armes à laser

Le Rapport Védrine passe très rapidement sur la seule chose qui pourrait, à terme, bouleverser l’équilibre stratégique, mais aussi créer une belle opportunité pour une France souveraine. Nous parlons du déploiement d’un bouclier anti-missiles en Europe, à deux conditions :

  1. Que celui-ci s’oriente vers les armes à énergie dirigée, et
  2. qu’il se fasse avec, et non contre, la Russie.

Il s’agit là d’une zone de grand danger, car ces systèmes – pouvant déployer contre une cible des faisceaux d’ondes électromagnétiques (lasers, micro-ondes, particules) se propageant à la vitesse de la lumière – rendront caduques les actuelles armes de destruction massive, et redonneront l’initiative à la défense.

Le 12 février 2010, un missile balistique à carburant liquide, lancé depuis la côte ouest américaine, a été détruit lors de sa phase de décollage par une arme laser appelée Airborne Laser Testbed (ABL YAL 1A ou ALTB), montée sur un Boeing 747, qui avait alors pris l’air à partir de la base aérienne d’Edwards.

Mais comme le souligne Bernard Fontaine, auteur des Armes à énergie dirigée : mythe ou réalité, en raison de leur « rapidité d’intervention et de transfert d’énergie à très grande distance », ainsi que des coûts incomparablement plus bas (rayon de lumière concentré par rapport aux missiles) et de leur plus grande précision, ce bouleversement aura lieu « dans 1es dix ans à venir ou dans un demi-siècle ».

Les progrès sont considérables depuis quatre ou cinq ans, aux Etats-Unis mais aussi en Europe. En France, où les travaux démarrent en 1970, laboratoires publics et privés (Cilas, Thalès, Safran, EADS, Quantel) travaillent sous la direction de la DGA et du Ministère de la Défense, sur des lasers à haute énergie et autres systèmes.

Au programme : un laser aéroporté permettant de « brouiller » la tête chercheuse infrarouge des missiles sol-air, et, sous l’égide de l’Agence européenne de défense, France, Allemagne, Portugal et Pologne ont testé avec succès, en 2011, un laser solide sur des obus à 2300 mètres.